Au milieu du gué

Publié le 2 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

« Il va falloir travailler très dur dès le début de l’année prochaine… » Sitôt achevée la conférence interministérielle de Hong Kong (13-18 décembre), le Français Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a rappelé aux 150 pays membres désireux de boucler le cycle de Doha à la fin de 2006 que le temps leur était compté. Une échéance qu’il semble difficile de repousser, car les pouvoirs « spéciaux » de l’administration américaine en matière de négociation commerciale prennent fin en juin 2007. Après cette date, la ratification d’un accord par le Congrès pourrait être plus compliquée, d’autant que les parlementaires se montrent de plus en plus hostiles envers une OMC qui n’a pas hésité à condamner Washington sur le coton et l’acier.
Si l’année qui commence est porteuse d’espoir, la route est encore longue et les obstacles sont très nombreux. L’accord obtenu à Hong Kong est une avancée mineure, loin de l’objectif initial, qui était de boucler les deux tiers des négociations. Mais il a tout du moins l’avantage de ne pas avoir relégué le cycle aux oubliettes après le cuisant échec de la réunion de Cancún en septembre 2003. « Nous sommes arrivés à Hong Kong en ayant fait 55 % du chemin. Nous en repartons avec un résultat qui nous mène à 60 % », a résumé le patron de l’OMC. Le compromis prévoit l’élimination des subventions à l’exportation des produits agricoles des pays riches en 2013 et un accès sans droits de douane ni quotas aux marchés des nations développés pour les pays les moins avancés (PMA)*.
Il laisse néanmoins de nombreuses questions en suspens, à commencer par la réduction des droits de douane appliqués aux produits agricoles et industriels. Redoutant d’être confrontés à un blocage sur cette question qui aurait figé les débats, les pays membres sont convenus, en novembre, de remettre la discussion à plus tard. Lamy leur a donné rendez-vous en avril à Genève pour harmoniser leurs vues. Ce qui relèverait de l’exploit tant les positions des uns et des autres sont éloignées. Européens, Américains, Japonais et Suisses rechignent à abaisser suffisamment leurs protections agricoles. Et subordonnent ce démantèlement à l’ouverture des marchés industriels et des services des pays du Sud. Les nations émergentes, comme l’Inde et le Brésil, tergiversent, craignant une concurrence insoutenable des multinationales occidentales. Les discussions sont au point mort quant aux réductions des droits de douane sur les banques, les télécommunications, le tourisme et la grande distribution.
Pour compliquer le tout, les pays pauvres ont obtenu à Hong Kong le principe d’un « équilibre » entre les dossiers agricoles et des biens et services. Ils défendront donc bec et ongles leurs intérêts, alors que les citadelles agricoles européennes et américaines ont limité les fissures dans leurs systèmes d’aide. En effet, nonobstant l’accord signé, Européens et Américains peuvent conserver l’essentiel de leurs soutiens internes qui pèsent un peu plus de 280 milliards de dollars par an. Les aides européennes à l’exportation ne représentent que 2,5 milliards de dollars sur une cinquantaine. Pour le seul dossier du coton, crucial pour les pays africains, les États-Unis devront éliminer leurs subventions à l’exportation – estimées à 4 milliards de dollars – dès 2006. Cela est une avancée très insuffisante, les aides internes représentant 80 % des soutiens sur ce produit.
À un an de l’échéance, le bouclage du cycle est loin d’être gagné. Pour y parvenir, il faudra vaincre les égoïsmes des nations industrielles, surtout soucieuses de favoriser l’expansion de leurs multinationales, et ceux des grands producteurs agricoles comme l’Australie, le Brésil ou le Canada, moins préoccupés par le sort des pays pauvres que par la perspective de ravir le marché des grands exportateurs américains et européens.
Lamy et son équipe seront-ils capables d’infléchir les positions des uns et des autres ? Le « marathonien » français a en tout cas su insuffler une nouvelle énergie aux débats. Repoussant les limites de son mandat de facilitateur des négociations, il a multiplié les interventions pour tenter de concilier les positions. L’obtention du compromis final est une victoire personnelle et une reconnaissance de son travail. Le succès de Lamy tient pour beaucoup à la préparation de l’événement, à la gestion des émotions des participants, au développement d’une stratégie et à la concrétisation des moindres occasions de consensus. Héritier d’un cycle de Doha moribond en septembre dernier lorsqu’il a pris la tête de l’OMC, le Français n’a rien laissé au hasard. Méticuleux et méthodique, il a commencé par s’entourer d’une équipe de choc garante des équilibres internationaux et des forces en puissance : quatre directeurs généraux adjoints issus d’Amérique latine, d’Asie, d’Afrique et des États-Unis. Lamy a également très bien abordé la conférence de Hong Kong en multipliant voyages, réunions et discussions préparatoires. Se heurtant aux positions inconciliables des uns et des autres, il a favorisé les négociations en comité restreint, à huis clos, au sein de la « chambre verte » (voir encadré) en s’appuyant sur un noyau d’animateurs, le G4 (États-Unis, Union européenne, Brésil et Inde). En proposant des avancées raisonnables, il a réussi à obtenir un compromis après plus de cent heures de marchandages. Si Lamy se défend d’avoir une baguette magique, reconnaissons-lui au moins un certain talent.

* Les pays riches pourront néanmoins continuer à protéger 3 % de leurs produits. Une dérogation demandée par les Japonais pour le riz, les Européens pour le sucre ou les États-Unis pour le textile.

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