À la recherche de l’oiseau rare

Un Premier ministre disposant de larges prérogatives sera chargé de conduire la période de transition. Portrait-robot de l’homme idéal.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 7 minutes.

Moins de vingt-quatre heures après la signature d’un accord sur la crise ivoirienne, le 24 janvier à Marcoussis, dans la banlieue parisienne, les présidents Jacques Chirac et Laurent Gbagbo se sont rencontrés au palais de l’Élysée pour essayer de s’entendre sur les différents points du document paraphé par les parties prenantes dans le conflit qui secoue la Côte d’Ivoire depuis plus de quatre mois. Et dont les propositions devaient être avalisées par le sommet des chefs d’État, en présence du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan. Principal objet de ce conclave, la mise en place d’un gouvernement de réconciliation nationale avec, à sa tête, un Premier ministre disposant (avec l’assentiment du chef de l’État) de larges prérogatives pour conduire une période de transition. Le portrait-robot de cet homme appelé à diriger la Côte d’Ivoire a été esquissé à Marcoussis. À charge pour le président Gbagbo de lui donner un visage. Tout au plus savait-on que celui-ci doit faire l’objet d’un consensus. C’était assez pour que plusieurs jours avant l’annonce des résultats de Marcoussis, paris et pronostics sur le nom de l’oiseau rare alimentent les conversations et les confidences, à Abidjan, à Paris comme ailleurs sur le continent. Car, plus que la composition de l’équipe – fût-elle âprement discutée, notamment pour le partage des portefeuilles et de leur contenu – ou que la durée même de son mandat (une transition jusqu’à la prochaine présidentielle d’octobre 2005 étant, dans un premier temps, jugée par trop longue), c’est le pedigree de son capitaine qui a fait palabre.
Non que la Côte d’Ivoire manque d’hommes susceptibles de tenir la barre. Au contraire. Mais parce qu’il en faut un qui soit, si l’on ose dire, « transitoirement correct », sans affiliation partisane par trop marquée, mais qui connaisse assez le milieu politique de son pays pour pouvoir s’y mouvoir sans déchoir. Quelqu’un dont l’équation personnelle ne détonne pas au sein de la classe dirigeante des dix dernières années. En fait un homme de compromis. À moins que ce ne soit une femme, en l’occurrence Henriette Diabaté, numéro deux du Rassemblement des républicains (RDR, d’Alassane Ouattara), historienne comme Gbagbo, qu’elle eut comme étudiant au département d’histoire à l’Université d’Abidjan, et qui jouit du respect de la plupart de ses compatriotes, qu’ils soient du monde politique ou d’ailleurs.
En tout cas, des jours durant, et avant qu’Henriette Diabaté ne prononce « au nom de tous » les remerciements au président de la table ronde, Pierre Mazeaud, les pronostics ont porté sur Seydou Elimane Diarra, ancien Premier ministre de feu le général Robert Gueï et ci-devant président du Forum pour la réconciliation nationale (octobre-décembre 2001) ; Amara Essy, ancien ministre des Affaires étrangères d’Houphouët-Boigny et de Henri Konan Bédié, aujourd’hui président intérimaire de la Commisssion l’Union africaine ; Lambert Kouassi Konan, ex-titulaire du portefeuille de l’Agriculture sous Houphouët puis Bédié, et homme d’affaires prospère. On a aussi beaucoup parlé de Laurent Dona Fologo, un autre habitué de la table du Conseil des ministres d’Houphouët et de Bédié, président du Conseil économique et social et chef de la délégation officielle qui a mené, au nom du président Gbagbo, les négociations avec les mouvements armés ; Daniel Kablan Duncan, ancien ministre d’Alassane Ouattara et ex-chef du gouvernement de Bédié ; Mgr Paul Siméon Ahouanan, évêque de Yamoussoukro, Charles Konan Banny, gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Sans oublier d’autres figures, à l’arrière-plan de la scène, comme l’ancien ministre et homme de culture Bernard Zadi Zaourou ou le professeur Oraga Obou.
À l’exception de ces derniers et, surtout, du prélat aux prêches sans concessions sur la situation qui prévaut dans son pays depuis le coup d’État de décembre 1999, la plupart des personnalités évoquées font, peu ou prou, partie du sérail politico-économique dont tous les membres se connaissent pour s’être plus ou moins cooptés des années durant sous le règne d’Houphouët ou de Bédié. Mais puisqu’on ne prête qu’aux riches, le costume de « super-Premier ministre » investi des pouvoirs que lui déléguerait le président Gbagbo et qui ne prendrait ses décisions que sur ordonnance, devait revenir à un membre du « quinté » formé par Diarra, Kouassi Konan, Konan Banny, Kablan Duncan et Essy.
Ce dernier, diplomate tout en rondeurs qui a joué un rôle discret tout au long de la crise comme il l’avait fait pendant la transition militaire (décembre 1999-octobre 2000), pourrait cependant difficilement abandonner le chantier de la mise en place des structures de l’Union africaine avant le sommet de l’organisation, à Maputo en juillet prochain. Son ami et complice Seydou Diarra, qui n’a pu, comme il le souhaitait, le compter dans l’équipe qu’il dirigeait sous l’autorité de Robert Gueï, était donné par certains pronostiqueurs comme favori pour la primature. D’autres, à tort ou à raison, l’avaient rayé de leur liste, lui faisant le procès de ne pas avoir su obtenir que les quatorze résolutions sorties du Forum (certificat de nationalité de Ouattara, régularisation de la situation des enfants d’immigrés, redéfinition du statut et du rôle de la commission électorale…) soient toutes suivies d’effet.
Ses relations avec le président Gbagbo n’étaient pas en cause, mais peut-être les valses hésitations de la classe politique qu’il était pourtant parvenu à faire participer à ces assises de la réconciliation. Quoi qu’il en soit, à près de 70 ans, cet ancien diplomate reconverti dans les affaires serait à l’aise dans les habits de Premier ministre de transition qu’il a déjà enfilés sous la junte militaire, avant de prendre sa retraite. Outre Diarra, d’aucuns ont pensé à un autre ingénieur agronome, versé dans les affaires comme lui et, comme lui, plutôt en phase avec le personnel politique : Lambert Kouassi Konan, qui passe pour avoir l’oreille de plusieurs chefs de parti. À commencer par Ouattara, dont il a été le ministre de l’Agriculture et dont il a essayé continûment, au lendemain de la disparition d’Houphouët en décembre 1993, d’aplanir les relations avec Bédié. Tout comme il facilita souvent le dialogue entre Bédié, chef de l’État, et Gbagbo, chef de file du Front populaire ivoirien (FPI), qu’il compte parmi ses amis.

Camarades de parti
Bien que vice-président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), il est suffisamment bien vu des uns et des autres pour faire un bon dénominateur commun. Parce qu’à 64 ans cet entrepreneur talentueux il est un des plus gros exportateurs de fleurs d’Afrique subsaharienne – n’est pas de ceux qui brandissent leur carte du PDCI à tout bout de champ. On peut dire la même chose de Kablan Duncan, son camarade de parti, qui lui aussi entretient de bonnes relations avec Ouattara, dont il fut le ministre délégué chargé de l’Économie, des Finances et du Plan. Et qui lui aussi a servi de go-between entre l’ancien Premier ministre d’Houphouët et le président Bédié.

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Toutes convictions dehors
Quand, le 11 décembre 1993, Bédié proposa à Kablan Duncan de prendre la tête de son premier gouvernement, celui-ci se tourna d’abord vers son prédécesseur et ami Ouattara, dont il sollicita l’assentiment avant d’accepter. Si son nom a été évoqué, c’est, outre son profil Banque mondiale (il est un ancien élève de l’Institut commercial de Nancy et de celui de Paris), parce qu’il n’est pas ce militant toutes convictions dehors qu’on rencontre souvent sous ces latitudes. Il est discret, réservé et goûte peu les combinaisons politiciennes, même s’il est membre du comité de crise que le PDCI a mis en place au lendemain de la tentative de putsch du 19 septembre 2002. Ce n’est pas un professionnel de la politique, il en fait plus par devoir que par conviction, et ce n’est pas à 59 ans qu’il va commencer à nourrir des ambitions démesurées.
Technocrate comme lui, Charles Konan Banny, gouverneur de la BCEAO depuis 1994, ne fait pas mystère, en revanche, de ses velléités d’entrer en politique et dispose de solides relais au sein du PDCI, dont son frère aîné Jean, ministre-résident de Yamoussoukro et un des barons de l’ancienne formation au pouvoir. Lorsqu’il était dans l’opposition, Gbagbo manquait rarement l’occasion de lui rendre visite chaque fois qu’il passait à Dakar, siège de l’institution financière. C’est à lui également que, président, Gbagbo confia le dossier de la compagnie Air Afrique. À lui auquel, en 2001, il aurait pensé pour succéder à Pascal Affi Nguessan à la primature. Mais ni le chef de l’État, ni l’ancien élève de l’École supérieure des sciences économiques et commerciales de Paris (Essec) n’ont été diserts sur le sujet.
De même, le gouverneur ne commente-t-il pas les rumeurs qui font de lui un candidat à la magistrature suprême. Est-ce pour cette raison qu’on l’a dit hésitant pour le poste de Premier ministre de transition, les accords de Marcoussis disposant que le chef de ce gouvernement ne peut participer à la prochaine présidentielle ? Mais ce n’est peut-être pas un handicap pour un homme qui, à 61 ans, compte plusieurs chefs d’État de la région parmi ses amis et a démontré qu’il savait attendre son heure sans pour autant cacher ses ambitions.

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