Dictionnaire des idées reçues

L’envolée des cours a suscité bien des commentaires. Mais les avis les plus alarmistes ne sont pas forcément les plus exacts.

Publié le 3 janvier 2006 Lecture : 8 minutes.

Il existe peu de sujets, en particulier dans le domaine économique, à propos duquel l’on lit et entend autant de contrevérités. S’agissant du pétrole, tout et le contraire de tout ont été dits et continuent à être dits au mépris des faits les plus patents. À l’instar du métal jaune, qui a rendu fous tant de chercheurs de pépites, l’or noir, si bien nommé, fait perdre la raison non seulement au grand public mais même à de nombreux supposés experts qui véhiculent, sans crainte de se contredire à quelques années de distance, des « certitudes » bien souvent on ne peut plus provisoires ou aléatoires. Parmi les très nombreuses idées fausses qui circulent régulièrement sur le présent et l’avenir du marché pétrolier, nous avons pu ainsi en sélectionner dix sans être pour autant exhaustif.

1 Le monde dispose de moins en moins de réserves.
Rien n’est plus faux. Alors qu’elles se montaient à un peu plus de trente ans de consommation annuelle mondiale au début des années 1970, quand on produisait environ 60 millions de barils par jour, elles représentent aujourd’hui environ quarante ans de
consommation, alors qu’on extrait environ 85 millions de barils par jour. Les réserves qu’on dit « prouvées » n’ont donc jamais été aussi importantes et ce n’est pas leur niveau qui est inquiétant à court terme. Même si ce niveau, du fait d’un ralentissement de l’exploration, n’augmente plus guère depuis quelque temps.

la suite après cette publicité

2 Le peak oil, moment où la production va commencer à baisser, sera atteint d’ici à
quelques années.
En fait, personne n’en sait rien. Et il est très peu probable que ce fameux peak oil soit atteint avant un horizon relativement lointain, en tout cas beaucoup plus éloigné que la fin de la décennie actuelle comme l’annoncent beaucoup de Cassandres. Bien entendu, les réserves, quelle que soit leur importance, ne sont pas inépuisables. Mais nul n’est capable de dire comment va évoluer la production et la consommation du brut en fonction
du niveau des prix or on a vu après les premiers chocs pétroliers à quel point l’« élasticité prix » était forte puisque les économies des pays développés ont pu diminuer rapidement leur dépendance au pétrole importé quand il était considéré comme trop cher ou d’accès trop peu assuré. Nul n’est à même de dire non plus à quel rythme les énergies de substitution au pétrole vont apparaître ou quelle quantité de pétrole sera extraite des
immenses réserves de sables bitumineux dont l’exploitation est très rentable aux prix actuels. Ceux qui font des pronostics précis sur l’échéance de ce fameux peak oil ne font donc qu’exprimer une opinion, souvent aussi mal fondée que celle des « experts » du Club de Rome qui annonçaient, au milieu des années 1970, en prolongeant simplement les courbes de réserves et de consommation de l’époque, une pénurie générale de matières premières
pour avant la fin du XXe siècle.

3 Le prix du brut et plus encore celui des carburants à la pompe sont plus élevés que
jamais.
C’est totalement faux si l’on raisonne, comme il se doit, en monnaie constante. D’abord pour le prix du brut, qui fut beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui au milieu des années
1970 après le premier choc pétrolier et surtout au début des années 1980 après le deuxième choc (lire pages suivantes). Mais encore plus pour le prix de l’essence à la pompe, bien que celui-ci soit très variable d’un pays à l’autre en fonction en particulier des taxes prélevées par les États et qui représentent le plus souvent l’essentiel du prix payé par le consommateur. Pour donner un exemple parlant, avec une heure de travail payée au salaire minimum garanti, un consommateur français pouvait acheter 2 litres d’essence en 1974, et 6,5 litres il y a un an. Mais, on le sait, les prix sont toujours jugés en fonction d’une impression dont les ressorts sont avant tout
psychologiques.

4 Le prix du pétrole dépend de l’offre et de la demande, c’est donc la « faute au marché »
s’il s’est envolé récemment et s’il continue à se maintenir à des niveaux élevés.
Les prix du brut sont certes liés en partie à l’offre et à la demande « réelles » mais leur fixation dépend beaucoup plus d’autres facteurs. Il suffit pour s’en persuader de remarquer que, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer en observant la hausse des prix depuis deux ans, le monde n’a jamais véritablement manqué de brut. Il n’y a eu aucune
rupture d’approvisionnement, aucun acheteur ne s’est vu répondre qu’on ne pouvait pas le livrer. D’ailleurs, l’envol des cours n’a pas suivi une crise effective du marché mais a simplement débuté en même temps que la guerre d’Irak. Et la tension sur les prix, même si elle résulte de plusieurs causes, a persisté dans la mesure même où cette guerre n’a pas donné les résultats escomptés par les Américains, notamment en matière de redémarrage
d’une production importante de brut par l’Irak, détenteur d’immenses réserves. En un mot,
les prix sont ce qu’ils sont essentiellement parce que l’on paye le prix du risque d’une rupture des approvisionnements en raison de craintes, plus politiques et stratégiques qu’économiques au sens propre du mot, des principaux consommateurs. Ce sont désormais, de ce fait, les marchés à terme des pays occidentaux qui jouent un rôle directeur sur les cours au jour le jour, indépendamment de la réalité de l’offre et de la demande du moment. Ce que l’on pense de la situation au Moyen-Orient – ou, pour le court terme, de l’impact de tel ou tel ouragan dans le golfe du Mexique ou d’une tension sur la disponibilité aux Etats-Unis de tel ou tel produit raffiné – devient l’essentiel sans qu’on tienne compte de la production effective dans les pays pétroliers.

5 Le principal moteur de la hausse des prix ces dernières années a été la subite hausse de la consommation de la Chine et, dans une moindre proportion, de l’Inde.
Il s’agit plutôt là d’une explication bien commode et donnée a posteriori que d’une cause majeure de la hausse des prix, même si ce facteur joue et jouera de plus en plus. Il suffit déjà de dire que cette consommation en forte augmentation ne surprend personne – la croissance chinoise est quasiment constante depuis un quart de siècle et son déficit de pétrole depuis une dizaine d’années n’a jamais été un secret – pour comprendre qu’il ne s’agit pas d’une évolution imprévue qui aurait tout à coup détruit l’équilibre du marché. De plus, il ne faut pas exagérer l’impact de l’appétit pétrolier d’un pays comme la Chine, qui produit près de 5 % du pétrole mondial et n’achète pas plus de pétrole que la Corée du sud, très loin derrière les très gros importateurs que sont les etats-Unis et le Japon.

la suite après cette publicité

6 Le cartel que constituent les pays producteurs de l’Opep maintient des prix élevés en empêchant la concurrence.
L’idée relève désormais de l’anachronisme ou du fantasme. L’organisation, si elle a pu jouer un rôle majeur dans les années 1970 et 1980, a perdu depuis longtemps son pouvoir. Même quand on a constitué un cartel – et il n’est d’ailleurs pas sûr que le mot s’applique au cas de l’Opep -, on ne peut influencer le marché que si l’on dispose à la fois d’une position dominante et d’une marge de manoeuvre. Or, même si les pays de l’Opep restent à terme des acteurs incontournables (en tant que détenteurs des réserves les plus importantes, en particulier au Moyen-Orient), ils n’ont actuellement aucune marge de manoeuvre puisqu’ils produisent à pleine capacité. Et ils sont fortement concurrencés depuis de nombreuses années par des exportateurs majeurs qui ne font pas partie de l’organisation (Russie, Norvège, Mexique, etc.).

7 Les exportateurs appartenant essentiellement au Sud de la planète, c’est cette région
du monde qui profite le plus des cours élevés du brut.
C’est hélas totalement faux, du moins pour la plupart des pays du Sud. Loin d’être des profiteurs de la hausse, ces pays, hormis une poignée de producteurs, sont les principales victimes de la situation actuelle. Ne disposant pas généralement de capacités de raffinage, souvent pénalisés au niveau du transport quand ils sont enclavés, dotés
d’économies peu « flexibles » qui ne se prêtent guère à une réduction de la consommation de pétrole dans l’absolu ou en important d’autres ressources énergétiques , quand les cours s’envolent, ces États subissent de plein fouet l’évolution actuelle des prix.

la suite après cette publicité

8 Les économies des pays du Nord, ainsi que l’économie mondiale en général, souffrent des prix élevés du pétrole.
Les grands dirigeants occidentaux n’arrêtent pas de le dire et tout démontre qu’il n’en est pas ainsi. Au niveau de l’économie mondiale, d’abord, les records de croissance qui caractérisent la période actuelle suffisent à démontrer que les prix du pétrole ne la
pénalisent pas outre mesure. C’est encore plus vrai pour les pays les plus riches, car leurs économies sont de moins en moins dépendantes des prix de l’énergie. De plus, ces États possèdent souvent des compagnies pétrolières, des capacités de raffinage et des compétences pour exporter leurs productions dans les pays pétroliers ou « importer » les surplus monétaires de ces derniers. Ils sont donc bien placés pour récupérer une bonne partie des « plus-values » pétrolières.

9 Les compagnies pétrolières ont tout fait pour que les prix augmentent et restent élevés.
Depuis maintenant plus de trente ans, les grandes compagnies pétrolières ont perdu leur rôle directeur. Il n’en reste pas moins vrai qu’elles profitent de la hausse des prix du brut car leurs marges, de l’exploration jusqu’à la vente à la pompe, sont pour partie
proportionnelles à ces prix. Elles profitent donc bien de la hausse même si elles ne sont que faiblement responsables de celle-ci. D’autant que les grandes entreprises préfèrent opérer autant que possible sur des marchés prévisibles plutôt que de subir des « chocs » à la hausse comme à la baisse. On peut cependant leur reprocher d’avoir limité leurs investissements pendant de nombreuses années, aussi bien en matière de prospection que de
raffinage, ce qui contribue à entretenir aujourd’hui la tension sur les prix.

10 Le pétrole sera bientôt remplacé par d’autres énergies, notamment l’hydrogène, en particulier pour le transport.
Un jour ou l’autre cela se produira. Mais cela ne se produira que lentement, beaucoup plus lentement que ne le disent les thuriféraires des nouvelles énergies. D’abord parce que le pétrole est et restera de loin pendant longtemps la source d’énergie la plus
commode à utiliser, la plus « liquide » comme disent les spécialistes, en particulier
pour le transport. Ensuite parce que le développement, économiquement viable, des énergies de substitution, comme l’hydrogène, s’annonce fort long et difficile. On ne le sait pas assez : pour produire de l’hydrogène, il faut aujourd’hui utiliser en grande quantité des hydrocarbures. L’économie de l’hydrogène, ce n’est pas pour demain, mais au mieux pour après-demain.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires