Agir efficacement

Deux cents millions de crises annuelles en Afrique, dont 0,5 % de décès… Une mortalité due à l’insuffisance ou à l’absence de traitement.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 5 minutes.

C’est un fait : le paludisme progresse, et son traitement est de moins en moins facile. Il progresse dans ses fiefs intertropicaux et il aborde l’Europe par la Turquie. Le traitement est moins facile parce que l’hématozoaire responsable du paludisme grave, le Plasmodium falciparum, développe sa résistance aux médicaments. Un autre fait : un accès palustre vite et bien traité a toutes chances de guérir. Or l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime entre 300 millions et 500 millions le nombre d’accès et à plus de 1 million le nombre de morts chaque année (dont 90 % en Afrique subsaharienne). Cette mortalité de 0,5 % est due au retard et à l’insuffisance ou même à l’absence de traitement sur le continent. En effet, même les formes graves guérissent lorsqu’elles sont traitées rapidement par le plus vieux médicament, la quinine intraveineuse, à laquelle il n’y a pas (ou pas encore) de résistance. La mortalité touche surtout les enfants avant 7 ans, car les adultes bénéficient d’une relative immunisation. Comment en est-on arrivé à la situation actuelle ? Avant tout par l’échec complet de la lutte antimoustiques (voir J.A.I. n° 2043, 2000). Pendant quarante ans, celle-ci a accaparé des millions de dollars et beaucoup d’énergie. Elle a conduit à la suppression des autres mesures de prévention. Cette stratégie était une erreur en Afrique. L’échec a entraîné une période de flottement stratégique et une certaine démotivation au moment où apparaissaient de nouvelles maladies graves qui ont retenu l’attention et les financements, notamment les fièvres hémorragiques et le sida. Ces nouvelles maladies font beaucoup plus peur que le paludisme, essentiellement parce qu’on ne sait pas les guérir et qu’en Afrique on en meurt presque fatalement. Le sida a ainsi « bénéficié », comme autrefois la syphilis, de l’aura particulière résultant de la conjonction du sexe et de la mort. À l’inverse, le paludisme est une maladie familière : tout Africain (ou presque) a eu des accès palustres. Chacun sait qu’on en guérit très simplement le plus souvent, avec des traitements dont le prix est très faible comparé à celui d’une thérapie contre le sida. C’est un peu le cas de la grippe en France : chacun sait qu’on peut en mourir, mais on ne la craint pas vraiment. Contrairement à une opinion trop répandue, les recherches concernant le paludisme ont toujours été poursuivies tant au niveau des organismes de recherche que des sociétés pharmaceutiques. Pour des raisons scientifiques, certes, mais aussi parce qu’un marché énorme existe, même s’il ne touche que 10 % des centaines de millions de malades en région tropicale. Ce marché comprend aussi les cas importés en régions tempérées, qui sont de plus en plus nombreux. Preuves de cette activité, les six ou sept médicaments mis sur le marché depuis vingt ans et la recherche d’associations médicamenteuses destinées à retarder les résistances. Une des conclusions actuelles des travaux en laboratoire et sur le terrain est que le traitement d’attaque doit comporter deux médicaments, dont l’artémisine (ou un de ses dérivés). Le deuxième médicament dépend des régions : dans certains cas, de plus en plus rares, on peut encore utiliser la chloroquine. Dans d’autres cas, le médicament associé est l’amodiaquine, la méfloquine, le proguanil (avec atovaquone, dapsone ou chloroquine), la sulfadoxine-pyriméthamine, la luméfantrine, l’halofantrine ou des antibiotiques (doxycycline notamment). On voit que les médicaments ne manquent pas (voir encadré). Et, dans les formes graves, la quinine est toujours là ! La vraie difficulté en Afrique subsaharienne est l’accès aux traitements, soit pour des raisons d’éloignement d’un centre de santé, soit, plus souvent, pour des raisons financières. Autrefois, on disposait dans tous les dispensaires de la chloroquine, efficace et peu chère. Le développement de la résistance à ce produit conduit à utiliser des médicaments efficaces, mais plus coûteux, qui ne sont pas à la disposition des malades. En effet, les schémas thérapeutiques officiels proposent souvent les solutions les moins chères, parfois aux dépens de l’efficacité. Un mémorandum de Médecins sans frontières tend à démontrer que cette solution est mauvaise, y compris sur le plan économique. On attend donc des sociétés pharmaceutiques des propositions de prix ou de produits favorisant efficacement les pays en développement. On peut aussi importer du Vietnam ou de Chine les dérivés de l’artémisine où ils sont produits à un moindre prix. On attend aussi des gouvernements des calculs du rapport coût-efficacité les conduisant à retenir les meilleures solutions pour les malades.
L’autre axe de recherche de ces vingt dernières années, la fabrication d’un vaccin, se heurte à beaucoup de difficultés. En particulier la complexité antigénique du Plasmodium, qui change de structure deux fois chez le moustique et trois fois chez l’homme, et qui, dans chaque forme, peut modifier ses antigènes pour résister à tel ou tel médicament… et sélectionner ainsi des races résistantes. Malgré ces difficultés, les chercheurs ont pu concevoir et étudier une dizaine de vaccins qui se trouvent à des phases d’avancement différentes (voir p. 59). Mais un vaccin efficace ne sera pas disponible avant plusieurs années.
Le récent décryptage de la carte complète du génome du parasite et du moustique ouvre de nouvelles voies de prévention, probablement meilleures que celles utilisées jusqu’à présent (voir p. 59). Forte de ces constatations et après avoir tiré les leçons de l’échec des campagnes antimoustiques par le DDT, l’OMS a repris l’initiative. La campagne « Faire reculer le paludisme », lancée en 1998, se fixait des objectifs raisonnables. On a renoncé à l’idée stupide d’éradication pour en revenir au contrôle de la maladie, comme pour la plupart des maladies dans le monde. Le contrôle a d’ailleurs conduit à de bons résultats, dans de nombreuses affections (typhoïde, syphilis, etc.). Cette campagne s’appuie sur les données scientifiques et thérapeutiques disponibles : prévention par moustiquaires imprégnées, mise à disposition de deux médicaments de première ligne, lutte contre les gîtes de moustiques dans le domicile et son environnement proche. Bref, des mesures raisonnables qui permettront de sauver de très nombreux malades, de contenir la maladie, de la faire régresser… en attendant que de nouvelles découvertes scientifiques permettent des solutions plus radicales. L’OMS a rapporté les résultats obtenus au Vietnam avec des moyens simples : un infirmier, un microscope pour faire le diagnostic, de l’artémisine. Cela nous rappelle que pendant des décennies, dans les centres de santé, un infirmier « microscopiste » confirmait en quelques instants les diagnostics non seulement du paludisme, mais aussi de la tuberculose, de la trypanosomiase et d’autres parasitoses. Et le microscope, simple et robuste, durait de nombreuses années. Certes, le diagnostic immunologique par bandelettes est efficace et pratique. Mais il coûte très cher… et ne sert que pour le paludisme. Le paradoxe de la lutte antipaludique actuelle, c’est qu’on connaît les solutions individuelles, qu’on sait guérir les accès, mais qu’on ne dispose pas de solutions collectives (échec de la lutte antimoustiques, attente d’un vaccin). Les mesures doivent donc être de proximité. Un progrès énorme serait accompli si tous les enfants dormaient sous moustiquaires imprégnées (et non trouées) et si, en cas de crise, les malades trouvaient à moins de deux heures un infirmier microscopiste et deux médicaments de première ligne. Parallèlement, les familles seraient encouragées à détruire les gîtes de moustiques autour des domiciles. Un jour viendra peut-être où un vaccin sera disponible, où les moustiques seront stérilisés… On peut rêver. En attendant, il faut agir.

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