Sans blague !

L’humour a toujours occupé une place essentielle dans les sociétés arabo-musulmanes. En témoigne cet hilarant florilège.

Publié le 2 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

Les Arabes rient aussi ! « Certains les imagineraient austères, puritains et rigides, fermés au rire et à la plaisanterie », explique en préambule Jean-Jacques Schmidt. C’est pour contrecarrer cette idée reçue que le traducteur et auteur de plusieurs ouvrages sur la langue arabe s’est attelé à une foisonnante anthologie, Le Livre de l’humour arabe, choisissant la période historique qui va de l’anté-islam au milieu de l’époque abbasside. Démontrant par là même que le goût arabe pour les bons mots ne date pas d’hier.
Le livre se découpe en cinq parties. D’abord la période anté-islamique, pour laquelle Jean-Jacques Schmidt explique : « Dans les temps qui ont précédé l’apparition de l’islam au viie siècle, la plaisanterie revêtait un aspect éthique, moral et conservateur, dans le souci de protéger la tribu des quolibets et des injures. […] L’ironie a constitué souvent une arme puissante dans les affrontements et les rivalités. » Mais on trouve surtout dans ce chapitre des perles de misogynie que ne renierait pas Sacha Guitry ! Exemple : « Un homme avait épousé une femme petite. On lui en fit la remarque. À quoi il répondit : « La femme est un mal : un petit mal vaut mieux qu’un grand ! » » Ou encore : « Une jeune fille dit à un jeune homme qui brûlait de l’épouser : « Je suis prête à être pour toi une associée dans tous tes soucis et tes difficultés matérielles. – Mais je suis exempt de tout cela : je n’ai ni souci, ni gêne pécuniaire… – Tu en auras quand tu seras marié, mon cher ! » »
Viennent ensuite les débuts de l’islam, où « la dérision et la moquerie se sont portées contre les ennemis de la religion pour les railler et les discréditer ». Rappelons que l’islam rejetait les plaisanteries et les expressions grivoises, mais ne condamnait pas le rire, le prophète Mohammed (570-632) ayant lui-même dit : « Allégez les coeurs instant après instant, car quand les coeurs sont las, ils s’aveuglent. »
Puis, « sous la dynastie omeyyade, […] un esprit caustique, parfois frondeur et enjoué, s’est épanoui à la faveur d’un milieu social plus prospère que par le passé. » Parmi les travers épinglés à l’époque, on trouve en bonne place la cupidité, l’avarice et l’ambition. Mais aussi la bêtise : « Un homme ayant demandé à un autre où était la rue des Ânes, ce dernier répondit : « N’importe quelle rue où tu entreras ! » »
En quatrième partie, la période abbasside, qui débuta en 750, et pendant laquelle « l’humour a revêtu une forme littéraire à travers des jeux de mots, des énigmes, des traits d’esprit, des anecdotes savoureuses sur des grammairiens, des hommes de droit et de la religion ». Elle a vu naître des gens d’esprit comme Abû Nuwâs (757-815), le poète libertin, ou Jâhiz (776-868), auteur d’un Livre des avares aux accents rabelaisiens. Petit florilège :
« On dit à Abû Ishâq al-Madani : « Un homme de 80 ans peut-il avoir un enfant ? » Il répondit : « Oui, s’il a un voisin qui en a 30 ! » »
« Un homme du Hedjaz [province occidentale de l’Arabie, NDLR] dit à Ibn Chubruma [juge de Koufa] : « C’est de chez nous qu’est sortie la science ! – Oui, mais elle n’y est pas retournée ! » »
Blagues à part, ce livre recèle une mine d’informations sur les moeurs et la pensée des différentes époques. On y découvre en tous temps une liberté de ton étonnante qui tourne même en dérision la religion, les imams et les muezzins :
« Quelqu’un raconte : « J’ai vu un muezzin appeler à la prière, puis courir : Où vas-tu ? lui dis-je. Il me répondit : J’aimerais savoir jusqu’où porte ma voix ! » »
Les doctes, les savants ou les juges en prennent pour leur grade : « On raconte qu’un juriste de la campagne avait voulu être nommé dans un tribunal. Le juge lui ayant demandé s’il savait le Coran par coeur, il répondit : « Oui, et j’ai un magnifique Coran de la main de l’auteur ! » [c’est-à-dire de Dieu…] »
Cette sympathique anthologie est peuplée de faux prophètes et de vrais bossus, d’aveugles rusés, de femmes belles mariées à des hommes laids, de pique-assiette sans gêne et de pingres en tout genre. Avec une constante misogyne qui traverse l’Histoire, comme dans cette anecdote : « Abû l-Khandaf avait répudié sa femme qui lui dit : « Comment ?! Abû l-Khandaf ! Tu me répudies après cinquante années passées ensemble ? – C’est la seule chose que je te reproche ! » »
Le livre se clôt sur l’évocation de Joha, personnage humoristique dont les facéties sont connues du Maghreb au Moyen-Orient. Allez, une dernière blague pour la route : « Joha, ayant entendu quelqu’un dire : « Comme la lune est belle ! » s’écria : « Oui, par Dieu ! Surtout la nuit ! » »

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