Maka Kotto

Enfant, il voulait être prêtre. Il est devenu comédien, puis… premier parlementaire canadien d’origine africaine. Du Cameroun d’Ahidjo au Québec libre !

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 5 minutes.

A Longueuil, dans la banlieue de Montréal, la grande métropole québécoise, les rues n’en finissent pas de se croiser à angle droit. Pour tondre leurs pelouses, les habitants utilisent des motoculteurs et, sur les larges trottoirs ensoleillés, les piétons sont rares. C’est là, entre coquets pavillons et grosses berlines américaines sagement alignées, que Maka Kotto a installé son bureau de député fédéral. Le paysage ne pourrait être plus différent de celui de Douala, la capitale économique du Cameroun, où il a vu le jour il y a quarante-six ans. Entre la plomberie Bouclin et le centre professionnel Sainte-Hélène, il reçoit tous les vendredis les habitants de son comté – majoritairement « caucasiens », comme on dit en Amérique du Nord pour désigner les Blancs -, qui l’ont élu en 2004 et en 2006 pour les représenter à la Chambre des communes canadienne, à Ottawa.
À le voir dans son grand bureau où trônent des posters de Nelson Mandela et de Martin Luther King (ses « modèles »), on jurerait qu’il fait de la politique depuis toujours ! Maka Kotto parle avec calme, philosophe volontiers et ne s’enflamme que pour défendre la souveraineté du Québec, cheval de bataille du Bloc québécois, son parti. « Le Québec a un génie qui lui est propre et qu’il faut préserver. Le Canada est entièrement assujetti à la culture américaine. Nous, nous résistons. Et nous ne pourrons continuer de le faire que dans un cadre souverain – ce qui prendra du temps. Nous sommes un pays jeune, émancipé du joug colonial anglais depuis seulement quarante ans. » Il pourrait dire à peu près la même chose de son pays natal. Mais, puisque nul n’est prophète en son pays, c’est au Québec qu’il a choisi de mener son combat.

Programmé pour fonctionner n’importe où
Kotto n’est pourtant citoyen canadien que depuis mai 1996. « J’ai mes racines au Cameroun, j’ai donné mes premières fleurs en France et porté mes fruits au Québec, aime-t-il à répéter. Je n’ai jamais eu à réfléchir à la manière dont je devais m’intégrer. J’étais programmé pour fonctionner n’importe où. » Bouc soigneusement taillé, ventre arrondi et poignée de main enveloppante, il a toutes les apparences d’un homme épanoui.
En fait, c’est un caméléon, un poète dans son genre. Juriste de formation, il a commencé sa carrière comme comédien. Au théâtre, au cinéma et à la télévision. À l’en croire, les jésuites français du collège Liberman, à Douala, lui ont inculqué à jamais l’amour de la liberté, un goût prononcé pour l’observation de la comédie humaine et le don de la politique.
D’origine modeste, son père s’est saigné aux quatre veines pour le faire entrer au petit séminaire. Le jeune Maka voulait devenir curé « Pour faire le bien », se souvient-il. Au collège, puis au lycée, les bons pères, pressentant sa vocation artistique, lui conseillent de renoncer à prononcer ses vux. En 1979, à 17 ans, il quitte l’école. Depuis l’indépendance, Ahmadou Ahidjo règne sur le pays d’une main de fer. À l’époque, quand on écrivait des poèmes et qu’on faisait le mur pour aller distribuer des tracts politiques dans les quartiers, mieux valait songer à aller exercer ses talents ailleurs ! « La majorité d’entre nous sommes partis à l’étranger, raconte Maka Kotto. Il n’y avait pas de place pour la démocratie et la liberté. Seulement pour le népotisme et la corruption. »

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Les années parisiennes
Il choisit la France. D’abord, la faculté de droit de Nanterre, puis Sciences-Po Bordeaux, pour faire plaisir à son père, qui a pour lui de grandes ambitions. Mais l’étudiant ne rêve que de jouer la comédie. Il commence par faire de la figuration, puis entre au célèbre cours Florent, sous la direction de Francis Huster. Avec ses camarades de classe, il monte une petite troupe. En 1984, Michel Blanc lui offre son premier rôle au cinéma dans Marche à l’ombre. Puis c’est le tour d’Édouard Molinaro dans L’Amour en douce. Tout s’enchaîne.
En 1987, La Vieille Dame et l’Africain, série télévisée avec Danielle Darrieux, lui donne l’occasion de dénoncer le racisme à l’écran. Par la suite, il jouera un médecin africain devenu pompiste à Montréal, dans Super sans plomb ; Joseph Kasa-Vubu, le premier président de la République démocratique du Congo, dans le Lumumba, de Raoul Peck ; puis, surtout, le rôle de Bouba dans Comment faire l’amour avec un noir sans se fatiguer, d’après le roman de Dany Laferrière. En 1989, l’écrivain haïtien lui fait découvrir le Québec. « Quand je l’ai rencontré, on a parlé de politique plus que de cinéma, se souvient Kotto. En France, c’était l’époque de l’ascension de Jean-Marie Le Pen. Et lui me parlait d’un paradis où ça ne se passait pas du tout comme ça. J’ai visité le Québec. Pendant six ans, j’ai fait la navette entre les deux rives de l’Atlantique. Et puis, j’ai choisi de rester ici. »

Il fallait bien que quelqu’un commence
Bien sûr, Maka Kotto refuse le rôle du « Noir de service ». Au Parlement, il s’attache à promouvoir les productions artistiques en langue française plutôt que de se spécialiser dans la défense des immigrés. Mais cela ne l’empêche pas de dénoncer la xénophobie et de montrer, par la fiction, la réalité vécue par les Africains établis au Nord. Pourquoi être devenu le premier député canadien d’origine africaine ? « Pour le symbole, dit-il. Parce qu’il faut bien que quelqu’un commence, sinon, la porte ne s’ouvrira jamais. »
Au Québec, il a trouvé une terre vierge. « Sur le Vieux Continent, il est difficile de s’épanouir quand on vient d’ailleurs. Ici, tout est à faire. Si j’ai été élu dans un comté qui ne compte pas plus de 3 % de Noirs, c’est parce que je partage les valeurs d’interculturalisme des gens. » C’est aussi parce qu’en misant sur cet homme sympathique et charismatique, le Bloc québécois s’efforce d’attirer les voix des migrants, traditionnellement enclins à voter pour le camp opposé.
Lui arrive-t-il de retourner dans son pays natal ? « La dernière fois, c’était pour l’enterrement de mon père, en 2003. Il était le dernier membre de la famille à s’entêter à vivre là-bas. C’est compliqué, le Cameroun » Il n’est pas dit que la souveraineté du Québec soit plus simple à obtenir, mais il ne renonce pas. La preuve, il brigue désormais l’investiture du Parti québécois (équivalent du Bloc québécois au niveau provincial). Siégera-t-il un jour au gouvernement ? Pourquoi pas. Sauf si Maka Kotto change une nouvelle fois de voie. « Je pourrais écrire un roman ou une pièce de théâtre. Mes collègues au Parlement sont d’excellentes sources d’inspiration », s’amuse-t-il. La comédie humaine, encore et toujours

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