Dossier environnement et société : la RSE fait son examen critique en Afrique

Outil de légitimation autant que de compétitivité, la RSE fait tache d’huile sur le continent. Reste à en harmoniser les modalités et à en généraliser l’évaluation.

Les labels ‘RSE’ se multiplient sur le continent. © Vegetebacs

Les labels ‘RSE’ se multiplient sur le continent. © Vegetebacs

Publié le 7 octobre 2014 Lecture : 6 minutes.

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RSE : de bonnes volontés à ordonner

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En matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), plus moyen d’échapper à la pression internationale. « Les actions des entreprises, des investisseurs, des Nations unies, des consommateurs, des médias et des agences de notation se conjuguent. Du coup, la RSE gagne du terrain en Afrique et se professionnalise », constate Fouad Benseddik, directeur de la méthodologie et des relations institutionnelles de Vigeo, agence de mesure de la responsabilité sociale des organisations.

« Contrainte tacite »

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« Certains États comme le Maroc, le Sénégal, le Cameroun, l’Afrique du Sud et le Ghana ont une longueur d’avance en la matière », indique Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur du guide La Responsabilité sociale et environnementale des entreprises françaises en Afrique (2013).

L’arbre de la RSE cacherait-il la forêt des pratiques non responsables ?

Il y aurait selon lui une contrainte tacite à y adhérer, même en l’absence d’obligation juridique, au risque de pâtir d’un déficit de réputation.

Pas une année sans que les ONG dénoncent les ravages environnementaux et sociétaux des entreprises comme ceux provoqués par le producteur d’huile de palme camerounais Socapalm ou le pétrolier franco-britannique Perenco au regard de ses activités en RD Congo.

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Bailleurs comme établissements financiers tiennent d’ailleurs de plus en plus compte des comportements responsables des compagnies pour l’octroi de crédits.

Pourtant, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. « Dans les multinationales, la distance peut être frappante entre les principes affichés par les maisons mères et les comportements des filiales, qui abusent des failles réglementaires et de leur pouvoir sur les acteurs locaux », constate Fouad Benseddik. L’arbre de la RSE cacherait-il la forêt des pratiques non responsables ?

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Des émules panafricains

« Les grands groupes sont loin d’être exemplaires. Ils communiquent beaucoup sur des actions, souvent philanthropiques, qui sont présentées comme de la RSE, alors qu’ils ne sont même pas en conformité avec les principes de base », reconnaît Thierry Téné, président de l’Institut Afrique RSE.

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« Mais une certaine omerta perdure dans le domaine. Pourquoi dénoncer publiquement les agissements d’une société en particulier quand ses concurrents ne font pas mieux ? » s’interroge l’un des principaux promoteurs du concept sur le continent.

Reste que la dynamique impulsée depuis une dizaine d’années par les groupes occidentaux a fait des émules parmi leurs homologues panafricains.

« La RSE de l’agro-industriel Sifca est certainement l’une des mieux conçues », note ainsi Pierre Jacquemot. Le groupe agroalimentaire, engagé depuis 2007 dans une démarche de développement durable, est le seul en Côte d’Ivoire à produire un rapport certifié par un cabinet international.

Et les PME empruntent progressivement le même chemin. « De plus en plus de petites entreprises intègrent cette dimension sociétale, notamment dans la filière de la transformation », constate Philippe Barry, président de l’Initiative RSE Sénégal.

Tout comme l’incontournable Institut Afrique RSE, cette structure sensibilise acteurs privés et pouvoirs publics à l’importance de ce levier de croissance. « L’association Kilimandjaro, née fin 2012, est le premier réseau panafricain de RSE dans la conduite d’études, de formations et dans l’organisation des séminaires. Ceux-ci jouent un rôle fondamental de dynamisation des acteurs », insiste Thierry Téné. Parmi les arguments susceptibles de freiner le déploiement de la RSE, son coût revient de façon récurrente. Difficile à estimer, il dépasse cependant rarement 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, constate Pierre Jacquemot.

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Audits et labels

Pour mesurer les effets de leur politique RSE, les grandes entreprises ont de plus en plus recours à des audits, voire, pour les groupes cotés, à des notations extra-financières (à la demande des investisseurs). Positionnée sur ces deux créneaux depuis douze ans, l’agence Vigeo a effectué des missions au Maroc, en Tunisie, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Gabon, au Kenya, en Zambie, au Lesotho et au Niger.

« C’est ainsi que nous sommes intervenus en Tunisie à la demande d’Adecco, dans le delta du Niger pour Areva ou au Gabon en réponse à Managem, note Fouad Benseddik. Les sociétés doivent préciser sur quel aspect du référentiel de Vigeo la mission va porter, et il faut que les principales parties prenantes et les représentants des communautés locales puissent être rencontrés. Il ne s’agit pas de paraphraser le discours tenu par l’entreprise elle-même ! »

RSE : sept axes pour un concept 

Il y a d’abord eu le Pacte mondial des Nations unies, en 2000, destiné à inciter les entreprises du monde entier à adopter une attitude socialement responsable.

Puis, en 2010 et 2011, le cadre réglementaire s’est étoffé avec la mise à jour des principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et surtout la mise en place d’ISO-26000, première norme internationale sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

Ce référentiel incontournable décline la RSE en sept thématiques : la gouvernance de l’organisation, les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés et le développement local – la dimension économique étant considérée comme transversale.

Ces questions clés visent à identifier les domaines sur lesquels l’entreprise va s’appuyer pour fixer ses priorités et mettre en place un plan d’action.

Tout commence par un diagnostic, avec des objectifs réalistes. Réduction des risques, qualité du dialogue social, rapport de l’organisation avec son territoire, amélioration des relations avec les fournisseurs et les communautés, productivité…

La démarche pousse à remettre en question ses pratiques de travail et incite à travailler différemment.

Publiée fin 2010, ISO-26000 devrait aussi contribuer à cadrer les pratiques. Après ISO-9001 (management de la qualité) et ISO-14001 (management environnemental), elle est la première norme internationale à définir les lignes directrices en matière de RSE. Dernière strate de cet arsenal évaluateur : les labels.

Dans le sillage de celui de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie, l’organisation patronale Conect, a lancé le sien fin mars. De son côté, le réseau Kilimandjaro travaille à la mise en place d’un label RSE Afrique. « L’objectif est qu’il soit reconnu par les États, les assureurs, les banques et les investisseurs », explique Thierry Téné.

Obstacle

La quasi-absence d’évaluation des efforts des entreprises africaines demeure encore un obstacle majeur à la généralisation des bonnes pratiques. Si tous les groupes français de plus de 500 salariés dont le chiffre d’affaires dépasse 100 millions d’euros et leurs filiales sont tenus de publier un rapport annuel de RSE, il n’en est rien pour les sociétés du continent.

« La réflexion sur le label RSE Afrique pourrait permettre la montée en puissance d’une agence de normalisation qui jouerait ce rôle. Il n’y a que l’État qui puisse assurer une évaluation décorrélée du business, sur la base d’indicateurs définis et reconnus. Cela pourrait déboucher, pour les entreprises labellisées, sur un traitement préférentiel lors des appels d’offres ou sur l’obtention de prêts et de franchises d’assurances à des taux préférentiels », estime Thierry Téné.

Une action qui ne fait pas l’unanimité. « Il ne faut surtout pas tropicaliser la RSE, sinon la démarche est vouée à l’échec, met en garde Fouad Benseddik. Le label CGEM fonctionne en effet parce qu’il s’agit d’un référentiel fondé sur des normes internationales. »

En attendant, pour les entreprises africaines, la stratégie consiste à s’améliorer progressivement. À commencer, pour certaines, par s’assurer du simple respect des codes du travail et de l’environnement.

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