Le choc est encaissé

Les hausses de la facture énergétique ont finalement eu peu de répercutions sur la croissance des pays industrialisés.

Publié le 3 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

Le troisième choc pétrolier n’a pas eu lieu. Pourtant, en l’espace de deux ans, le cours du baril d’or noir a plus que doublé, passant de moins de 30 dollars fin 2003 à plus de 60 dollars en cette fin d’année 2005. Avec des pics à plus de 70 dollars en août dernier à la suite des dégâts provoqués par l’ouragan Katrina sur le sud des États-Unis. Dans le contexte actuel, où la production peine à satisfaire l’augmentation de la demande, le moindre incident se reflète immédiatement sur le prix du baril. Et se traduit par une hausse de la facture énergétique des consommateurs.
Nombre d’ « experts » se sont donc empressés d’agiter le chiffon rouge d’un troisième choc pétrolier, faisant référence aux hausses soudaines du brut en 1973 et 1979 et à la récession économique mondiale qui s’ensuivit. Mais les pays industrialisés demeurent sur la voie d’une croissance, certes modérée. S’il est difficile d’évaluer l’impact de la hausse des cours du pétrole sur l’économie – certains parlent de 0,5 % de croissance en moins pour 10 dollars supplémentaires sur le baril -, une chose est sûre : cette fois-ci, l’effet est moindre. « Le choc avait été insupportable au début des années 1980, où le prix avait atteint l’équivalent de 80 dollars d’aujourd’hui. À l’époque, l’industrie avait besoin de deux barils de pétrole pour créer 1 000 dollars de valeur ajoutée. Aujourd’hui, il n’en faut plus que 0,6 » explique Jean-Marie Chevalier, directeur du Centre géopolitique de l’énergie et des matières premières et coauteur de l’ouvrage Les Grandes Batailles de l’énergie (Gallimard). Transport et chauffage plus économiques, développement des services ont rendu la croissance des pays industrialisés trois fois moins gourmande en énergie. Même si des écarts importants subsistent d’un continent à l’autre : la Chine utilise 1 150 litres de brut pour produire 1 000 dollars de PIB, alors que les États-Unis se contentent de 330 litres et l’Union européenne de 180.
De plus, le paysage énergétique de la planète a considérablement évolué au cours des vingt-cinq dernières années. Les pays industrialisés ont réduit leur dépendance à l’or noir. Le pétrole ne représente plus que le tiers de la consommation énergétique mondiale, contre la moitié en 1973. La France, par exemple, n’en utilise pratiquement plus pour produire son électricité, qui provient à 80 % de centrales nucléaires, le complément étant fourni par les barrages hydroélectriques. En dépit des polémiques qu’il suscite, le modèle pourrait faire des émules jusqu’aux États-Unis, où le nucléaire connaît un retour en grâce vingt-six ans après l’accident de Three Miles Island. De son côté, la Chine a prévu de s’équiper de trente-deux centrales nucléaires d’ici à 2020.
Le pétrole demeure néanmoins la première source d’énergie de la planète, devant le charbon et le gaz. Il devrait conserver sa place dominante dans les décennies à venir, talonné par le gaz (voir infographie p. 92), les espoirs suscités par les énergies renouvelables – solaire ou éolien – ou biologiques – carburants d’origine végétale, comme l’huile de colza – demeurant somme toute modérés. « Le développement des transports, fortement dépendants du pétrole, pourrait poser un vrai problème », indique Jean-Marie Chevalier. Plus de la moitié de l’or noir de la planète finit en effet dans les réservoirs des avions et des voitures. Une proportion appelée à augmenter avec la croissance du parc automobile, étant donné qu’il n’existe pas pour l’instant de véritable alternative. N’en déplaise aux pessimistes de l’Aspo (Association for the Study of the Peak Oil), selon lesquels l’heure du déclin aurait bientôt sonné, l’or noir a encore de beaux jours devant lui. « En l’état actuel des réserves prouvées et de la consommation, il en reste pour quarante ans, explique Jean-Pierre Favennec, directeur du Centre économie et gestion de l’École du pétrole et des moteurs, affilié à l’Institut français du pétrole (IFP). Les nouvelles découvertes et les progrès techniques permettront sans aucun doute de repousser l’échéance. »
La hausse des cours du brut change également la donne, puisqu’elle permet aux compagnies pétrolières de se lancer dans des projets d’exploration et de production qui n’étaient pas rentables à l’ère du baril à 20 dollars. « Aujourd’hui, l’exploration est plus coûteuse, et les chances de réussite sont plus réduites puisque les champs les plus accessibles ont déjà été mis au jour », affirme Andrew Latham dans une étude du très réputé cabinet énergétique écossais Wood Mackenzie. S’ils sont divisés sur le niveau des ressources enfouies dans le sous-sol de la planète, les experts s’accordent au moins sur un point : la fin du pétrole facilement exploitable. Les progrès technologiques ont permis de se lancer à l’assaut de zones difficiles d’accès, comme les eaux très profondes du golfe de Guinée. Mais la plus grande révolution concerne les pétroles dits non conventionnels, comme les huiles lourdes du Venezuela et les sables bitumineux du Canada, qui apparaissent comme le nouvel eldorado pétrolier, en dépit des investissements colossaux nécessaires à leur exploitation et à leur traitement.
Le français Total s’est lancé dans l’aventure canadienne en acquérant la totalité du site nommé Deer Creek, qui devrait permettre la production de 2 milliards de barils sur trente ans. Avec un rendement naturellement beaucoup moins élevé que celui de l’or noir léger d’Arabie saoudite… et un coût inversement proportionnel. Sans compter les problèmes d’environnement et l’énergie nécessaire à la transformation, qui font envisager la construction d’une centrale nucléaire à proximité de ces gisements.

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