Quand le passé ne passe pas…

Un film que l’Américain Spike Lee tourne sur l’engagement des soldats noirs américains lors de la Seconde Guerre mondiale et la tuerie de Sant’Anna en Italie fait scandale à Rome. Et soulève des problèmes éthiques.

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Spike Lee, le plus célèbre et sans doute le plus talentueux des réalisateurs afro-américains, doit aujourd’hui faire face à une polémique autour de son dernier film, Le Miracle de Sant’Anna, alors même qu’il n’est pas encore terminé. Il est tout simplement accusé – excusez du peu – de « révisionnisme » et de « falsification historique » par d’anciens résistants italiens au régime fasciste et à ses alliés nazis lors de la Seconde Guerre mondiale.
L’auteur de Malcolm X, du genre fier et sûr de lui et de ses idées, n’est certes pas habitué à recevoir des leçons d’éthique. Et que ce soit à propos de ce film où il défend radicalement, comme dans la plupart de ses uvres, la cause aussi « politiquement correcte » que peu contestable des Noirs américains a dû le surprendre. Le Miracle de Sant’Anna, sorte d’Indigènes à la mode US, évoque l’engagement trop oublié des soldats noirs américains dans le combat contre les forces de l’Axe pour libérer l’Europe. Comme il l’avait justement dit lors de la présentation de son film à Rome l’été dernier, avant le début du tournage : « Les soldats des États-Unis qui ont combattu pour la démocratie ne sont pas seulement blancs, le modèle n’est pas John Wayne Hollywood a systématiquement exclu les Noirs et continue de le faire. »

Oradour-sur-glane
Mais ce n’est pas d’Hollywood qu’est venue la contestation. En cause : une scène du début du film qui concerne la « tuerie de Sant’Anna di Stazzema », un massacre aussi célèbre en Italie que l’est en France celui d’Oradour-sur-Glane, au cours duquel 560 civils d’un village toscan ont été assassinés de sang-froid par les nazis. Or les résistants de la péninsule ont cru comprendre que Spike Lee laissait entendre que ce crime de guerre avait été indirectement provoqué par eux. Un élément de dialogue suggérerait qu’il aurait été perpétré en représailles contre leur présence dans ce village. Une thèse que nous ne sommes pas à même de juger mais qui, c’est certain, n’est pas du tout « politiquement correcte » : pour les Italiens, tout comme pour les Français dans le cas d’Oradour-sur-Glane, il va de soi que cette véritable boucherie fut organisée par des criminels de guerre SS qui ne se préoccupaient guère de justifier leurs actes par les nécessités du combat. D’où les attaques virulentes contre Spike Lee.

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Tom Cruise sur la sellette
Quelques semaines auparavant, c’est à Berlin qu’avait éclaté un petit scandale à propos d’un autre film consacré à la même période. Cette fois, c’est Tom Cruise, appelé à incarner à l’écran le comte von Stauffenberg, le plus célèbre résistant allemand à Hitler, qui était sur la sellette. Le fils du héros ne supportait pas que ce soit une star hollywoodienne, appartenant de surcroît à l’Église de scientologie, accusée d’être une secte, qui joue le rôle de son père. Il craignait que l’image glorieuse de ce dernier, ainsi que celle de la résistance germanique au nazisme, soient salies par une version « horriblement kitsch » de l’Histoire.
Ces affaires démontrent que lorsque le septième art s’affronte à la réalité plutôt qu’au rêve et qu’il touche des sujets sensibles, il n’est jamais à l’abri. Il ne suffit plus de dire « c’est du cinéma ! » pour neutraliser (au moins provisoirement) les critiques. La magie du grand écran, en ces temps de domination de l’esthétique et de l’éthique télévisuelles, n’opère plus suffisamment pour protéger les réalisateurs et les acteurs. Au moins jusqu’à ce qu’on puisse vérifier sur pièces ce que montrent véritablement les films « suspects ». Ce qui serait la moindre des choses.
Alors que prolifèrent les longs-métrages de fiction « inspirés de faits réels », selon la formule consacrée, et que s’estompe de plus en plus la frontière entre documentaire et fiction, il faut s’attendre à une multiplication de ce genre de polémiques. Même si celles-ci peuvent être salutaires, ce n’est probablement pas une bonne nouvelle. Surtout si cela devait conduire les producteurs, déjà souvent frileux, à craindre de soutenir tout projet jugé « incorrect » par tel ou tel groupe de pression. Nous n’en sommes heureusement pas encore

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