L’Agoa, un contrat à efficacite limitee

La loi qui facilite les exportations africaines aux États-Unis devrait être prolongée après 2008. Mais pour quoi faire ?

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 7 minutes.

L’un des enjeux essentiels du deuxième forum sur la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique, l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), qui s’est tenu du 15 au 17 janvier à Port-Louis, à l’Île Maurice, était l’extension de sa durée de vie. Effective depuis janvier 2001, la loi permet aux pays africains y participant de ne pas payer de droits de douane sur l’exportation de certains de leurs produits vers les États-Unis. Au premier jour de la réunion entre les responsables africains et américains, George W. Bush, dans un message vidéo, a levé le suspens. Le président des États-Unis s’est prononcé en faveur d’une extension au-delà de 2008 de la loi provisoire qu’est l’Agoa. Encore faut-il que le Congrès américain vote cette décision. En attendant, ce dispositif continue de présenter des avantages pour les pays d’Afrique subsaharienne, dont les exportations ont sensiblement augmenté depuis la naissance du régime Agoa. Mais la philanthropie américaine n’est pas sans conditions, et les obstacles à un décollage du commerce extérieur africain sont nombreux. Retour sur une loi dont le bilan a été dressé par les 450 participants du deuxième forum à Maurice.
La délégation américaine, dirigée par Robert Zoellick, le représentant au Commerce, a détaillé devant les 62 ministres africains présents les bénéfices que leurs pays ont pu tirer de l’Agoa depuis les premières importations américaines en provenance du continent africain. Selon la Commission américaine du commerce extérieur, les États-Unis ont ainsi importé l’équivalent de 8,2 milliards de dollars de marchandises en 2001 dans le cadre de l’Agoa, avec comme principaux bénéficiaires le Nigeria, le Gabon et l’Afrique du Sud. Lors des sept premiers mois de 2002, les importations américaines, selon ces mêmes dispositions, s’élevaient à 4,8 milliards de dollars. Des évaluations chiffrées sont difficiles à établir étant donné la diversité des produits et le nombre de pays participant à cet accord. Une chose est sûre : les principales importations américaines concernent les produits énergétiques (67,8 % du total) ainsi que les minerais et les minéraux (14,6 %). Les États-Unis n’ont pas attendu l’Agoa pour importer des hydrocarbures du continent africain. Et c’est donc pour le textile (4,7 %), secteur dans lequel Washington a des intérêts moindres, que la loi est, pour le moment, le plus profitable. Au-delà d’une réduction du déficit de leur balance commerciale vis-à-vis des Américains, les pays africains ont bénéficié grâce à l’Agoa d’avantages indirects qui se mesurent essentiellement en termes de création d’emplois. Au Kenya, 50 000 personnes ont ainsi trouvé un travail ; en Afrique du Sud, 20 000 postes ont été créés dans l’industrie automobile à destination des États-Unis. Le Lesotho a développé son activité textile. Fort de onze nouvelles usines qui ont nécessité le recrutement de 45 000 habitants, le pays a vu ses ventes vers les États-Unis augmenter de 400 %. À Maurice également, les investissements dans ce même secteur ont permis d’augmenter les exportations de 8,4 % en 2002 par rapport à l’année précédente. Certains pays asiatiques, comme Taiwan ou Singapour, ont même installé des usines sur le continent africain afin de profiter des dispositions de l’Agoa. Cette liste, non exhaustive, des économies africaines qui ont le plus profité de l’Agoa est cependant significative des inégalités de la loi. C’est avec l’Afrique australe que les États-Unis ont développé l’essentiel de leurs échanges depuis 2001, sans doute en prévision de l’accord de libre-échange que les Américains négocient avec l’Union douanière d’Afrique australe, la South Africain Customs Union (Sacu) (voir encadré ci-dessous). L’Agoa doit ainsi faire face à plusieurs obstacles qui risquent, à terme, de remettre en cause son utilité.
L’Organisation mondiale du commerce (OMC) est le premier d’entre eux. Une réduction généralisée des droits de douane, au terme du Doha Round, débuté en 2002, annulerait les prérogatives conférées par l’Agoa. Le plan américain prévoit en effet de faire de « chaque petite boutique à travers le monde un duty free shop » à partir de 2005 et d’ici à 2010. Les Africains n’auront donc pas plus de « privilèges » que leurs concurrents chinois, indiens ou vietnamiens à l’entrée du marché américain d’autant que le textile est le premier secteur visé. L’Agoa pourrait donc être détruite par ceux qui l’ont mise en place. La faiblesse des investissements des entreprises américaines sur le continent africain constitue un autre grief à l’encontre des États-Unis. Ces apports de capitaux permettraient pourtant d’augmenter la capacité de production des pays africains. Mais ils ont encore baissé cette année en Afrique, passant à 798 millions de dollars, c’est-à-dire moins de 0,1 % de leurs investissements dans le monde. La situation politique des États africains n’est pas étrangère à ce manque de capitaux. À Madagascar, la centaine de milliers d’emplois créés grâce à l’Agoa en 2001 ont été supprimés à la suite de la crise, lors du premier semestre 2002, qui a provoqué l’envol des investissements étrangers hors du pays. La prédominance du pétrole dans le commerce États-Unis/ Afrique attise la rancoeur des pays qui n’ont pas la chance de posséder de l’or noir. Les hydrocarbures représentent 67 % des importations américaines depuis l’Afrique, et les États-Unis s’intéressent, en dehors de l’Afrique australe, au Gabon, au Tchad, à la Guinée équatoriale, au Nigeria et à l’Angola. Alan Larson, le sous-secrétaire au Commerce et à l’Agriculture le reconnaissait lors de son passage à Paris le 13 janvier : « Pour l’instant, le commerce de l’Afrique vers notre pays se concentre sur l’industrie énergétique. Notre but est de changer ce statu quo. D’autres secteurs de commerce sont déjà en train de se développer, grâce à l’Agoa. Nous sommes confiants : les pays africains sont capables de réaliser des progrès semblables à ceux qui ont été faits en Asie du Sud-Est. » Pour autant, comme l’a souligné Jim McDermott, le sénateur américain considéré comme le « père » de l’Agoa : « Il faut que les pays africains continuent de diversifier leurs économies et se reposent moins sur le pétrole et les exportations d’énergie et plus sur le textile, les appareils, les produits manufacturés et agricoles », afin de bénéficier pleinement de la loi américaine.
Les subventions agricoles étaient d’ailleurs au centre des débats à Maurice. Ces aides accordées par les États-Unis à leurs propres fermiers est un mur dressé devant le développement des échanges dans ce domaine avec l’Afrique. En outre, principal secteur de l’économie africaine, la production agricole a du mal à s’exporter tant les autorisations pour pénétrer le marché américain sont difficiles à obtenir. Aujourd’hui encore, et malgré l’Agoa, un exportateur de denrées agricoles doit attendre cinq ans avant d’obtenir une autorisation pour atteindre les États-Unis.
La mauvaise connaissance du marché américain par les Africains est un autre facteur qui perturbe le bon fonctionnement de l’Agoa. Les besoins et désirs de la population sont étrangers aux producteurs africains. Ces derniers sont eux-mêmes peu familiers des procédures d’exportation, des règlements sur les produits importés et subissent la complexification des consignes de sécurité dans les ports depuis les attentats du 11 septembre 2001, dont une partie des coûts doit être assumée par les navires entrants. D’ailleurs, sur les trente-cinq pays éligibles en 2002 (trente-huit depuis janvier 2003), seuls vingt-deux ont réussi à se conformer à la législation et à exporter. Et seuls cinq d’entre eux représentent 95 % des importations américaines dans ce cadre. Un rapport du Fonds monétaire international (FMI) de septembre 2002 montre que les bénéfices de l’Agoa pourraient être multipliés par cinq si les États-Unis n’imposaient pas des règles très lourdes aux exportateurs. Parmi elles, l’obligation d’ici à 2005 de vendre aux États-Unis des produits manufacturés dont les matières premières proviennent d’un pays de l’Agoa.
Cette clause a d’ailleurs entraîné, lors du forum à Maurice, une dispute entre les Pays les moins avancés (PMA) et les autres pays africains. Les PMA estiment en effet que quatre années (2001-2005) ne suffiront pas pour réaliser cette intégration verticale et demandent une dérogation. Mais s’ils n’obtenaient pas cette faveur, ils pourraient alors entrer dans un cercle vicieux : les « grands » d’Afrique – les plus rapides à se développer – auront réussi en quatre ans leur intégration verticale. Ils pourront donc exporter dans ces conditions des quantités suffisantes pour attirer les investissements étrangers. Eux rentreront dans le cercle vertueux du développement. Tandis que les « petits » seront confrontés à la concurrence directe de la Chine, de l’Inde et du Vietnam, qui ne cessent de baisser leurs coûts de production.
La marge de manoeuvre des pays africains en matière de politique internationale et même intérieure se trouve réduite par leur participation à l’Agoa. Et ceci constitue un inconvénient majeur de cette loi américaine. « Contrairement à l’accord Afrique-Caraïbes-Pacifique et Union européenne (ACP-UE), remarquait Amédée Darga, représentant du gouvernement namibien, dans les colonnes du journal mauricien L’Express, l’Agoa n’est pas comme un accord commercial négocié. Elle prévoit que les pays ne votent pas contre les intérêts américains au sein des instances internationales, dont les Nations unies et l’OMC. » De même, les conditions imposées par les Américains aux pays qui veulent participer à l’Agoa obligent ces derniers à accorder leurs violons avec les États-Unis, y compris dans leur politique intérieure. Les ONG, qui se sont réunies du 13 au 15 janvier, ont prôné une extension des domaines de l’Agoa à l’éducation et à la santé, mais sans réelle écoute du côté des officiels américains.
Malgré ces problèmes, l’Agoa a le mérite d’exister, reconnaissent les hommes d’affaires. L’annonce d’un probable allongement de son fonctionnement a été reçue avec enthousiasme à Maurice, car elle permet à chacun d’envisager des investissements à long terme. Les Américains ont affirmé par la voix de Bill Thomas, sénateur : « Nous voulons rentrer à Washington et dire à nos collègues que les choses ont vraiment changé et que leur vote initial en 2000 a vraiment fait une différence. C’est à cette seule condition que nous pourrons demain leur demander de faire davantage pour l’Afrique. » Et, un jour, espérer que l’Agoa sera inutile. Autrement dit, que les productions locales seront devenues suffisamment compétitives pour ne plus devoir bénéficier d’accords préférentiels.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires