Les patients anglais

Les étrangers, notamment les Britanniques, sont de plus en plus nombreux à venir se faire soigner dans les établissements privés du pays.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 7 minutes.

Quel est le point commun entre le film Le Patient anglais et des patients anglais ? Réponse : la Tunisie. Le premier y a été tourné et les seconds sont de plus en plus nombreux à venir s’y faire soigner.
Bessie B., 71 ans, admise dans une clinique privée située à quelques dizaines de mètres de la mer, dans la station balnéaire de Nabeul-Hammamet, à 60 km de Tunis, est l’une d’entre eux. Elle était en vacances en Tunisie lorsqu’elle fut victime d’une hernie étranglée nécessitant une intervention chirurgicale. « It was quick » (« Ce fut rapide »), explique-t-elle, parlant de son opération. Et d’ajouter, désignant du doigt son chirurgien, Tahar Ben Slimane, 52 ans : « He is marvellous ! » (« Il est merveilleux ! »).
Bessie a eu beaucoup de chance. En Grande-Bretagne, elle n’aurait probablement pas été opérée sur-le-champ. Le système de santé britannique est tel que les hôpitaux sont congestionnés, et il faut souvent attendre trois, six, voire douze mois avant de pouvoir accéder à la salle d’opération. On estime à plus d’un million le nombre de Britanniques actuellement inscrits sur les listes d’attente. Et ce chiffre n’est pas près de diminuer avant plusieurs années. En Tunisie, il n’y a pas d’attente, du moins dans le privé.
Si Bessie a bénéficié de l’assurance de son forfait touristique, ceux de ses compatriotes qui veulent se faire soigner rapidement trouvent désormais, à un peu plus de deux heures de vol depuis Londres, des cliniques où ils peuvent se faire opérer en l’espace de quelques jours. Qui plus est dans un pays où se rendent chaque année plus de cinq millions de touristes et qui compte, tout près des lieux de soins, pas moins de huit golfs, leur sport préféré. Les forfaits « opération chirurgicale en Tunisie » sont proposés par Operations Abroad, une société britannique basée à Manchester, qui a conclu une convention avec deux cliniques privées tunisiennes. La première, Ibn Rochd, à Nabeul, est dirigée par Tahar Ben Slimane ; la seconde, Nouvel Hôpital, à Hammamet-Yasmine, dont le lancement est appuyé par ce même Ben Slimane, devrait être achevée à la mi-2003. « Nous avons un arrangement exclusif avec ces deux établissements pour leur envoyer des patients privés », indique un porte-parole d’Operations Abroad.
Cette société n’a pas choisi de nouer un partenariat avec Ben Slimane par hasard : cela fait une dizaine d’années que ce dernier traite les pathologies d’urgence des malades étrangers, entre 600 et 700 par an, dont 60 % de Britanniques. Ayant pratiqué dans les hôpitaux américains (à Boston), il a l’avantage de pouvoir communiquer dans leur langue avec les Anglo-Saxons et les malades anglophones. Reconnu par plusieurs assureurs étrangers qui ont signé avec lui des conventions, il a accumulé un capital confiance à la faveur duquel il pourra, dans les prochains mois, traiter davantage de Britanniques venus spécialement pour se faire opérer.
« Une fois le programme mis en oeuvre, nous prenons en charge le malade dès sa descente d’avion, précise Ben Slimane. Nous le transférons dans un hôtel sélectionné, proche de la clinique, le temps de le préparer pour l’opération. Le patient arrive avec son dossier médical, mais nous avons le pouvoir, dans son intérêt, de pousser les examens. Sans supplément de charge. Il est admis à la clinique le jour de l’opération, et y restera le temps qu’il faudra. La convalescence se déroule à l’hôtel, dans une aile réservée qui est un peu le prolongement de la clinique : infirmerie, séances de rééducation, visite régulière d’un médecin, et ce, jusqu’au départ du patient, une fois les points de suture enlevés. »
Peut-on parler pour autant de 3 000 assurés sociaux britanniques opérés en Tunisie en 2003, comme l’a écrit le Sunday Mirror dans son édition du 19 décembre ? Il est trop tôt pour se prononcer, car rien, concernant les malades couverts par la sécurité sociale, n’est encore décidé. Seuls les patients britanniques qui viendront à leurs propres frais ou qui sont remboursés par des assureurs privés sont envoyés en Tunisie. « Pour le moment, déclare-t-on à Operations Abroad, la législation britannique exclut le traitement à l’étranger aux frais de la sécurité sociale. Nous envisageons donc seulement l’envoi de patients privés en Tunisie. Quand la législation changera, Operations Abroad sera alors en mesure d’envoyer en Tunisie des malades remboursés par la sécurité sociale. »
Le National Health Service (NHS), l’organisme de sécurité sociale britannique, autorisera-t-il les assurés à se faire opérer dans des pays européens, voire en Tunisie, en Égypte ou en Turquie, où les interventions chirurgicales coûtent deux fois moins cher qu’en Grande-Bretagne ? Les autorités britanniques sont en train de peser le pour et le contre à la lumière des résultats d’une opération pilote au cours de laquelle on a envoyé deux cents malades se faire opérer dans des hôpitaux français et allemands.
Le gouvernement tunisien suit avec intérêt l’initiative d’Operations Abroad et se dit prêt à faciliter sa mise en oeuvre et la réalisation de plusieurs autres projets. Le docteur Noureddine Charni, directeur de la réglementation et des professions de santé, a reçu au cours des derniers mois des délégations étrangères – dont celle d’Operations Abroad – venues prospecter le marché médical tunisien. « Ils sont venus vérifier si des types d’interventions comme la chirurgie cardiaque, ou ophtalmologique, la pose de prothèses articulaires, l’opération de la cataracte sont réalisables en Tunisie, explique le Dr Charni. Ils ont observé directement les cliniques, leur propreté, le niveau de qualification du personnel, les équipements. Puis ils nous ont demandé si nous étions prêts à faciliter la réalisation de leurs projets. Nous leur avons répondu que nous ferions tout notre possible. » Les pathologies à traiter sont surtout celles des personnes âgées, la cataracte, la prothèse des genoux et de la hanche, les hernies, les prothèses vasculaires périphériques. « Nous sommes les mieux outillés sur le continent en matière de santé, souligne le Dr Charni. Nous n’avons rien à envier aux cliniques européennes, que ce soit en matière de ressources humaines ou d’équipements. Les techniques opératoires de pointe sont rapidement adoptées par notre personnel médical. Nous réalisons quelque 1 500 opérations chirurgicales à coeur ouvert par an, les prothèses articulaires, les greffes de la cornée, et pratiquons la coeliochirurgie (chirurgie vidéo-assistée). Nos coûts sont très compétitifs par rapport à ceux des Européens. En outre, plusieurs de nos médecins parlent anglais, et le ministère de la Santé envisage de former le personnel soignant à cette langue. »
Hormis l’initiative d’Operations Abroad, des investisseurs privés occidentaux sont actuellement au stade du montage financier pour l’ouverture de la première clinique offshore destinée exclusivement à des non-résidents. Ils tirent ainsi avantage d’une loi datant du 7 août 2001 qui favorise l’installation d’hôpitaux et de cliniques offshore financés au moins à hauteur de 67 % en devises.
Le thermalisme et la thalassothérapie intéressent aussi les Européens. Les stations thermales tunisiennes sont particulièrement indiquées en matière de rhumatologie, de complications traumatologiques, d’oto-rhino-laryngologie, de dermatologie, de phlébologie, d’éducation fonctionnelle, ou tout simplement pour la préparation aux compétitions sportives ou la cure de remise en forme.
Sur l’île de Djerba, l’une des grandes destinations touristiques de la Tunisie, un hôtel quatre étoiles, Les Thermes, a été construit en 2000 à l’initiative du Dr Slaheddine Anane pour la rééducation des handicapés moteurs (notamment allemands, autrichiens et norvégiens).
Des médecins belges sont en pourparlers avec des confrères tunisiens pour organiser des soins de gériatrie, mais aussi des séances de rééducation des handicapés physiques et rhumatisants. En moins de dix ans, les cures de thalassothérapie en Tunisie sont devenues une mode. Avec une douzaine de centres intégrés à des hôtels quatre ou cinq étoiles implantés à partir de 1994 autour de la capitale ou dans les principales stations balnéaires bordant les 1 300 km de façade maritime, la Tunisie peut se targuer d’être la deuxième destination mondiale de thalassothérapie après la France. Célébrités internationales ou cadres supérieurs britanniques, français et européens (ils étaient plus de 60 000 en 2000) y viennent, le temps d’un week-end ou plus souvent une semaine, pour se refaire une santé, évacuer le stress, soigner leur arthrose, leurs rhumatismes, leur mal de dos et même pour mincir ou arrêter de fumer.
Le gouvernement est actuellement engagé dans un programme visant à moderniser le secteur du thermalisme et à le confier à de grands groupes en mesure de le situer à un niveau mondial permettant d’offrir des services de qualité aux curistes étrangers. « Les intentions d’investissement sont nombreuses, déclare Mongia Mahjoubi, directrice générale de l’Office du thermalisme. Les investisseurs étrangers sont les bienvenus. » C’est ainsi que des opportunités existent dans la zone du Grand-Korbous, près de Tunis, riche en sources thermales chaudes et froides, et que le gouvernement veut transformer en un pôle de bien-être de haut niveau. Le groupe financier de Ferid Abbes, épaulé par Ahmed Smaoui, ancien ministre du Tourisme, prévoit d’y établir une station thermale de luxe pour une clientèle étrangère haut de gamme. Par ailleurs, la station de Hammam-Bourguiba (dans le nord-ouest, près de Tabarka) est en cours de réhabilitation par Mouradi, la première chaîne hôtelière de Tunisie.

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