Une visite entre chien et loup

Le président Bozizé s’était rendu à Paris du 17 au 20 novembre pour désamorcer un certain nombre de différends qui menaçaient de dégénérer. Il y est, non sans habileté, parvenu.

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Quelque part entre le purgatoire et le paradis, il existe une zone protocolaire en clair-obscur que le président centrafricain François Bozizé a eu tout loisir d’arpenter au cours de sa visite officielle à Paris, du 17 au 20 novembre. Pour ce voyage en gestation depuis trois mois, la partie française avouait, il y a peu, ne pas savoir encore quel type de message allait être délivré au général Bozizé : « Soit on le gourmande, soit on l’encourage », confiait un spécialiste du dossier, passablement agacé par le récent bras de fer entre les autorités de Bangui et deux sociétés françaises, Total et Areva. Côté centrafricain, Bozizé a attendu, non sans habileté, pour se rendre à Paris que Nicolas Sarkozy ait besoin de lui. Le président français tient énormément à la réussite de son projet de sécurisation de la frontière tchado-soudanaise par le biais de l’Eufor, dont les troupes doivent se déployer d’ici à la fin de cette année. Or le nord-est de la Centrafrique est une pièce indispensable dans ce dispositif.
À l’image de ce temps de novembre, dans un Paris paralysé par les grèves, François Bozizé a donc eu droit à une réception entre chien et loup, samedi 17 novembre. Arrivé tard dans la soirée à bord d’un Falcon 900 obligeamment mis à sa disposition par un groupe minier indo-pakistanais de Londres, le président est accueilli au Bourget par l’ambassadeur de France à Bangui, Alain Girma. Le Smic, donc.
Installé à l’hôtel Raphaël, où sa suite et quatre chambres ministérielles étaient prises en charge par le budget du Quai d’Orsay (le reste étant à son compte), Bozizé reçoit le lendemain, pendant quarante minutes, Rama Yade, la secrétaire d’État aux Droits de l’homme. Très directe quoique fort courtoise, cette dernière brandit un rapport de l’ONG Human Rights Watch et se déclare « convaincue » de la réalité de certaines exactions commises par l’armée centrafricaine dans le Nord. « Nous n’accepterons pas l’impunité », prévient-elle. Le président, qui s’attendait un peu à cette charge, écoute, explique et s’explique. Et l’on se sépare bons amis.
Lundi 19 novembre, à 18 heures, Bozizé est à l’Élysée. Sarkozy l’entraîne pour un tête-à-tête d’un quart d’heure au cours duquel il lui délivre en substance ce triple message.
« Je vous remercie d’être aussi positif vis-à-vis du déploiement de l’Eufor et vous demande de bien vouloir continuer de parler en ce sens avec le président Déby Itno », que l’on sait toujours réservé à ce sujet.
« Nous sommes déterminés à vous aider à redresser la situation économique et sécuritaire de votre pays. »
« Mais vous devez pour cela sanctionner les dérapages de vos troupes et, surtout, lutter encore plus activement contre la corruption, y compris au sein de votre gouvernement. » Sarkozy va plus loin : il prononce les noms de deux ministres, préalablement « signalés » par ses conseillers.
Les deux chefs d’État rejoignent alors leurs délégations pour une séance élargie de dix minutes. Sarkozy félicite à nouveau son hôte pour ses bonnes dispositions, puis, s’adressant à Sylvain Ndoutingaï, ministre centrafricain des Mines et neveu de Bozizé, qui est depuis longtemps dans le collimateur de Paris, il s’exclame :
« Ah ! C’est vous, Monsieur le Ministre ! J’ai appris que vous exigiez d’Areva un droit d’entrée pour l’uranium. Je n’aime pas ce terme. Cela sonne corruption. »
Ndoutingaï proteste :
« Ni moi ni les autorités centrafricaines n’avons exigé un ticket d’entrée, Monsieur le Président ! »
On prend congé et François Bozizé sort, seul, sur le perron de l’Élysée. Un peu plus tard, il confiera à des proches son agacement d’avoir appris, à Paris, les petites manuvres personnelles auxquelles se serait livré l’un de ses ministres – qui n’est pas Ndoutingaï. Anne Lauvergeon, la patronne d’Areva (exploitante de la mine d’uranium de Bakouma), qui est venue le voir au Raphaël, lui a, dit-il, « tout révélé » à ce sujet.
Le reste de la visite se déroule sans heurts. Reçu par les patrons du Medef, puis à la tour Bolloré, où le propriétaire des lieux, qui envisage d’investir dans le secteur minier en Centrafrique, lui sort le grand jeu (interviews pour la chaîne Direct 8 et pour le quotidien Matin Plus), Bozizé repart satisfait, au soir du 20 novembre, à bord du même Falcon 900.
Au passage, les deux principaux conflits commerciaux, celui des royalties d’Areva et celui de la distribution de carburant, ont été réglés avec Anne Lauvergeon et Christophe de Margerie, le patron de Total. Le général, qui est un homme réaliste, était venu avant tout à Paris pour déminer le terrain. En bon militaire, il y est parvenu.

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