L’Occident et les « barbares »

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 3 minutes.

Tant que les auteurs des attentats du 11 septembre ne s’en prenaient qu’à des cibles situées hors des États-Unis, ils pouvaient inquiéter, sans doute, mais ils donnaient aussi à réfléchir. En choisissant de porter leurs coups sur le territoire américain, ils ont déclenché un processus frénétique de défense illimitée, tant dans l’espace et le temps que pour les moyens mis en oeuvre.
Depuis, ce système de défense s’organise de manière exhaustive, totale voire totalitaire. Il se fixe comme objectif non d’abattre un régime, mais d’éradiquer un ennemi indéterminé dans sa localisation géographique, son apparence physique et les motivations qui l’animent. Si l’identification de cet ennemi est théoriquement possible, elle se révèle, à l’usage, difficile et complexe, les mobiles supposés n’étant pas le propre d’une ethnie, d’une religion ou d’une classe sociale.
Ce système développe une logique qui transgresse des lois et fait fi de certains principes auxquels le monde moderne semblait attaché et que, depuis des décennies, il s’efforce de mettre en oeuvre, non sans difficultés, notamment la présomption d’innocence, le respect de la personne humaine et la tolérance religieuse. Quant aux règles éthiques de la guerre, elles sont tenues en l’occurrence pour non pertinentes, la lutte contre le terrorisme n’étant pas une guerre comme les autres, mais un ensemble d’opérations visant à préserver l’environnement social, politique et économique du « monde civilisé ». Autrement dit de l’Occident.
La notion même de guerre préventive contre les « États voyous » soupçonnés de complicité avec le terrorisme fait l’objet d’une réflexion nouvelle visant à étendre son application et à l’adapter aux exigences de la « croisade » contre « l’axe du Mal ». Cette notion de monde civilisé opposé à un monde qui le serait moins (ou pas du tout) aboutit à une division du globe en deux humanités relevant d’une double charte éthique et d’un double code pénal. Cette conception est en contradiction avec la spiritualité et la morale dont se réclame l’Occident. Elle contient les germes d’un pervertissement des valeurs qu’il prône. Elle trahit l’humanisme qu’il s’enorgueillit d’avoir été le premier dans l’Histoire à ériger en philosophie morale et politique. En reniant ses convictions profondes, l’Occident risque de perdre son âme et, au-delà de quelques batailles remportées à grands frais, sa guerre contre le terrorisme. Celle-ci, en effet, ne peut être conduite avec succès en sapant le fondement de toute civilisation : la fraternité du genre humain dans son commun destin.
Il y a là un vrai danger qui menace la sécurité et la stabilité de la « cité civilisée ». D’un fléau accidentel, elle fait un antagonisme fondamental, et donc permanent. La violence brutale qui frappe l’Occident risque de se muer en pandémie, défiant tout effort pour y remédier. Déjà, dans la mentalité de certaines populations occidentales, l’idée commençait à germer qu’elles étaient supérieures aux autres. Cette supériorité supposée, elles vont désormais se sentir autorisées à la clamer haut et fort, et ce sentiment commandera leur comportement à l’égard des nouveaux « barbares ». Et comme dans la plupart des sociétés occidentales vivent aujourd’hui des masses « barbares », les clivages entre celles-ci et les « civilisés » vont se situer à l’intérieur du limes. Ils pourraient ne pas être seulement géographiques, mais interurbains, sociaux voire familiaux. Ce sera une discorde sans limites et sans fin, une chienlit mondiale. Est-ce là ce qu’on voulait obtenir en lançant cette campagne planétaire contre le terrorisme ?
Après le 11 septembre, n’aurait-il pas été plus réaliste de se poser certaines questions – comme le recommandaient des hommes d’expérience et de réflexion, en Amérique même ? Essayer de trouver à ces interrogations des réponses courageuses ne serait-il pas plus productif pour l’Amérique que de ressasser que les auteurs des attentats n’aiment pas l’Amérique et sont les ennemis de la démocratie occidentale ? Est-il même trop tard pour retrouver la voie d’une concorde internationale, d’un rassemblement mondial pour la sécurité ?
* Ancien secrétaire général de la Ligue arabe.

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