Françoise Giroud : profession journaliste

Scénariste, essayiste, romancière, mais avant tout femme de presse, la cofondatrice de L’Express s’est éteinte le 19 janvier, près de Paris.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 3 minutes.

Jean-Jacques Servan-Schreiber, avec qui elle créa L’Express en 1953, disait d’elle qu’elle était « le plus grand journaliste français ». Sans doute, mais pas seulement. Car Françoise Giroud n’écrivit ses premiers papiers, dans Paris-Soir, que pendant l’Occupation, à Lyon. Avant, il y avait eu – et il y aura encore après – le cinéma. À moins de 16 ans, dactylo-vendeuse dans une librairie, elle est engagée comme script-girl par Marc Allégret. Elle continuera sur le tournage de La Grande Illusion avec Jean Renoir, participera à une soixantaine de films et écrira le scénario et/ou les dialogues d’une vingtaine, dont Antoine et Antoinette, réalisé par son ami Jacques Becker et Palme d’or du Festival de Cannes 1947.
Françoise Giroud était multiple. Toujours autre que ce qu’on croyait. Peut-être à cause de ses origines. Elle est née France Gourdji à Genève, le 21 septembre 1916, d’un père turc, Salih Gourdji, fondateur et directeur de l’Agence télégraphique ottomane, et d’une mère d’origine russe, Elda Faraji. Maison de couture, pension de famille : un milieu prospère que « Françoise », comme nous l’appelions à L’Express, décrit dans un de ses livres, Leçons particulières. Elle raconte aussi la chute. L’adolescente dont le père regrettait qu’elle ne fût pas un garçon, décide alors, comme un garçon, qu’elle fera seule sa vie. D’où, dès 14 ans, des leçons de sténodactylo. Et, très vite, la passion de l’écriture, qui l’habitera jusqu’à sa mort, le 19 janvier, à l’Hôpital américain de Neuilly, près de Paris. Tous les médias et les ténors du milieu politique lui ont rendu hommage.
Son écriture aussi était multiple. Outre Leçons particulières, Françoise Giroud a publié une trentaine de livres : des recueils de ses articles, des essais, un roman et plusieurs biographies, de Marie Curie à Clemenceau… Elle n’a pourtant jamais cessé d’écrire pour la presse, des contes de Paris-Soir aux portraits du Tout-Paris jusqu’à ses chroniques de télévision du Nouvel Observateur.
Résistante, Françoise Giroud fait plusieurs mois de prison, mais échappe à la déportation. À la Libération, Pierre et Hélène Lazareff l’engagent à Elle, l’hebdomadaire féminin le plus lu en France. Mais l’écriture ne suffit pas à cette dame de fer dissimulée derrière un sourire de velours : elle en prend bientôt les rênes et le dirige pendant sept ans. Jusqu’à ce qu’elle rencontre, en 1951, Jean-Jacques Servan-Schreiber. Et c’est, en 1953, en pleine guerre d’Indochine, la création de de L’Express.
Françoise en partagera vingt ans durant la direction et mènera avec J.-J.S.-S. – et avec Pierre Mendès France – le combat anticolonialiste, en Indochine comme en Algérie. En 1963-1964, elle participera à la reconversion de l’hebdomadaire en newsmagazine sur le modèle du Time américain. Dans les années soixante-dix, L’Express emploiera plus de cinq cents personnes et tirera à plus de sept cent mille exemplaires.
Dans un journal, Françoise savait tout faire : écrire, bien sûr, mais aussi faire écrire les autres, réécrire (très souvent), lancer les enquêtes, concevoir les rubriques, choisir les photos, faire les titres, les légendes, piloter la maquette… Et même, quand il le fallait pour sortir le journal, surmonter les drames de sa vie personnelle.
Françoise accompagna également Jean-Jacques dans sa vie politique, jusqu’à la vice-présidence du Parti radical. Avant de faire, seule, un bout de chemin. Elle qui était depuis longtemps amie de François Mitterrand et avait voté pour lui à la présidentielle de 1974 accepta la proposition de Valéry Giscard d’Estaing de diriger un secrétariat d’État à la Condition féminine. Elle y fit adopter cent mesures pour les femmes « qui ont pratiquement toutes été retenues par les différents ministères concernés et appliquées… sauf pour l’égalité des salaires, ce qui est gravissime ». Pour beaucoup de femmes, elle fut cependant, avec Simone de Beauvoir et Simone Veil, l’axe du Bien.
En 1977, elle se lassa de « la comédie du pouvoir ». « De toutes mes vies, écrivit-elle, celle que je préfère, c’est le journalisme. » Après la machine à écrire, elle reprit donc… l’ordinateur. Et livra quelques-uns de ses secrets dans Profession journaliste. Quelques-uns seulement.

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