Succession modèle
C’est donc Jakaya Kikwete qui a succédé, le 21 décembre, à Benjamin Mkapa à la tête de la République unie de Tanzanie. Ainsi en ont décidé 80,2 % des électeurs, qui consacrent ainsi une troisième succession sans accrocs à la magistrature suprême, un événement suffisamment rare sur le continent pour être salué. La performance est d’autant plus remarquable que la large victoire à la présidentielle s’est doublée d’une écrasante majorité obtenue au Parlement par le Chama Cha Mapinduzi (CCM), le parti au pouvoir, le tout auréolé d’une participation de 70 %.
Les résultats des élections présidentielle et législatives du 14 décembre n’ont cependant surpris personne. Mouvement de l’indépendance créé par Julius Nyerere, le tout-puissant CCM était largement favori face à son principal rival, le Civic United Front (CUF). Et, puisqu’il avait été choisi par le parti pour mener la campagne, Jakaya Kikwete l’a logiquement emporté haut la main. Il n’en devient pas moins le président tanzanien le mieux élu. Le plus jeune aussi. Mais pas le moins expérimenté.
à 55 ans, Kikwete est tout sauf un novice. Originaire d’une province côtière, né dans une famille musulmane, mais élevé dans une école catholique, il fait ses études à l’université de Dar es-Salaam, s’engage dans l’armée et s’inscrit au parti. Militant actif du CCM depuis son plus jeune âge, il se fait rapidement remarquer par le deuxième chef de l’État tanzanien, Ali Hassan Mwinyi, qui le nomme dans son gouvernement en 1986. En 1995, il se porte candidat à la présidentielle, mais le père de la nation, Julius « Mwalimu » Nyerere, l’écarte au profit de Benjamin Mkapa. Qu’à cela ne tienne : Kikwete, incarnation du multiculturalisme à la tanzanienne, obtient le portefeuille des Affaires étrangères du nouveau gouvernement. Il ne le lâchera plus. Et, malgré les nombreux voyages à l’étranger auxquels le destine sa fonction, tisse son réseau à travers le pays. Une initiative payante : lors des primaires de son parti, en mai dernier, il l’emporte largement contre d’autres poids lourds, comme Salim Ahmed Salim, ancien secrétaire de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). La bataille de la présidence était alors jouée. Jakaya Kikwete a pris sa revanche sur le Mwalimu et fini par grimper la dernière marche que son ambition n’avait pas encore atteinte.
à l’avenir, il donnera probablement un coup de jeune à la politique tanzanienne, accentuera certainement le caractère libéral de l’économie. Mais Kikwete a promis qu’il s’inscrirait aussi dans la continuité de ses prédécesseurs et ferait honneur à l’image d’exemplarité que s’est bâtie la Tanzanie en Afrique. Depuis que le héros de l’indépendance a cédé pacifiquement le fauteuil présidentiel en 1985 et que le pays a abandonné, au début des années 1990, le centralisme démocratique au profit du pluralisme politique, la Tanzanie est considérée par les bailleurs de fonds comme le pays modèle d’un continent tourmenté. Respect des droits de l’homme, démocratie sans faille, économie de marché fondée sur le principe du libre-échange : la Tanzanie a si bien joué le jeu des institutions de Bretton Woods et des pays du Nord qu’elle est aujourd’hui le plus grand bénéficiaire de l’aide au développement.
Peut-on pour autant considérer entièrement démocratique une nation où le parti au pouvoir est si dominant qu’il en devient, de facto, un parti unique ? La communauté internationale sait faire la part des choses. Si l’emprise du CCM peut garantir la stabilité politique d’un pays important dans une région des Grands Lacs particulièrement instable, alors peut-être faut-il savoir féliciter, encourager et soutenir, comme l’a fait le président français, Jacques Chirac, le troisième successeur du Mwalimu. Aux dépens d’une opposition, notamment sur l’archipel de Zanzibar, où l’autorité du parti est fortement contestée, qui crie à la fraude.
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