« L’Afrique doit garder espoir »

En attendant la mise au point de nouveaux traitements, le parasitologue Pierre Ambroise-Thomas rappelle que la prévention demeure une priorité.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 6 minutes.

Parasitologue renommé, le Pr Pierre Ambroise-Thomas est membre de l’Académie nationale de médecine (France) et expert auprès de l’Organisation mondiale de la santé. Spécialiste de la lutte antipaludique, il croit aux progrès de la science tant dans le domaine de la génomique que dans celui de la biologie moléculaire. Reste que le vaccin susceptible d’immuniser les millions de personnes exposées au parasite n’existe pas encore. Le traitement miracle ne sera peut-être pas découvert avant longtemps. Aussi le Pr Ambroise-Thomas milite-t-il pour une prévention accrue et la mise au point de traitements susceptibles de limiter les résistances aux antipaludéens
JEUNE AFRIQUE/L’INTELLIGENT : Le paludisme va-t-il un jour disparaître définitivement ?
Pierre Ambroise-Thomas : En théorie, le paludisme peut disparaître complètement. Quand ? Personne ne peut le dire. Mais l’erreur serait de considérer que le palu est homogène : qu’il disparaisse dans certaines zones où la transmission est faible, c’est tout à fait possible. En revanche, ce sera certainement en Afrique qu’il mettra le plus de temps à disparaître, car c’est là que la transmission est le plus intense.
Prévention, thérapie, vaccination : quels moyens de lutte faut-il privilégier ?
Le paludisme est une maladie complexe, et il est totalement irréaliste d’espérer qu’une seule méthode sera suffisante. Il faut donc privilégier plusieurs méthodes pour obtenir le plus d’efficacité. D’autant que le but recherché par chacune d’entre elles n’est pas le même : les médicaments servent à soigner les malades alors que les moustiquaires imprégnées ou la vaccination ont des buts prophylactiques. Dans un premier cas, il s’agit de traiter une situation d’urgence ; dans le second, il s’agit d’adopter une attitude prospective. À court terme, quels sont les progrès thérapeutiques possibles ?
Il y a certes les progrès résultant de la recherche scientifique et notamment de la détermination du génome du Plasmodium, sachant que ses retombées ne se concrétiseront qu’à l’horizon de dix ou quinze ans minimum. Des progrès sont heureusement envisageables à plus courte échéance, notamment grâce à l’utilisation de sel de quinine ou de dérivés de l’artémisine en association avec d’autres antipaludiques pour éviter que ne se développent des résistances.
Comment peuvent-ils être optimisés ?
Les progrès les plus récents concernent l’administration par voie intrarectale. Les injections de quinine sont à l’origine, en Afrique, de handicaps moteurs fréquents, sans parler de la transmission du VIH ou de virus de l’hépatite. Le développement de l’administration intrarectale – par suppositoire ou lavement – permet d’éviter ces risques tout en permettant aux auxiliaires de santé d’administrer eux-mêmes le traitement dans les villages, sans formation particulière. À l’heure actuelle, 80 % des enfants infectés qui meurent décèdent avant d’arriver à l’hôpital. Ce traitement leur donne une chance de se rendre à l’hôpital pour y bénéficier de soins plus appropriés.
L’autre piste de progrès concerne les dérivés de l’artémisine, qui ne suscitent pas encore de résistances, ce qui les rend efficace à 100 %. L’impératif est d’éviter l’apparition de ces résistances en associant l’artémisine avec d’autres antipaludiques. Une étude menée sous l’égide de l’OMS a pour but de commercialiser cette association d’antipaludiques au prix d’un seul traitement. Et c’est en bonne voie.
Reste à assurer l’accès de tous aux médicaments…
Cela reste le problème principal. Depuis peu, on enregistre des progrès significatifs en matière de traitement et de coût. Mais la question de l’acheminement demeure problématique en Afrique. Il faut que chacun assume ses responsabilités. Tant les pouvoirs publics que les ONG et les organisations internationales. Les progrès les plus urgents à accomplir, ceux qui doivent mobiliser le plus d’énergie, en particulier dans les pays du Sud, consistent à améliorer les conditions d’acheminement de ces médicaments « au bout de la piste ». L’erreur serait d’opérer un transfert de responsabilité en disant : « Au Sud, nous n’avons pas de médicaments, c’est la faute du Nord et des firmes qui ne nous en fournissent pas. » Il y a certainement des progrès à faire en termes d’accès aux produits, mais si demain les médicaments sont disponibles dans les capitales africaines, le problème ne sera pas réglé pour autant. Il faut absolument pouvoir disposer de systèmes de distribution dignes de ce nom dans les pays concernés.
Quels sont les espoirs induits par le décryptage du génome ?
C’est un progrès scientifique considérable. Mais la détermination du génome de Plasmodium falciparum n’est qu’une étape, la suivante consistant à déterminer la fonctionnalité de chacun de ses gènes. Identifier les gènes est une chose, savoir à quoi ils servent en est une autre, et c’est souvent l’étape la plus compliquée. Ces travaux laissent espérer la détermination de nouvelles cibles thérapeutiques. Quand ? Personne ne peut le dire. Mais entre la découverte d’une molécule potentiellement intéressante et la mise à disposition d’un médicament, il faut compter environ dix ans de travaux et 1 milliard de dollars d’investissements. Ce délai et ce coût peuvent être diminués. Mais il faudra compter au moins six ou sept ans de recherche et plusieurs centaines de millions de dollars de dépenses.
C’est juste une question de temps et d’argent ?
On considère trop souvent que le frein est essentiellement financier. Ce n’est que partiellement vrai. Encore faut-il que les moyens techniques nécessaires à la recherche soient disponibles. On ne soigne pas des malades avec des molécules mais avec des médicaments. Régulièrement, un chercheur plus ou moins sérieux, ou plus ou moins farfelu, annonce qu’il a trouvé la panacée. En admettant que ce soit vrai, une « découverte intellectuelle » met environ dix ans, si tout va bien, à se transformer en médicament. Avec une probabilité de succès inférieure à 1 sur 1 000. Il faut en avoir conscience car, en attendant, il y a des gosses qui meurent.
La génomique est-elle la solution d’avenir ?
Il est incontestable que les découvertes réalisées en matière de génomique présentent un énorme intérêt. De même qu’en biologie cellulaire. Par exemple, on a identifié ces dernières années le chloroplaste, sorte de vestige végétal situé à l’intérieur du Plasmodium. Ce végétal microscopique, qui s’est inséré dans le Plasmodium il y a plusieurs dizaines de millions d’années, constitue une cible très intéressante. Un des problèmes de la recherche antipaludique réside dans le fait qu’il faut trouver un médicament qui détruise le parasite sans tuer le malade. Le fait d’avoir identifié une structure végétale au niveau de la cible est un atout potentiel pour la recherche.
Quels sont les véritables freins à la recherche vaccinale ?
Je ne crois pas que les aspects économiques soient le point de blocage étant donné que des solutions de financement existent et que la mise au point d’un vaccin peut être un élément très prestigieux pour un État qui voudrait s’investir dans cette voie. La difficulté actuelle reste surtout liée au fait que les Plasmodium ont une structure extrêmement complexe, qui varie d’une région à une autre, et même d’une souche à une autre.
À l’heure actuelle, on est donc incapable de savoir à quelle échéance sera disponible le vaccin contre le paludisme ?
On ne peut pas le savoir. Pour des raisons à la fois scientifiques et égoïstes, il semble probable que les premiers vaccins mis au point seront plus utiles aux expatriés, aux militaires et aux touristes qu’aux populations locales. Les Plasmodium passent par toute une série de stades successifs chez le moustique comme chez l’homme, et il faut adapter le vaccin à ces caractéristiques. Les premiers vaccins seront dirigés contre une forme initiale de paludisme, c’est-à-dire celle qui est transmise par le moustique lors de la contamination. Dans un premier temps, cela ne présente pas un intérêt évident pour les personnes qui vivent en zone endémique et qui sont déjà infestées, mais cela en a pour les expatriés.
Le vaccin n’est donc pas une solution pour les Africains ?
Les Africains ne doivent pas se désespérer, ni mésestimer l’importance des vaccins. Inversement, il ne faut pas tomber dans la rêverie et s’imaginer que le vaccin sera la solution au problème du paludisme. On sait qu’en Afrique le vaccin n’a pas suffi à faire reculer le tétanos obstétrical. La maladie n’a reculé que lorsque, parallèlement à la vaccination, on a ouvert des maternités de brousse et on a formé des matrones pour apprendre aux mères les règles élémentaires d’hygiène. Dans le cas du paludisme, le pire piège serait de dire : « On attend le vaccin. » D’abord, parce que personne ne sait quand on le trouvera. Ensuite, parce que ce ne sera sûrement pas la panacée.

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