Le patient algérien

Depuis sa réapparition à la télévision après une absence de trois semaines, le président n’intéresse plus guère les médias, qui avaient multiplié les analyses alarmistes.

Publié le 2 janvier 2006 Lecture : 5 minutes.

Abdelaziz Bouteflika a traversé, entre le 26 novembre et le 17 décembre, une douloureuse épreuve : une intervention chirurgicale, à l’hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce, consécutive à un ulcère hémorragique, le tout suivi d’une convalescence, trop longue aux yeux de certains, notamment des médias français et marocains, qui n’ont pas hésité à spéculer sur les capacités du président à gouverner.
Pour l’instant, Boutef a réussi à transformer cet épisode en victoire politique. Les scènes de liesse populaire se sont généralisées après la diffusion, le 17 décembre, par la télévision algérienne, des premières images du convalescent, fatigué mais souriant. Partout, dans les villages et les grandes agglomérations, dans les cités universitaires et sur les chantiers, les larmes se mêlaient aux cris de joie, donnant toute la mesure de l’angoisse qui avait saisi l’Algérie profonde. « Le bulletin médical du 5 décembre nous avait tranquillisés, mais le matraquage médiatique faisant état du décès de Boutef nous avait sérieusement perturbés, raconte Mounir, jeune cadre commercial au sein d’un grand groupe industriel étranger. Une sainte panique nous avait pris à la gorge. Maintenant que je l’ai vu, je reprends espoir. » Quand, à son tour, Boutef a vu les images de ces Algériens de tous âges, de toutes les régions, pleurant de joie, il a pris sa plume, le 18 décembre, pour leur envoyer une lettre d’amour et de reconnaissance pour toutes ces prières qui ont contribué à alléger sa souffrance. S’adressant aux institutions et aux organisations de la société civile, aux partis politiques et aux citoyens, le président a loué leur mérite dans le fonctionnement normal du pays, au grand dam de ceux qui ont alimenté « les rumeurs tendancieuses ». Curieusement, les médias, qui avaient mobilisé une grande partie de leurs rédactions au moment où les spéculations tenaient lieu d’informations, ont cessé de s’intéresser au cas Boutef dès sa réapparition télévisuelle. Les journaux français et marocains avaient multiplié les analyses alarmistes : l’état de santé du président l’empêchait de revenir aux affaires, l’Algérie était au bord de la rupture, « les généraux » avaient repris le pouvoir, Larbi Belkheir, général à la retraite, ex-directeur de cabinet de Boutef, aujourd’hui ambassadeur à Rabat (en fait, il n’a toujours pas présenté ses lettres de créances à Mohammed VI, officiellement pour cause d’agenda royal saturé), avait présidé une réunion à Alger, autour de Mohamed Lamari (ex-chef d’état-major à la retraite) Mohamed Touati (général major à la retraite) et Khaled Nezzar (ancien ministre de la Défense). Contacté par J.A.I. à Rabat, Larbi Belkheir a donné dans l’ironie : « Il faudrait que certains journalistes cessent de me voir un peu partout. À moins que je ne dispose de dizaines de sosies. » Le général Lamari rentre à peine d’un pèlerinage à La Mecque. Quant au général Touati, longtemps éminence grise de l’armée, il savoure les premiers mois de sa retraite dans la région de Béjaïa.
Malgré les démentis et les communiqués, officiels ou non, les rumeurs n’ont pas cessé. Pis : même les images diffusées étaient suspectes aux yeux de ceux qui annonçaient la mort de Boutef. Du coup, certains ont abondamment commenté son teint blafard, occultant le fait que le patient avait subi une intervention chirurgicale assez lourde. Ou encore le breuvage que buvait le président était, objet de toutes les supputations : « Mais qu’était-ce donc ? » s’interroge un chroniqueur radio. Eh bien, c’était du thé, tout simplement. Le même que celui proposé au professeur Messaoud Zitouni, auteur du bulletin médical, venu donner des explications à l’équipe de la télévision algérienne dépêchée à Paris pour recueillir les premières images de Boutef.
Si l’attitude de la presse française n’a pas surpris grand monde en Algérie, celle des médias marocains laisse quelque peu perplexe. « Pourquoi ai-je eu le sentiment que le traitement réservé par les journaux marocains concernant la maladie de notre président était quasi jubilatoire, indécent, proteste Djamila, dentiste à Blida ? Comme si toutes les épreuves traversées par ce peuple ne méritaient aucune compassion. On souhaite presque voir les Algériens continuer à s’entre-tuer. Cet épisode aura eu un mérite : nous montrer qui sont nos vrais amis. » Parmi ces « véritables amis » : la Tunisie. Un ministre algérien raconte : « Au lendemain de l’annonce du transfert du chef de l’État vers le Val-de-Grâce, le président Zine el-Abidine Ben Ali a tenté d’entrer en contact avec l’entourage de Bouteflika à Paris. Il lui a été expliqué que c’est le Premier ministre qui était en charge de la communication sur la maladie de son homologue algérien. Il a donc appelé Ahmed Ouyahia, qui l’a rassuré. Ce ne fut pas le cas du roi Abdallah Ibn Abdelaziz. Quand le Saoudien a reçu la même réponse, il a chargé son directeur de cabinet d’appeler Ouyahia. Ben Ali a fait mieux. Lorsque les rumeurs de cancer ou de mort clinique se sont faites insistantes, il a dépêché à Alger un membre de son gouvernement pour en avoir le coeur net. Les propos qui lui ont été communiqués ont totalement rassuré le président tunisien. » Ben Ali a été le seul chef d’État maghrébin à suivre, pratiquement en temps réel, l’évolution de l’état de santé de Boutef. Le Mauritanien Ely Ould Mohamed Vall s’est contenté des nouvelles que lui avait données le chef de la diplomatie algérienne, Mohamed Bedjaoui, à Bamako, lors du sommet Afrique-France. Le roi du Maroc a envoyé un message au lendemain de la sortie de Boutef de l’hôpital. Quant à Kadhafi, il n’a pas jugé utile d’en faire autant. Côté africain, deux chefs d’État ont été les plus prompts à réagir : le Sud-Africain Thabo Mbeki et l’Ivoirien Laurent Gbagbo.
Comment se passe la convalescence de Boutef ? Bien, merci. Les autorités françaises ont mis à sa disposition une résidence d’État pour y passer quelques jours avant de prendre le chemin du retour. Mais même celui-ci a fait l’objet de spéculations. Dans son adresse au peuple, Boutef a saisi l’occasion pour lui présenter ses voeux pour la nouvelle année et l’Aïd el-Adha (le 15 janvier). Ce qui a laissé supposer que le retour présidentiel était prévu au-delà de cette date. Toutefois, une échéance légale devrait faire en sorte qu’il intervienne plus tôt. En effet, la loi de finances 2006, adoptée par le Parlement, devrait être promulguée avant le 31 décembre. Or une disposition constitutionnelle interdit la promulgation de toute loi par le chef de l’État en dehors du territoire national. Cela confirme l’information que nous avait communiquée, le 15 décembre, Larbi Belkheir : « Le président sera à Alger avant la fin de l’année. »

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