Tunisie : la grâce présidentielle accordée à Borhène Bsaïes, « une affaire politique de A à Z » ?

Condamné à deux ans de prison pour un emploi fictif, l’ex-propagandiste de Ben Ali et actuel chargé des affaires politiques de Nidaa Tounes a été gracié lundi 10 décembre par le président Béji Caïd Essebsi. Une décision saluée par ses partenaires politiques mais dénoncée par les militants anti-corruption.

Borhène Bsaïes, chargé des affaires politiques de Nidaa Tounes. © Capture d’écran Youtube/Mosaïque FM

Borhène Bsaïes, chargé des affaires politiques de Nidaa Tounes. © Capture d’écran Youtube/Mosaïque FM

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Publié le 13 décembre 2018 Lecture : 5 minutes.

« Symbole de la connivence entre médias et politique », selon ses détracteurs, Borhène Bsaïes a été libéré après deux mois derrière les barreaux, bénéficiant d’une grâce présidentielle. Le 2 octobre dernier, l’intéressé avait été condamné par la Cour d’appel de l’Ariana à deux ans de prison ferme et 198 000 dinars d’amende avec exécution immédiate, pour avoir occupé pendant six années, sous le régime de Ben Ali, un poste jugé fictif au sein de la Société tunisienne d’entreprises de télécommunications (Sotetel), filiale de Tunisie Télécom.

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La décision de sa libération a été saluée publiquement par des membres de Nidaa Tounes, dont il est le chargé des affaires politiques. Soufiene Toubal, à la tête du groupe parlementaire du parti, n’a pas caché sa joie sur les réseaux sociaux. « Il est revenu. Merci Monsieur le président. Vive la Tunisie ! », a-t-il écrit dans un post sur sa page Facebook.

La grâce présidentielle a toutefois été dénoncée par l’opposition et par des activistes de la lutte contre la corruption. L’ONG « I Watch » a ainsi décrit cette libération comme une « consécration du droit à l’impunité ». Khalil Zaouia, président du parti Ettakatol (gauche), a également qualifié au micro de Jawhara FM la décision du président d’ « atteinte à la lutte contre la corruption ».

« C’est le président qui décide, c’est tout »

Contacté par Jeune Afrique, Firas Guefrech, conseiller – chargé de la communication – auprès du président, nie tout conflit d’intérêt. « Il aurait pu être du Front Populaire, cela n’aurait rien changé. L’avocat du condamné a demandé une grâce présidentielle et le chef de l’État a usé de son droit constitutionnel pour y répondre », assure-t-il. Impossible d’en savoir plus sur les motivations du président : « La Constitution n’a pas exigé qu’il présente des raisons lors de l’application de cette prérogative. Il n’a pas à le faire. C’est le président qui décide, c’est tout », évacue le conseiller.

Pour Béji Caïd Essebsi, c’est une manière de répondre à Youssef Chahed et de lui prouver que lui aussi a des pouvoirs

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Un mutisme qui ne convainc pas l’ensemble des observateurs. La libération rapide de l’ex-propagandiste de Ben Ali est suspecte pour certains. En effet, si la grâce présidentielle est légale dans le cas de Borhène Bsaïes, il n’est pas habituel d’appliquer ce traitement d’exception à un stade aussi précoce de la peine. « Pour Béji Caïd Essebsi, c’est une manière de répondre à Youssef Chahed et de lui prouver que lui aussi a des pouvoirs », croit savoir Mounir Charfi, intellectuel à l’initiative de l’Union civile, une alliance constituée en vue des municipales de mai 2018 entre onze partis du centre et des candidats indépendants.

« Cette affaire est politique de A à Z. Son incarcération comme sa libération sonnent comme un règlement de comptes », analyse-t-il. « Borhène Bsaïes représente la vitrine de ce qu’il reste de Nidaa Tounes. Il manie bien le verbe et c’est peut-être l’homme le plus éloquent du parti. Il donnait un petit plus à la formation, en chute libre ces derniers temps. Le mettre en prison, c’était ternir davantage l’image de Nidaa Tounes, et cela arrangeait bien le chef du gouvernement », conclut l’écrivain.

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Une justice « sélective »

La condamnation de Bsaïes avait elle-même suscité nombre d’interrogations parmi ses proches. En effet, plus de sept ans s’étaient écoulés depuis qu’une plainte avait été déposée contre lui par des agents de la Sotetel. Un mandat de dépôt avait été émis à son encontre en avril 2013, avant qu’il ne soit très vite libéré. Son dossier était toutefois resté en cours d’instruction. Oussama Romdhani, l’ancien ministre de la Communication et ex-PDG de l’ATCE – agence de propagande de Ben Ali – , avait lui aussi été arrêté et libéré au même moment dans le cadre de cette affaire, mais n’a plus été inquiété depuis. Une décision qu’utilisent certains proches de Borhène Bsaïes comme preuve d’une justice « sélective ».

Le tribunal de première instance l’avait condamné une première fois à une peine de deux ans de prison et 198 000 dinars d’amende pour « usage de son statut pour l’acquisition de profits, pour lui et pour des proches, ainsi que pour mauvaise gestion administrative », conformément à l’article 96 du Code pénal, qui prévoit pour cela une peine de dix ans d’emprisonnement. Dans la même affaire, la justice décidait d’acquitter Hédi Firoui (ex-directeur général de Sotetel), Mohamed Hédi Dridi (ex-PDG de Sotetel), Montassar Ouali (ex-PDG de Tunisie Télécom), et l’ancien président Ben Ali, en vertu de l’article 3 de la loi sur la réconciliation administrative entrée en vigueur en octobre 2017.

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Borhène Bsaïes n’en a toutefois pas bénéficié, car la mesure ne s’applique qu’aux fonctionnaires qui n’ont pas reçu de malversations à titre personnel. Une disposition qui n’a pas empêché certains dirigeants de Nidaa Tounes de crier à l’injustice. « Bsaïes est condamné, mais les coupables sont parmi nous ! », avait par exemple écrit Abdelaziz Kotti, député nidaoui, dans un statut Facebook.

En octobre dernier, le jugement avait été confirmé par la Cour d’appel. Le chargé des relations politiques à Nidaa Tounes avait été arrêté à bord de son véhicule par une brigade permanente de la police à Tunis, quelques heures seulement après l’énoncé du verdict. Sa femme, Saloua Bsaïes, avait alors assuré que son mari avait remboursé ses six années de salaires auprès du Trésor public. Une information que nous n’avons pu vérifier.

Bsaïes, un homme de relations

La carrière de Borhène Bsaïes lui vaut aujourd’hui la réputation d’être un véritable « mercenaire ». Après une brève absence suite au départ de Ben Ali, le journaliste est très vite revenu sur le devant de la scène médiatico-politique. Dès octobre 2011, il fait son come-back aux côtés de Slim Riahi, sulfureux hommes d’affaires – aujourd’hui secrétaire général de Nidaa Tounes et à l’étranger après avoir déposé plainte contre le chef de gouvernement Youssef Chahed. Ce dernier, propriétaire de la nouvelle chaîne Attounssia TV, l’embauche comme conseiller médiatique. Borhène Bsaïes est notamment apparu de nombreuses fois sur les plateaux de la chaîne, en tant que chroniqueur ou présentateur d’émissions.

Il est notamment réputé pour être un proche de Hafedh Caid Esebssi, directeur exécutif de Nidaa Tounes et fils du chef de l’État

En novembre 2013, en froid avec Slim Riahi, il rejoint la concurrente Nessma TV, propriété de Nabil Karoui, un homme connu pour ses liens avec les dirigeants de Nidaa Tounes. Il en devient alors directeur de la communication. Borhène Bsaïes démissionne de son poste en avril 2016 pour se lancer en politique. Un an plus tard, il rejoint les rangs du parti présidentiel comme chargé des affaires politiques. Il est notamment réputé pour être un proche de Hafedh Caid Esebssi, directeur exécutif de la formation et fils du chef de l’État.

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