Les journalistes font leur cinéma

La rédaction de J.A.I. a été invitée à présenter les films qu’elle a préférés en 2005. Il y en a de tous les genres et pour tous les goûts. Moteur !

Publié le 2 janvier 2006 Lecture : 9 minutes.

L’objectivité est, dit-on, l’une des qualités premières du journaliste. Une fois n’est pas coutume, la sélection qui suit se veut résolument subjective. Invités à présenter le film qu’ils ont préféré en 2005, nos collaborateurs se sont donc prêtés à un exercice très personnel. Deux uvres ont notamment rencontré un large écho : Caché, le long-métrage du réalisateur autrichien Michael Haneke (interprété par Juliette Binoche et Daniel Auteuil) le plus souvent cité mais que, paradoxalement, personne n’a retenu ici et De battre mon cur s’est arrêté (de Jacques Audiard, avec Romain Duris et Niels Arestrup). Et comme les contributions pleuvaient, en particulier pour ce dernier film, les premières arrivées ont eu la priorité (bien joué Élise!). Ouverts à tous les genres cinématographiques, nous avons encouragé la diversité et l’originalité, la seule contrainte étant de limiter son choix à une production sortie dans les salles francophones en 2005. À défaut de pouvoir vous les projeter sur grand écran, nous vous souhaitons une agréable lecture.

À chacun son coup de cur

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De battre mon coeur s’est arrêté
Réalisé par Jacques Audiard

Jacques Audiard avait déjà marqué un point dans le classement de mes réalisateurs favoris avec le violent et silencieux Sur mes lèvres, sorti en 2002. Je n’étais pas la seule d’ailleurs, puisqu’il avait obtenu le césar du meilleur scénario, et son interprète Emmanuelle Devos, celui de la meilleure actrice. Ils nous sont tous deux revenus cette année avec De battre mon coeur s’est arrêté. Dans un Paris noir, Tom (incarné par l’étonnant Romain Duris) s’adonne aux activités louches de promoteur immobilier, suivant le chemin de sa brute de père (Niels Arestrup). Le souvenir de sa mère, morte prématurément, vient le ramener à de plus douces mélodies. Une musicienne chinoise l’aide à reprendre – non sans difficultés – le chemin des concerts. Audiard échappe aux clichés en dressant avec subtilité le portrait d’un jeune homme tiraillé entre deux mondes que tout oppose.

A Perfect Day
Réalisé par Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige

Si je m’en tiens aux latitudes arabes, je dois avouer un faible pour la jeune génération de réalisateurs libanais qui construisent depuis quelques années l’une des cinématographies les plus inspirées. Dans A Perfect Day, du tandem Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, il y a la lumière, la mer et le tragique méditerranéen. Ce film raconte la journée de Malek (26 ans) qui, quinze ans après la disparition de son père, accompagne sa mère qui va finalement déclarer officiellement la mort de son mari. Après de longues années d’absence, de vide et d’attente, le deuil peut enfin commencer. Mais Hadjithomas et Joreige sont des cinéastes, ils ne se contentent pas de nous raconter une histoire. Ils nous livrent aussi des sons et des images qui nous transportent au plus intime de Malek et nous prêtent ses yeux et ses oreilles pour appréhender Beyrouth, l’autre personnage de ce film tout à la fois triste, léger et plein d’espoir… un peu comme la vie.

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La Chute
Réalisé par Olivier Hirschbiegel

Berlin, avril 1945 : les douze derniers jours de la vie d’Adolf Hitler, terré au fond de son bunker écrasé de bombes, du délire au suicide final. Un demi-siècle plus tard, cette adaptation caméra à l’épaule du best-seller de Joachim Fest et des Mémoires de Traudl Junge, la secrétaire particulière du dictateur nazi, se reçoit comme un coup de poing à l’estomac. L’Histoire dans ce qu’elle a de plus sombre, vue de l’intérieur. L’interprétation remarquable de Bruno Ganz confère à ce film un aspect particulièrement inquiétant : le monstre était aussi un homme presque comme les autres – difficile donc de nous exonérer tout à fait de ses crimes…

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Va, vis et deviens
Réalisé par Radu Mihaileanu

En 1984, la famine qui sévit en Afrique pousse un millier de personnes à se retrouver dans des camps au Soudan. À l’initiative d’Israël et des États-Unis, une vaste action est menée pour emmener des milliers de juifs éthiopiens en Israël. Pour sauver son fils Schlomo de la mort, une mère chrétienne s’arrange pour que celui-ci fasse partie du convoi. Déclaré orphelin, le garçon, âgé de 9 ans, arrive en Terre sainte où il est adopté par une famille séfarade de Tel-Aviv. Schlomo grandit avec la peur que l’on découvre son double secret : ni juif ni orphelin. Il découvrira l’amour, la judéité, la culture occidentale, mais aussi le racisme et la guerre des Territoires occupés. Une fresque émouvante d’une grande intelligence de coeur, portée par la superbe musique d’Armand Amar. Un puissant message humaniste.

Le Cauchemar de Darwin
Réalisé par Hubert Sauper

Le documentaire reprend une place éminente parmi les genres cinématographiques qui triomphent sur le grand écran. Le mérite en revient à une nouvelle génération de documentaristes de divers pays qui ont su réaliser de véritables oeuvres d’auteur dignes des meilleures fictions. Le Cauchemar de Darwin, qui a obtenu un succès mondial en 2005, est à cet égard exemplaire même si certains aspects de la démonstration qu’il propose sont discutables. Ce film, tourné dans la région de l’Afrique des Grands Lacs, dénonce une catastrophe écologique (l’introduction malencontreuse d’un redoutable poisson prédateur dans le lac Victoria) dont les conséquences directes ou indirectes (malnutrition, corruption, trafic d’armes, désocialisation…) apparaissent dramatiques. Ce qui permet de démonter les méfaits de la mondialisation sur des économies fragiles comme celles du Continent. Le tout, résultat d’un travail d’investigation peu banal, peut se voir comme un polar – voire un film d’épouvante -, sans interdire pour autant au spectateur de s’interroger sur ce qu’on lui montre.

Rize
Réalisé par David Lachapelle

Les épaules sursautent, le buste suit et c’est tout le corps qui s’emballe. Le danseur de krumping ondule dans une frénésie maîtrisée et improvisée. Parfois, la transe arrive, il finit en larmes et disparaît sur un brancard. Les danseurs de Rize ne sont pas des acteurs, seulement des habitants des ghettos de Los Angeles, presque tous jeunes et noirs, que le réalisateur américain David Lachapelle a trouvés à mesure de son immersion dans l’univers du krumping. Les fidèles – la pratique rappelle parfois le rite – s’y jettent corps et âme, ils refusent le gang, et leurs joutes se règlent à coups de chorégraphies. Galvanisé, le spectateur leur envie ce dérèglement de tous les sens. Qui a du sens.

L’Esquive
Réalisé par Abdellatif Kechiche

C’est l’histoire de Krimo, Lydia, Frida, Fathi, Rachid et Magali. Ils s’ennuient, tournent en rond dans leur cité HLM. Arbres dépouillés, univers de béton, parents absents ou en prison : l’univers classique des banlieues est planté. Mais pas de clichés. Exit la haine, les tournantes, les amours violentes. À l’école, la prof de français leur fait jouer Le Jeu de l’amour et du hasard. Entre le théâtre de Marivaux et la cité des Francs-Moisins, trois siècles et un fossé culturel énorme. Et pourtant, ça marche ! Kechiche réussit le pari de réunir ces deux mondes, ces deux langages aux antipodes l’un de l’autre, sans tomber dans la facilité. Comme Marivaux, il superpose les histoires, exalte les sentiments amoureux. Le réalisateur d’origine tunisienne réalise là un vrai chef-d’oeuvre, avec… moins de 1 million d’euros. Le landernau du cinéma français en est d’ailleurs resté bouche bée.

Paradise Now
Réalisé par Hany Abu-Assad

Paradise Now ou les dernières heures de deux kamikazes palestiniens. Le sujet est brûlant, il est délicat, il aurait pu être suicidaire. Mais Hany Abu-Assad a su éviter les pièges et se jouer des clichés, avec maîtrise et sensibilité. Saïd et Khaled, interprétés par un Kais Nashef au regard pénétrant d’enfant buté et un Ali Suliman au sourire ravageur, sont deux jeunes hommes ordinaires et amis de longue date. Engagés dans une faction politique, ils sont désignés pour commettre un attentat-suicide. C’est la première fois qu’un film explore les moments précédant l’acte, et ceci de l’intérieur. Hany Abu-Assad n’est jamais complaisant à l’égard des terroristes en devenir. Il sait aussi désamorcer la tension avec une pointe d’humour et la scène du soleil couchant sur Naplouse est un pur moment de poésie. Le film ne rate pas sa cible : il va droit au coeur.

Capitaine Sky et le monde de demain
Réalisé par Kerry Conran

Voilà un film à la fois génial et banal. L’intrigue ne tient pas debout, les personnages sont caricaturaux et la musique pastiche à souhait les thèmes de Star Wars. Mais ce sont justement l’autodérision et l’orgie de références cinématographiques qui en font un divertissement de choix. Dans une ambiance années 1930, Captain Sky, aviateur aux prouesses légendaires, enquête avec Polly Perkins, journaliste casse-pieds, sur le mystère qui entoure la disparition de scientifiques et l’apparition soudaine d’une flotte de robots qui survolent Gotham City (comme la cité de Batman). Entre autres péripéties, ils doivent atterrir sur le Venture (du nom du navire qui transporta King-Kong), un incroyable porte-avions volant. Visuellement, le spectacle inventé par le réalisateur britannique est saisissant. Un véritable festin d’effets spéciaux, parfaitement intégrés au film, qui créent un univers crédible et magique. À mon avis, le film d’aventures le plus réussi depuis Indiana Jones.

Sideways
Réalisé par Alexander Payne

Sideways, c’est un film qui fait un peu le même effet que boire un verre de vin chaud par un morne après-midi d’hiver européen. Le film raconte l’histoire de deux amis qui décident d’aller faire le tour du vignoble californien. Il y a d’un côté Miles, un écrivain raté qui vient de divorcer, à la recherche d’une virée pour oublier ; de l’autre, Jack, un acteur sur le point de se marier et avide de goûter une dernière fois à la liberté… Très proches, les deux compères n’ont pourtant rien en commun, sinon leurs ambitions déçues et leur inquiétude face au temps qui passe. De dégustation en dégustation, Miles et Jack se noient dans le vin et les parfums féminins… De bonnes bouteilles, des femmes et des copains : contrairement aux apparences, Sideways n’est pas un film destiné au seul public masculin… À l’heure de prendre le chemin du retour, Miles et Jack se posent des questions qui interrogent tout un chacun.

Star Wars
La Revanche des Sith
Réalisé par George Lucas

Qu’on ne s’y trompe pas, le dernier épisode de la saga Star Wars n’est pas un film culte à porter au panthéon du septième art. En revanche, c’est un bon divertissement, suffisamment doté d’action, de bons sentiments, d’effets spéciaux et de rebondissements. La Revanche des Sith est le troisième volet de la « prélogie » (nouvelle trilogie précédant la trilogie originale) débutée par le réalisateur George Lucas en 1999. Le film raconte comment le protagoniste principal, Anakin Skywalker (Hayden Christensen), alors qu’il avait pris un excellent départ dans la vie, cède aux forces du mal et devient le terrible Dark Vador, qui hantera les films suivants. La République cède le pas à l’Empire et l’Ordre des chevaliers Jedi, garant de la sagesse des nations, disparaît. C’est l’histoire universelle de la tentation de la dictature, qui rend par ailleurs fort intéressant cet épisode sombre de la saga. La musique, signée par le compositeur John Williams, est exceptionnelle.

Match Point
Réalisé par Woody Allen

Confortablement installé dans son fauteuil, le spectateur se délecte d’avance. Le nouveau Woody Allen s’ouvre sur une balle de tennis qui frôle le filet. Une voix off explique que si la baraka est avec nous, la balle tombera du côté adverse, sinon, on a perdu. Jeu, set et Match ! Cette balle symbolise le destin du jeune et beau héros, sorte de Rastignac dont la veulerie le poussera au(x) meurtre(s). Passé la première demi-heure de projection, j’étais surprise, déroutée. Match Point est inattendu à plus d’un titre : changement d’univers – bye-bye les bobos new-yorkais, hello les aristos londoniens ! -, de thématiques – exit l’humour juif, la psychanalyse, etc. -, de genre – on est loin du registre de la comédie et définitivement dans la gravité avec ce drame cynique, pessimiste, amoral, cruel et noir. Si l’oeuvre n’en reste pas moins « allenienne », Match Point marque un virage radical dans la filmographie du maître.

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