Graine de comédienne

Amina Touidjine, 14 ans, se produira bientôt sur les planches de la Comédie-Française. Un parcours hors du commun.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 4 minutes.

«Mina me ressemble, nos histoires se rejoignent : moi aussi, j’ai grandi trop vite. » Amina tortille les boucles de ses cheveux avec ses doigts. Petit bout de femme de 14 ans, elle dégage ce charme sensible et pétillant propre aux grandes séductrices. D’ici à un mois, Amina va se glisser dans les robes de Mina, l’un des personnages principaux de la pièce Papa doit manger de Marie N’diaye, mise en scène par André Hengel à la Comédie-Française (22 février au 3 juillet 2003). Une perspective qui excite les sens de la jeune Algéroise, impatiente de se confronter à un nouveau rôle : « Jouer la comédie me permet d’endosser différentes peaux, je m’amuse, et le plus incroyable, c’est que je suis payée pour cela ! » Pragmatique, Amina a mis de côté l’argent qu’elle a gagné « pour les études ». La jeune fille est prudente, forcément. Elle n’oublie pas que la route a été longue jusqu’aux planches de la Comédie-Française, théâtre parisien dont les murs résonnent encore des éclats de voix des plus grands acteurs.
Paris, 1996. L’espace manque dans cette petite chambre d’hôtel de Pantin, où la famille Touidjine se cache depuis qu’elle a fui l’Algérie. Trop dangereux de rester sur la terre qui les a vu naître. Les deux oncles d’Amina ont été assassinés à onze mois d’intervalle. « Les terroristes cherchaient mon père, Djamel, une vedette connue dans tout le pays pour son travail sur la chaîne ENTV, mais surtout pour ses reportages engagés dans l’émission de radio 75 % jeunesse. Il abordait librement, avec son confrère Abdel Baset Ben Khalifa, tous les sujets tabous, comme les filles-mères, la drogue ou la religion », se souvient l’adolescente. Ce père, omniprésent dans sa vie, pour qui la jeune fille souffre en silence. « Il a reçu un premier prix d’art dramatique en Algérie. Aujourd’hui, il a du mal à trouver des rôles à la hauteur de son talent, et se retrouve simple figurant à la Comédie-Française. » L’exil a souvent un goût amer, « surtout pour les adultes, car il est plus facile de reconstruire une vie quand on est jeune », confie Amina. Un soupçon de douleur traverse ses grands yeux noirs. « Depuis, j’ai décidé de me battre : personne ne m’empêchera de raconter les souffrances vécues par mon peuple, comme personne ne fera taire les autres Amina qui viendront témoigner après moi. » Porte-parole des exilés installés en France, elle a été désignée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour lire L’Appel de Paris, le 16 juillet 2001, à la tribune de l’Assemblée nationale. Sa prestation chargée d’émotion a impressionné. Elle a été invitée par le gouvernement suisse et le HCR, en décembre 2001, pour intervenir devant l’Assemblée des Nations unies à l’occasion du 50e anniversaire de la Convention de Genève.
De son enfance à Bab el-Oued, elle retient surtout les plateaux de tournage, où son père l’emmenait, tellement fier de sa fille qu’il la présentait « même aux pierres ». Il faut dire que la gamine a la parole facile et de l’entrain à revendre. Amina grandit sous le regard de célèbres artistes algériens de l’époque comme Abdenour Chlouche, le comédien, ou El Ghazi, le chanteur kabyle. Encouragée par ce dernier, elle laisse libre cours à ses envies, s’essaye à la chanson, coanime une émission pour enfants, et tente aussi la figuration, dans « quelques films ». La France ? « C’était le rêve, je pensais que tout devait être magnifique ici, j’ai vite déchanté. »
Les premiers mois à Paris ressemblent à un cauchemar. Chaque soir, sa famille est obligée de quitter l’hôtel durant quelques heures, « pour que les autres clients ne nous voient pas à cinq dans une chambre. À la fin, je connaissais par coeur tous les jardins publics et les façades des musées. » Au cours de l’une de ces escapades, sa curiosité a été attirée par les lustres en cristal de la Comédie-Française. « Mon père m’a expliqué que ce n’était pas pour nous, qu’il n’y avait là que des bourgeois, lance-t-elle en esquissant un sourire. À l’époque, tout était différent, on ne pouvait rien s’offrir, et je ne parlais même pas un mot de français. » Mais pas question pour Amina de rester à la porte du bâtiment. « Réfugiée, mais pas coupable. » Sa détermination va payer. Cinq ans plus tard, l’une de ses amies, fille du sociétaire de la Comédie-Française Christian Blanc, lui propose d’auditionner pour le rôle de Louison dans Le Malade imaginaire, de Molière. L’expérience va au-delà de ses espérances. Claude Stratz, le metteur en scène, est conquis par son aisance sur les planches et lui confie le rôle. Les critiques suivent, enthousiasmés par son jeu « d’une grande maturité ». C’est une révélation. « Ma loge était devenue ma deuxième maison, j’avais mis des posters aux murs, disposé des fleurs. » La jeune actrice est tellement absorbée par son personnage que, du réveil au coucher, « elle se sent elle ». Lorsque le rideau est tombé après quatre mois de représentations, Louison et les feux de la rampe lui ont cruellement manqué. « Mais que personne ne se trompe : devenir star ne m’intéresse pas », clame haut et fort l’actrice précoce. Non, son rêve est ailleurs et s’appelle reconnaissance. « Plus tard, j’aimerais que les gens se retournent et disent : tiens, c’est Amina Touidjine, la comédienne. »

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