Hugo Chávez George W. Bush

Publié le 2 janvier 2006 Lecture : 5 minutes.

Hier, la grande figure de l’altermondialisme, le chef de file des pays du Sud, c’était Luiz Inácio Lula da Silva. Mais le militant ouvrier devenu président du Brésil a donné l’impression de ménager un peu trop la chèvre et le chou et de s’épuiser dans un grand écart improbable entre réformes sociales et orthodoxie financière. Du coup, c’est le Vénézuélien Hugo Chávez qui a pris la relève.
Le 3 novembre, à Mar del Plata (Argentine), il s’est fait applaudir par quarante-cinq mille personnes rassemblées dans le stade de la ville aux cris de « Bush fasciste, c’est toi le terroriste ! ». Le lendemain, troquant sa chemise rouge contre un costume sombre, il participait au IVe Sommet des Amériques, au cours duquel le président américain l’ignora ostensiblement. Le duel attendu entre le macho latino et le cow-boy texan n’a donc pas eu lieu ce jour-là. Mais ce n’était que partie remise. D’autant que, avec l’aide de Lula et de Nestor Kirchner, le président argentin, Chávez vient de mettre une nouvelle fois en échec le projet américain de création d’une Zone de libre-échange des Amériques (Zlea, ou Alca en espagnol).
Accusé par l’administration Bush de constituer une « menace » pour la « démocratie en Amérique latine », le Comandante a immédiatement répliqué : « Le plus grand danger, c’est le gouvernement des États-Unis. Le peuple américain est gouverné par un assassin, un génocidaire et un fou qui s’arroge le droit d’intervenir grossièrement partout à travers le monde. » Et dire que son ami Jacques Chirac l’avait, lors de leur dernière rencontre, au moins d’octobre, incité à plus de modération !
Mais cette gouaille typiquement créole fait la force de Chávez. Si le peuple le juge capable de tenir tête aux puissants de ce monde, c’est parce qu’il exprime tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Surtout en Amérique latine, où la déferlante ultralibérale a, dès les années 1980, provoqué des dégâts considérables. Au total, 20 % de la population a basculé dans l’indigence.
Exception faite de Fidel Castro, dont l’influence n’est plus guère que symbolique, c’est Chávez qui, dès 1998, a le premier brandi l’étendard de la résistance contre le « modèle américain ». S’il a vite été rejoint par Kirchner, Lula et l’Uruguayen Tabaré Vasquez, il reste le plus véhément. Et le plus déterminé. Pour mettre en oeuvre sa « révolution bolivarienne » (du nom du Libertador Simon Bolivar, qui débarrassa une partie de l’Amérique du Sud de la domination espagnole et tenta de l’unifier), il n’a pas hésité à attaquer bille en tête l’oligarchie vénézuélienne. Et celle-ci n’a pas été en reste. Le 12 avril 2002, un coup d’État militaire fomenté par divers mouvements d’opposition soutenus par la Maison Blanche n’a été déjoué que grâce à l’intervention des habitants des quartiers pauvres de Caracas. Début 2003, le patronat a lock-outé, deux mois durant, l’industrie pétrolière pour asphyxier financièrement le gouvernement. En vain. Le 14 août 2004, un référendum a été organisé pour tenter de le révoquer à mi-mandat. Sans plus de succès : bien que les médias privés aient fait campagne en faveur du oui (à son départ), le non l’a emporté avec près de 60 % des suffrages.
Ayant traversé victorieusement toutes ces épreuves, Chávez se sent aujourd’hui très fort. D’autant que, depuis son arrivée au pouvoir, il a gagné pas moins de neuf élections. Le 4 décembre, l’opposition ayant boycotté les législatives, la coalition qu’il conduisait a remporté la totalité des sièges au Parlement. Ce qui risque d’aggraver un peu plus la personnalisation de son régime.
Pendant ce temps-là, Bush s’enlise inexorablement en Irak, s’effondre dans les sondages et se trouve de plus en plus isolé en Amérique latine. Pour tenter de renverser la tendance, il a dépêché son amie Condi Rice dans la région. La secrétaire d’État a été écoutée poliment mais est repartie les mains vides. Il faut dire que, grâce à la flambée des cours du brut, le tribun de Caracas a désormais les moyens de ses ambitions. Chez lui, il mène une politique sociale assez audacieuse. À l’extérieur, il collectionne les opérations de partenariat avec ses voisins.
En 2005, une véritable transnationale sud-américaine des hydrocarbures a ainsi vu le jour. Elle a déjà bâti une raffinerie au Brésil et projette de construire un oléoduc vers l’Argentine et de prospecter le bassin de l’Orénoque. De même, les pays des Caraïbes bénéficient désormais des services de la compagnie Petrocaribe, qui leur vend du pétrole à bas prix et à très faible taux de crédit. Une chaîne par satellite (Telesur) a par ailleurs été lancée pour concurrencer CNN. Et un établissement financier (la Banque du Sud) pour financer le développement. Enfin, Chávez multiplie les opérations de troc. Avec Cuba : pétrole contre médecins et enseignants. Avec l’Uruguay : pétrole contre produits agricoles. Avec l’Argentine : pétrole contre bétail, ciment ou ascenseurs pour les hôpitaux.
Mais c’est surtout avec le géant brésilien qu’il donne la mesure de ses ambitions. Des projets de partenariat sont en cours dans de nombreux domaines, de la production de médicaments à la fabrication de matériels lourds pour l’industrie pétrolière, en passant par l’armement et l’informatique. Son but est de démontrer que les pays du Sud peuvent se développer sans aggraver leur dette ni faire allégeance à l’Empire américain. À l’occasion, il vole au secours de ses « amis » en difficulté. Il vient ainsi d’acheter, en deux temps, 1,25 milliard de dollars de bons sur la dette argentine, au moment où Kirchner s’apprête à engager de difficiles négociations avec le FMI.
Sur le plan intérieur, l’État vénézuélien a, depuis deux ans, facilité la création de 6 840 coopératives, distribué des terres en friche à des communautés villageoises et révisé à la hausse (de 34 % à 50 %) l’impôt versé par les compagnies pétrolières étrangères. En 2004, près de 4 milliards de dollars ont été affectés à divers programmes sociaux, chiffre qui devrait encore augmenter cette année. Quant à la « diabolique » alliance avec Cuba, elle aura au moins permis d’alphabétiser près de deux millions de personnes et de créer de nombreux centres de santé pour les plus défavorisés. Provocateur, Chávez est allé jusqu’à fournir du pétrole à bas prix pour chauffer quarante mille familles pauvres de Boston et de New York !
Reste à savoir si, à l’instar d’un Castro, il aura éternellement besoin d’un ennemi pour mobiliser sa base ou s’il finira par modérer son propos. Quand Bush ne sera plus là, par exemple… Car, en ce qui le concerne, on voit mal comment il pourrait ne pas être réélu en décembre 2006.

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