Turbulences dans le ciel sénégalais

En annonçant vouloir quitter l’Asecna, Dakar a fait trembler l’organisation. Avant finalement de faire machine arrière. Explications.

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Son utilité ne fait aucun doute, ses compétences sont internationalement reconnues et, de plus, c’est un symbole. Elle risque pourtant de voler en éclats. Après Madagascar, fin octobre, le Sénégal a brutalement annoncé, le 14 novembre, son intention de se retirer de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna). Huit jours plus tard, le 22 novembre, le président sénégalais Abdoulaye Wade est revenu sur cette décision, mais l’organisation – qui regroupe 18 pays* – peut légitimement s’interroger sur son avenir. Deux de ses membres fondateurs se montrent capricieux. Antananarivo et Dakar étaient là quand, en 1959, ce partenariat entre la France et ses futures ex-colonies a vu le jour, avec pour mission la gestion commune de l’espace aérien de ses membres (16 millions de km2, soit 1,5 fois l’Europe). C’est aussi à Saint-Louis que son baptême a eu lieu et à Dakar qu’elle siège aujourd’hui. Contrairement à sa sur quasiment jumelle, Air Afrique (1961-2002), cette coopérative d’États avait résisté aux querelles intestines et aux fantaisies de gestion. Il y a bien eu quelques crises et différends, mais après avoir claqué la porte, la Centrafrique et le Mali ont fini par revenir dans ce qui constitue l’un des rares exemples d’intégration réussie sur le continent.

Investir 300 milliards de F CFA en cinq ans
Le Sénégal et Madagascar considèrent qu’ils n’ont plus d’intérêt économique à appartenir à cette famille – presque cinquantenaire – qui leur prend plus qu’elle ne leur donne. De 150 milliards de F CFA en 2007, le budget de l’Asecna provient en majorité des redevances payées par les compagnies, dont le montant total devrait s’élever à 130 milliards de F CFA cette année. Le principe – mis en place par l’agence panafricaine puis repris par d’autres – est simple : tout appareil qui traverse l’espace aérien de l’Asecna lui verse directement une taxe, qui varie en fonction de la distance parcourue. Par exemple, le survol du tronçon Dakar-frontière marocaine (limite nord du ciel Asecna) lui rapporte environ 950 000 F CFA. Outre ces « taxes de route », l’agence tire le reste de ses recettes de l’assistance technique – dont la qualité fait l’unanimité – facturée aux transporteurs (balisage, parking, contrôle aérien), qui devrait rapporter 20 milliards en 2007.
En contrepartie, elle prend en charge toutes les dépenses liées au contrôle aérien, paie quelque 5 600 salariés pour faire tourner la boutique et réalise des investissements en équipements (systèmes d’information et de sécurité). Sur la période 2007-2008, son budget d’investissement s’élève à 80 milliards de F CFA. « Nous sommes dans un domaine où l’obsolescence technologique est rapide. Pour savoir de quoi sera fait notre avenir, et avant d’engager un plan d’investissement de 250 à 300 milliards de F CFA sur cinq ans, nous avons décidé d’organiser un symposium, réunissant l’ensemble des partenaires du secteur, prévu au premier trimestre 2008 », précise le président de l’agence, Jacques Courbin, pour expliquer que le résultat d’exploitation de 14,5 milliards de F CFA enregistré en 2006 n’ait pas encore été dépensé pour acheter du matériel.
C’est officiellement parce qu’il veut percevoir directement les taxes de route liées au survol de son territoire que le Sénégal souhaitait quitter l’Asecna. D’après Abib Mbaye, secrétaire général du Syndicat sénégalais des aiguilleurs du ciel, les redevances provenant de la région de vol « Dakar terrestre » – espace déterminé par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui comprend la Gambie, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal – s’élèvent chaque année à 7 milliards de F CFA. Et celles liées au survol de la zone « Dakar océanique » – qui s’étend au large des côtes gambiennes, guinéennes, bissauguinéennes, ivoiriennes, sénégalaises, sierra-léonaises et libériennes – rapportent 20 milliards. Mais cela ne signifie pas pour autant que, hors de l’Asecna, le Sénégal toucherait chaque année 27 milliards de redevances puisque l’exploitation de ces deux zones repose sur une adhésion à l’agence. En électron libre, le Sénégal n’aurait perçu que les recettes liées au survol de son territoire. « Nous aurions un maximum de 5 milliards », plaide Abib Mbaye, arguant que la petite taille du Sénégal – 196 000 km2 – limite par nature le montant des « taxes de route ». Par ailleurs, le pays aurait-il eu les moyens et les compétences pour entretenir les équipements de contrôle ?
Dakar estime en outre que la redistribution des ressources entre les États n’est pas équitable. Difficile à vérifier, l’Asecna se refusant à donner la répartition de ses investissements par État, avançant que les plans sont « globaux » et « réalisés pour les besoins de la communauté ». Reste que l’affectation du budget est votée par le conseil d’administration de l’Asecna, supervisé par un comité des ministres des Transports des États membres. Théoriquement tout au moins, chacun peut défendre ses intérêts

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Soulagement des salariés
Autre « manne » que le Sénégal envisageait de reprendre à son compte : la gestion de ses aéroports, transférée à l’Asecna en 1987 (une option facultative qu’ont choisie huit autres membres, dont le Bénin, le Tchad, la Centrafrique) et qui pourrait rapporter à l’État quelque 20 milliards de F CFA chaque année. Mais pour cela, Dakar n’est pas obligé de quitter l’agence. Alors, pourquoi vouloir claquer la porte ? « Le Sénégal n’est pas capable de gérer seul son espace aérien, estime un connaisseur du dossier. Il est possible qu’il ait une autre intention. » À Dakar, d’aucuns murmurent qu’un projet global – gestion des aéroports et de l’espace aérien – avec un partenaire du Golfe serait en cours. Quoi qu’il en soit, il est difficile de comprendre. Au dernier sommet de l’Union africaine, à Accra, en juillet dernier, le président Wade plaidait pour que « les États-Unis d’Afrique soient une réalité ». Tenu à un préavis de six mois, le Sénégal est finalement revenu sur sa décision. Les quelque 1 500 employés de l’Asecna basés à Dakar (soit environ 11 milliards de F CFA de masse salariale), dont des expatriés au pouvoir d’achat conséquent, peuvent respirer. Quant à l’Asecna, elle a senti le vent du boulet.

*Bénin, Burkina, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, France.

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