Soins à domicile
En se dotant d’une école de médecine, le pays entend corriger les erreurs du passé. Et améliorer les performances d’un système sanitaire encore convalescent.
Un fonceur qui rue dans les brancards. C’est ainsi qu’est décrit le ministre de la Santé par ses collaborateurs. Abdallah Abdillahi Miguil n’est pas médecin mais administrateur. Ce technocrate, en poste depuis mai 2005, qui avait déjà officié à l’Intérieur et à l’Habitat, a donné un grand coup de pied dans la fourmilière : renvois des médecins absentéistes, rappel à l’ordre des personnels paramédicaux, interdiction du qat (plante euphorisante que l’on mâche) sur les lieux de travail, mais aussi injection massive de moyens, doublement des effectifs globaux du ministère (passés de 900 à 2 187 employés), multiplication par 3,5 du nombre de médecins, augmentation de salaires dans une fourchette variant de 50 % à 100 %* afin de retenir et motiver les meilleurs éléments Les résultats ne se sont pas fait attendre.
Une réforme indispensable
Abdallah Miguil, qui a inauguré, le 24 juin, un centre de dialyse d’une capacité de vingt lits, s’ajoutant aux cinq déjà existants dans le pays, estime que Djibouti se doit d’avoir une ambitieuse politique de santé publique. Ne serait-ce que pour attirer les investisseurs. « Les gens viendront d’autant plus facilement chez nous qu’ils trouveront des installations répondant à leurs besoins sanitaires, explique-t-il. La modernisation de l’ensemble de nos structures hospitalières et de soins est un impératif. Elle doit s’accompagner d’une rationalisation des dépenses. Il faut en finir avec l’idée de la gratuité des soins, et reconnaître que la santé a un coût qui doit être supporté équitablement. » Une nouvelle grille tarifaire a donc été instaurée en août 2005, avec un ticket modérateur d’un montant symbolique pour les nécessiteux, un tarif spécial – et assez avantageux – pour les agents de l’État et un tarif ordinaire pour les autres citoyens. Si la réforme a fait grincer des dents au début, elle a été globalement bien acceptée.
Le ministre ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Et s’est attaqué à un autre dossier sensible : la journée continue. Depuis septembre, le ministère travaille matin et après-midi. Les hôpitaux aussi. Une vraie révolution dans un pays où les après-midi sont d’ordinaire consacrés à la mastication du qat. « Cette plante est devenue un fléau social, poursuit Abdallah Miguil. Il n’est pas question de l’interdire, les gens sont libres de qatter chez eux le soir. Mais il est hors de question qu’ils broutent sur leur lieu de travail. C’est la règle dans le privé où les gens, d’ailleurs, travaillent l’après-midi. Pourquoi en irait-il autrement dans le public ? C’est donnant donnant. Les émoluments ont été revus à la hausse, et un spécialiste exerçant dans l’intérieur du pays touche deux fois mon salaire de ministre. En échange de quoi j’attends de mes agents qu’ils s’engagent sur des performances. »
La formation, longtemps négligée, a été érigée au rang de priorité. La nouvelle école de médecine, inaugurée le 4 novembre, a accueilli, à la rentrée, une première promotion de trente-cinq élèves. Les études dureront sept ans et seront calquées sur le système tunisien. « L’école sera le fruit d’une coopération tripartite impliquant les gouvernements djiboutien et tunisien, ainsi que l’Organisation mondiale de la santé [OMS] pour le label scientifique, explique le docteur Chekib Saad Omar, doyen de l’établissement. L’essentiel du corps enseignant sera tunisien, du moins au début. La Tunisie possède un système de santé extrêmement performant, qui n’a rien à envier aux systèmes européens, et c’est un pays avec lequel nous coopérons de manière étroite depuis des années et qui est, comme nous, à la fois arabe et francophone. » L’essentiel du coût de l’école sera supporté par la partie djiboutienne. Les deux grands hôpitaux de la capitale, l’hôpital Peltier et celui de Balbala, dont la capacité totale sera portée à 1 500 lits, se transformeront en Centre hospitalier universitaire (CHU) où seront accueillis les étudiants stagiaires. L’hôpital militaire Bouffard, géré par les Forces françaises de Djibouti, fera de même. La sélection des bacheliers sera extrêmement stricte : seuls les meilleurs scientifiques du pays seront retenus. « La crédibilité de l’école dépendra, in fine, de notre capacité à résister aux pressions lors du ?processus d’orientation », estime le docteur Chehem Watta, psychologue et futur secrétaire général de l’institution.
1 médecin pour 6 000 habitants
Djibouti a mis trente ans à se doter d’un établissement de formation médicale. Une anomalie chèrement payée. Avec un médecin pour 6 000 habitants, le taux d’encadrement de la population est d’une insigne faiblesse. Environ 150 médecins exercent dans le pays, mais moins de la moitié sont djiboutiens. Les autres sont français, cubains, européens de l’Est, asiatiques Quelque 113 étudiants sont en cours de formation à l’étranger et viendront bientôt gonfler les effectifs. Mais cela ne suffira pas. « Nous avons fait de mauvais choix au lendemain de l’indépendance, admet Chehem Watta. Notre système sanitaire reposait presque uniquement sur des médecins expatriés français. Ces coopérants sont partis brutalement au début des années 1990. La conjugaison de cet exode et de la guerre civile des années 1991-1994 a fait chuter les indicateurs de santé. Nos étudiants étaient traditionnellement formés en France. Mais le nombre des bourses de coopération a commencé à diminuer, passant de 12 à 8, puis à 6 par an La manne s’est tarie. Nous avons alors dirigé nos étudiants sur les pays qui pouvaient encore les accueillir. Certains sont allés à Cuba, d’autres en Chine, d’autres encore en Afrique de l’Ouest, au Mali ou au Bénin. Nos hôpitaux ressemblent maintenant à des tours de Babel. Les médecins n’appliquent pas les mêmes protocoles, ne pratiquent pas les mêmes approches. Et tous n’ont pas été familiarisés avec le matériel de nos plateaux techniques. »
C’est pour remédier à ces sérieux handicaps et préparer la relève que les autorités ont décidé la création de l’école de médecine. Le projet a cependant suscité quelques remous. Selon les estimations de ses promoteurs, elle coûtera pas moins de 14,3 millions de dollars sur sept ans, la durée nécessaire pour former une promotion. Le système actuel de bourses d’études est effectivement moins onéreux. Mais est-il encore viable et adapté aux besoins ? « Certainement pas, tranche le Dr Chakib. Chaque année, nous sommes obligés de mendier auprès des gouvernements de pays amis pour qu’ils acceptent nos boursiers. C’est humiliant. Il fallait que nous prenions nos responsabilités une fois pour toutes. Notre pays devrait pouvoir disposer, à terme, de sa propre faculté et piloter son système de santé en comptant uniquement sur ses talents. À l’instar, par exemple, de ce qui se fait en Tunisie »
* Un médecin généraliste travaillant dans le service public touche désormais un minimum de 350 000 F DJ (1 400 euros) par mois. Un spécialiste perçoit 450 000 F DJ.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?