L’Amérique se désengage du Vietnam

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 4 minutes.

Trente ans après ce 27 janvier 1973 où furent signés les « accords de Paris » censés mettre un terme honorable à la guerre du Vietnam, rien n’est venu atténuer la discrète cruauté de l’événement. Car de ses deux protagonistes, que couronnera benoîtement un double prix Nobel de la paix, l’un vietnamien, Le Duc Tho est en réalité un vainqueur qui, modeste, se retient d’en sourire ; l’autre, américain, Henry Kissinger, un vaincu qui tente de sauver la face. Le premier verra bientôt le triomphe d’une extraordinaire ténacité humaine au service d’une volonté d’indépendance que rien n’a pu affaiblir ; le second consacre l’échec d’une superpuissance mondiale à imposer ses choix, malgré la destruction du pays de l’adversaire par une barbarie technologique sans précédent. Mais pour le comprendre et apprécier la suite, il convient d’abord de revenir en arrière.
Le conflit vietnamien, qui, sous diverses formes, aura duré quelque trente ans, se présente historiquement comme le cas d’école d’une décolonisation durement conquise. En 1945, l’Indochine, comme on appelle alors ce « fleuron de l’Empire français », est prise en tenailles entre deux forces. D’une part, le Japon, qui tente, à la faveur de la guerre, de substituer son emprise à celle de la France et lance, le 9 mars, une offensive générale contre ce qui reste des garnisons coloniales. D’autre part, un mouvement nationaliste autochtone à coloration marxiste, créé en 1941 : l’Alliance pour l’indépendance du Vietnam, ou Viet-Nâm Doc Lap Dong Minh, dont on abrégera le nom en Vietminh. La capitulation du Japon, le 15 août 1945, lui donne l’occasion de constituer, deux semaines plus tard, un Gouvernement provisoire de la République du Vietnam, dont son président, Hô Chi Minh, proclame l’indépendance dès le 2 septembre suivant.
Ainsi va commencer la « guerre française », première époque du conflit vietnamien. Voulant rétablir sa souveraineté sur son ancienne colonie sans paraître ignorer le mouvement d’émancipation des peuples coloniaux, Paris oscille entre la négociation et le combat tout en opposant au Vietminh un pseudo-gouvernement « autonome et associé » classiquement confié à un fantoche, l’ex-empereur d’Annam Bao Daï. Mais l’offensive des forces révolutionnaires commandées par le général Vo Nguyen Giap rend vite cette « solution » illusoire. Après l’écrasante défaite de son corps expéditionnaire à Dien Bien Phu, le 7 mai 1954, Paris doit se résigner en juillet 1956, par les accords de Genève, à quitter ce qu’on nommera désormais le Vietnam.
Le conflit ne s’éteint pas pour autant, mais va se transformer en « guerre américaine ». Les États-Unis en effet, obsédés par une « menace communiste mondiale », craignent que la chute du « domino » vietnamien – selon la théorie élaborée alors par Washington – n’entraîne celle de toute l’Asie du Sud-Est. Or les accords de Genève, tout en reconnaissant l’indépendance du Vietnam, lui ont imposé une coupure en deux, le long du 17e parallèle. À la République démocratique du Vietnam (RDVN), fermement implantée au Nord et d’orientation socialiste, ils opposent donc, au Sud, une République du Vietnam présidée par le catholique Ngo Dinh Diem, qui se refuse à la réunification du pays par des élections générales, comme il avait été décidé lors de la conférence de Genève.
La RDVN se résout donc, depuis le Nord, à le réunir par la force, avec le soutien, au Sud, d’un Front national de libération (FNL) créé en décembre 1960. D’abord hésitants à s’engager, les États-Unis s’y laissent progressivement conduire par le complet échec de Ngo Dinh Diem, dont ils iront jusqu’à favoriser l’assassinat lors d’un coup d’État de généraux sudistes. Puis, en 1964, un incident naval controversé dans le golfe du Tonkin amène le président Lyndon B. Johnson, qui vient de succéder à John Kennedy, lui aussi assassiné, à intervenir en force, sur terre et dans les airs. Il le fera sans mesure, utilisant pour briser le Vietminh et dévaster le pays les pires moyens disponibles : bombes au phosphore, arrosage au napalm, engins à billes ou à dépression, enfin recours massif aux herbicides et aux défoliants, soit « la plus grande guerre écologique de l’histoire de l’humanité », dont les effets, quarante ans plus tard, se font encore sentir (cancers, cécité, troubles neurologiques, malformations congénitales, etc.).
Le tout, en vain. La vigoureuse offensive du Têt, en janvier 1968, convainc Johnson de rechercher une « paix honorable ». Des négociations s’engagent à Paris en janvier 1969, tandis que l’opinion américaine et internationale se mobilise contre la guerre. Mais il faudra quatre ans encore pour que Richard Nixon, qui a succédé à Johnson, se résigne à accepter le principe d’un cessez-le-feu accompagné du retrait total des forces américaines.
Ce sera l’oeuvre des accords de Paris qui, le 27 janvier 1973, scellent ainsi la quasi-capitulation américaine. Une seule feuille de vigne tente de la masquer : il est prévu qu’un Conseil national de concorde et de réconciliation entre la RDVN et le régime sudiste de Nguyen Van Thieu organise des élections générales. Mais Thieu, qui semble compter encore sur l’assistance américaine, refuse d’appliquer les clauses politiques des accords et prétend, futilement, établir sa souveraineté sur l’ensemble du Vietnam. Après diverses tergiversations entrecoupées par la démission de Nixon pour cause de scandale du Watergate, Hanoi passe à l’offensive. En huit semaines, l’armée populaire balaie les forces sudistes, et le général Duong Van Minh, qui a précipitamment succédé le 21 avril 1975 à Thieu, démissionnaire, n’a d’autre ressource que de capituler sans condition. Le 30 avril 1975, les chars nord-vietnamiens déferlent dans Saigon tandis que les Américains, en pleine panique, évacuent leurs ressortissants par hélicoptères, avec les plus chanceux de leurs « collabos » sud-vietnamiens. Passant de la tragédie à la farce, la croisade anticommuniste de Washington s’achève en pantalonnade.

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