Une poursuite mouvementée

Publié le 2 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

« Croyez-moi, Monsieur, j’en suis restée bouche bée. » Comme je somnolais, je n’ai pas entendu le début de la phrase. La dame assise à côté de moi dans l’autocar me regarde droit dans les yeux.
– Oui, Monsieur.
Ne sachant quoi dire, puisque je n’ai saisi que la fin de son affirmation, j’avance prudemment :
– Évidemment…
– Évidemment ! Vous en parlez à votre aise. Ce n’est pas à vous que c’est arrivé.
Toujours à l’aveuglette, je réponds :
– Non, j’en suis sûr !
Mais de quoi parle-t-elle ? Si j’avais seulement un indice, un mot qui me mettrait sur la voie.
– Le pire, c’est qu’il avait le collier. Et moi je crie « Doudou, Doudou ! » Mais ça n’a servi à rien. Et je le voyais qui filait à toute allure. Ah, Doudou, mon petit chéri !
Cette fois, je commence à y voir clair. Un individu a dépouillé cette dame de son collier, s’est enfui à toutes jambes, et elle a vainement appelé Doudou à l’aide. Considérant l’âge de la dame, si, comme je commence à le comprendre, Doudou est son ami – son « copain », comme on dit aujourd’hui -, elle a eu beau l’appeler, il n’a rien pu faire. Je suppose tout de même qu’il s’est lancé à la poursuite de l’individu. Mais comment, à son âge, rattraper un jeune type qui fonce ? En tout cas, là, je peux y aller puisque l’affaire est désormais claire pour moi. J’opine dans le sens de la dame :
– Bien sûr, ce n’était pas possible.
– Mais attendez la suite. Je suis allée déclarer le vol à la police. L’employé a bien noté la description, « marron avec des flammèches dorées », l’heure du vol, le lieu, tout ça… « Si on le retrouve, on vous préviendra », m’a-t-il dit. Très poli, très aimable. Et vous n’allez pas me croire, mais juste comme je sortais du commissariat, je le vois !
– L’employé ? Il était sorti avant vous ?
– Mais non, vous n’avez rien saisi. Je venais de le décrire, « marron avec des flammèches dorées » et dans une voiture décapotable en train de démarrer, je le vois…
De nouveau, j’ai perdu le fil. Je vais risquer une question. La réponse me mettra peut-être sur la voie :
– Alors, qu’avez-vous fait ?
– Aussi sec, je suis rentrée dans le commissariat. « Il est là, devant, dans une décapotable, ai-je dit à l’employé, conduite par une blonde. » Alors, il a hurlé à un collègue : « Prends ta moto, file-la. » Comme le collègue avait entendu ma déclaration de perte, il a tout de suite compris. Le voilà qui bondit dans la rue, saute sur sa moto. On se serait cru au cinéma. « Ne vous inquiétez pas, Madame, me rassure l’employé. C’est une 750 cm3. Il la rattrapera en moins de deux. En attendant, asseyez-vous et détendez-vous. »
Moi, je suis assis, puisque nous sommes dans l’autocar, mais j’ai plutôt besoin de me détendre. Parce que, maintenant, je nage complètement. Cette dame a vu son collier, dérobé par un individu, dans une décapotable. Au cou de la conductrice, je présume. Et celle-ci a démarré. Et un policier s’est lancé à sa poursuite. Mais, dans l’affaire, Doudou a disparu. Elle ne parle plus de lui ! D’âge mûr et probablement empâté, il a peut-être dû arrêter sa poursuite parce que le souffle lui a manqué. Mais, depuis, il aurait dû accompagner la dame au commissariat. Ne serait-ce que pour la soutenir moralement. Ce Doudou ne m’inspire pas confiance. Allez savoir s’il n’était pas de mèche avec le voleur… La dame reprend :
– Alors, j’ai suivi son conseil. J’ai pris une chaise et j’ai essayé de me détendre. Mais j’étais trop retournée. Ah, Doudou, Doudou !
Les sentiments, ça ne se commande pas. Cette dame a été bafouée par Doudou, et pourtant elle l’appelle à l’aide. Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas, a dit un moraliste français dont j’ai oublié le nom. C’est bien vrai. Surtout depuis que j’ai fait la connaissance de Sonia…
– Vous n’allez pas me croire, ça a marché !
L’inconvénient, dans l’autocar, c’est qu’on ne peut pas se soustraire aux discours de son voisin ou de sa voisine. Cette dame a brusquement interrompu mon évocation de Sonia, ma très aimée. Et elle reprend de plus belle :
– Voilà-t-il pas que le collègue de l’employé revient à toute pompe, et qui il ramène ? Doudou !
Alors là, j’abandonne. Ce Doudou commence à me courir. On ne le voit que trop dans cette affaire. Il disparaît et reparaît. Et la dame qui se pâme devant lui. Mais, bon sang, qu’elle l’envoie dinguer son Doudou !
– Et le voilà, mon Doudou, dans les bras du policier. Viens vite, viens vite, mon chéri !
Bon, d’accord, je me suis planté sur toute la ligne. Probablement pas assez tendu l’oreille. Le dénommé Doudou, skye-terrier de son état, a été volé, vendu aussitôt à une automobiliste, sauvé par un policier à moto. Et moi qui imaginais un vieux bipède ventripotent…
Ah, on m’y reprendra à bavarder dans un autocar !

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires