Porto Alegre versus Davos, acte III

Au Brésil et en Suisse, les participants aux deux forums rivaux auront la même préoccupation : la menace américaine de guerre contre l’Irak.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 3 minutes.

Vingt mille, puis 55 000, puis 100 000 personnes. En trois ans, le succès du Forum social mondial de Porto Alegre – le très médiatisé FSM, grand rendez-vous de la contestation antimondialiste – n’a cessé de croître. Au point d’éclipser celui dont il fut autrefois le pendant, le non moins célèbre Forum économique mondial (World Economic Forum, WEF). Lui n’accueille à Davos, coquette station de sport d’hiver helvétique, « que » 2 150 invités du 23 au 28 janvier. Pas de quoi soutenir la comparaison avec Porto Alegre donc pour cette 33e édition qui, après un court passage à New York l’année dernière en signe de solidarité avec un pays traumatisé par les attentats du 11 septembre 2001, renouait avec les Alpes suisses. Cette année, c’est bien le Brésil qui tient la vedette.
Les organisateurs du WEF n’ont pourtant pas lésiné sur les moyens. Ne serait-ce qu’en termes financiers, puisque 9,5 millions d’euros ont été déboursés pour assurer la sécurité des invités. Pour la première fois, tout appareil qui entrera dans l’espace aérien au-dessus de Davos pourra même être abattu. Et pour cause : vingt-neuf chefs d’État ou de gouvernement ont été conviés (Jacques Chirac a décliné la proposition, mais ses homologues argentin Eduardo Duhalde, et mexicain Vicente Fox, comme le Premier ministre malais Mohamad Mahathir l’ont, eux, acceptée), ainsi que quatre-vingts ministres et un millier de chefs d’entreprise. Soit, au total, une petite centaine de nationalités représentées, et un programme chargé, avec 315 sessions en seulement 5 jours. Sauf que le cru 2003 (« Construire la confiance ») fait, lui aussi, pâle figure face au très rassembleur « Un autre monde est possible » martelé à l’envi par des dizaines de milliers d’antimondialistes au Brésil. Signe que le Davos triomphant des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix n’est plus, laminé par les scandales financiers de Worldcom ou d’Enron et plombé par la morosité de la conjoncture politique et économique internationale. Contraint, du coup, de décloisonner sa réflexion. « Le Forum est une organisation neutre, répètent ses organisateurs, un lieu où l’on échange des idées, où l’on propose des solutions et où l’on évalue la validité des propositions » ; bref « pas du tout le parangon de la globalisation ».
Deux extrêmes, mais une préoccupation commune : à Davos comme à Porto Alegre – où les États-Unis ont envoyé 1 800 personnes, autrement dit la délégation la plus importante -, la menace américaine de guerre contre l’Irak est sur toutes les lèvres. Plusieurs tables rondes lui seront consacrées en Suisse quand, outre-Atlantique, on débattra sur le thème « En opposition aux guerres du XXIe siècle : comment construire la paix ? ».
Hasard du calendrier, c’est aussi le 27 janvier, à la veille de la clôture de ces deux réunions, qu’Hans Blix, chef des inspecteurs des Nations unies, remettra au Conseil de sécurité son premier rapport sur le désarmement de Bagdad. Le lendemain, des responsables de l’opposition irakienne devaient discuter du passage à la démocratie dans leur pays. Le secrétaire d’État américain Colin Powell devait, quant à lui, effectuer un aller-retour express dans la station suisse entre le 25 et le 26 janvier. Avec un objectif : rencontrer quelques-uns de ses homologues et des dirigeants des pays proches de l’Irak et, peut-être, les convaincre.
Le tout nouveau président du Brésil Luiz Inácio Lula da Silva devait s’y rendre lui aussi. Quitte à faire le grand écart entre la classe ouvrière, dont il est issu et qui l’a porté au pouvoir, et les marchés financiers, dont mieux vaut ne pas s’attirer le courroux. Mais non sans avoir d’abord fait un saut remarqué à Porto Alegre.
Là-bas, les manifestants se sont organisés, les 60 000 places de l’université catholique n’ayant pas suffi. Gymnases, entrepôts géants et chapiteaux ont été mis à leur disposition, mais la ville n’aurait pas pu accueillir plus de monde. L’on parle de gigantisme et de croissance non maîtrisée. Du coup, le trop populaire FSM pourrait bien se tenir en Inde l’année prochaine et – fait inédit – à des dates différentes de celle du WEF, contre lequel il a pourtant été créé. Preuve que le FSM est maintenant autonome.

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