Le socialisme au nom de Dieu

Le président Hugo Chávez veut changer la Constitution et s’octroyer les pleins pouvoirs pour une durée illimitée. Ses compatriotes sont appelés à trancher, par référendum, le 2 décembre.

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 6 minutes.

On le croyait mort et enterré, du côté de Moscou, sous le poids de ses crimes et de son incurie économique. Le voilà qui ressuscite à Caracas ! Le socialisme – celui « du XXIe siècle », en l’occurrence – s’est trouvé un nouveau messie en la personne du charismatique Hugo Chávez (53 ans). Longtemps adepte du « ni-ni » – « je ne suis ni de gauche ni de droite, ni marxiste ni antimarxiste », disait-il à ses débuts -, puis brièvement fasciné par le pragmatisme d’un Tony Blair, l’incontrôlable président vénézuélien semble enfin avoir trouvé, neuf ans après son accession au pouvoir, une ambition à la mesure de son ego démesuré.
On le voit actuellement partout. À Santiago du Chili, le 10 novembre, où, lors d’un sommet ibéro-américain, une violente prise de bec l’a opposé à José Luis Zapatero, le président du gouvernement espagnol, et au roi Juan Carlos (J.A. n° 2445). À Riyad, huit jours plus tard, au sommet de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), où, de concert avec Mahmoud Ahmadinejad, son « ami » iranien, il a appelé à « révolutionner » l’organisation et à en faire un « agent géopolitique actif » dirigé contre l’hyperpuissance américaine. Mais aussi à Paris, le 20 novembre, où il s’est entretenu avec le président Nicolas Sarkozy du sort de l’otage franco-colombienne Ingrid Betancourt, détenue depuis plus de cinq ans par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Avant de se voir, le lendemain, retirer sa médiation par le président colombien, Alvaro Uribe, en raison de sa trop grande ingérence dans les affaires de son pays.
Mais c’est naturellement le référendum constitutionnel du 2 décembre, censé « sonner le glas du capitalisme » au Venezuela, qui retient surtout l’attention. L’objectif de l’opération est clairement affiché : graver en lettres d’or la « révolution bolivarienne » sur les tables de la loi. Provocation à l’égard des États-Unis, aux yeux desquels, depuis la maladie de Fidel Castro, il apparaît comme le nouvel ennemi public numéro un ? Bien sûr, mais pas seulement. Car Chávez compte bien, parallèlement, ouvrir la voie à tous les pays du Sud. Avec l’aide de Dieu en personne.
« Le premier socialiste de notre ère fut le Christ, rappelait-il récemment. Je suis chrétien et je pense que le socialisme doit se nourrir des courants les plus authentiques du christianisme. Il ne s’agit pas de chercher un quelconque illuminé qui nous serve de modèle. Ce serait absurde. Nous allons construire le socialisme à partir de nos propres racines, à partir de nos indigènes, à partir des communes du Paraguay et du Brésil, à partir du socialisme utopique de Simón Rodríguez, des idées de Simón Bolívar sur la liberté et l’égalité, et de celles d’Artigas, le grand Uruguayen qui voulait inverser l’ordre de la justice en abolissant les privilèges. »
Ce grand projet idéologique échafaudé à partir de l’histoire des libertadores latino-américains et, dans une moindre mesure, des guérilleros gauchistes des années 1960, avec un zeste d’indigénisme et de négritude plus une bonne rasade de mysticisme, s’inscrit dans la durée et justifie aux yeux des « chavistes », comme on appelle ses partisans, l’instauration illimitée des pleins pouvoirs. La réforme de la Constitution offre en effet au chef de l’État la possibilité de se présenter indéfiniment à l’élection présidentielle et d’instaurer un « état d’exception » lui permettant de censurer la presse. « Si Chávez reste président de la République jusqu’à la fin de ses jours, ce sera parce que le peuple l’y aura obligé », jure son entourage. Les milliers d’étudiants qui, depuis trois semaines, multiplient les manifestations pour demander le report du référendum ne sont évidemment pas de cet avis. Ces « purs fascistes », comme les qualifie le chef de l’État, viennent de recevoir un renfort de poids en la personne du général Raúl Baduel, ex-ministre de la Défense (jusqu’au mois de juillet dernier) et ex-fidèle parmi les fidèles, qui dénonce un « coup d’État constitutionnel ».
Chávez devrait remporter cette nouvelle bataille électorale, même si certains ne cachent pas leur crainte d’un soulèvement militaire ultérieur : pour eux, la période actuelle ressemble furieusement à celle qui prévalait avant le coup d’État manqué d’avril 2002 (grève générale, bras de fer avec les patrons des compagnies pétrolières, etc.). Après quoi il aura les coudées franches pour mettre en place sa « démocratie révolutionnaire », qui, au moins en théorie, ne manque pas d’attraits : inscription dans la Constitution des droits des communautés et des races (blanches, noires et indigènes), introduction de la propriété collective aux côtés de celles de l’État et des privés, respect de l’environnement, protection des enfants, assimilation des tâches domestiques accomplies par les mères au foyer à un travail productif, gratuité des soins médicaux et de l’éducation. On comprend qu’« El Fenomeno », comme on surnomme parfois le chef de l’État, soit l’idole des barrios, les quartiers misérables des grandes villes.

Coup de barre À gauche
Mais les changements les plus radicaux devraient concerner l’économie. Grand pourfendeur du libéralisme, Chávez, qui se targue d’avoir réintroduit le « marxisme » dans les discussions entre hommes d’affaires, a indiscutablement donné un grand coup de barre à gauche. L’État se réserve l’exploitation des ressources stratégiques et confie leur transformation à des entreprises sociales ou mixtes. Il met fin à l’indépendance de la Banque centrale et instaure la journée de travail de six heures quand la planète entière songe à travailler plus et plus longtemps. Ces mesures complètent la reprise en main du secteur énergétique, de même que la nationalisation de l’électricité et celle des télécommunications (lesquelles ont permis de faire baisser les prix des prestations proposées aux usagers).
Tout cela a un prix, auquel une production quotidienne de 2,6 millions de barils de pétrole – au prix de presque 100 dollars, faites le calcul – permet de faire face. Et puis, il y a les fabuleuses réserves de l’Orénoque, dans la jungle amazonienne Revers de la médaille : l’explosion des recettes pétrolières a paradoxalement renforcé la dépendance des Vénézuéliens vis-à-vis de l’État-providence et suscité un climat assez malsain de paternalisme. Et le taux d’inflation est l’un des plus élevés du continent latino-américain.
Nul ne conteste le bien-fondé des programmes éducatifs et sociaux, même s’ils donnent lieu à une considérable gabegie, mais force est de reconnaître que les activités économiques végètent. L’agriculture ne décolle guère, malgré le lancement des coopératives et la redistribution des terres dans le cadre de la réforme foncière, l’industrialisation reste faible et le pays ne vit que grâce aux importations.
Il va de soi que l’instauration du « socialisme du XXIe siècle » est un travail de longue haleine. Les « chavistes » appellent donc à la patience et jouent la carte de la décentralisation. Une loi créera prochainement les mécanismes permettant au pouvoir central, aux États fédéraux et aux municipalités de transférer les services dont ils ont la charge aux communautés organisées, aux conseils communaux et autres branches du « pouvoir populaire ». Il s’agit officiellement d’associer les citoyens à la gestion de l’habitat, de la culture, des programmes sociaux. Mais les adversaires du régime – élites et milieux d’affaires, en premier lieu – dénoncent pour leur part ses tentations « néototalitaires » et redoutent que « tous les citoyens qui ne sont pas socialistes soient traités en dissidents ».

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Fils d’indienne
Hugo Chávez, dont la mère est une Pumée, une Indienne des plaines, s’efforce d’impliquer les communautés indigènes dans la définition de ses grands projets. Pour les y aider, la révolution ne lésine pas sur la création d’organismes en tout genre : institut régional des affaires indigènes, division régionale des affaires indigènes, missions Gaicaipuro (politique sociale), Robinson (alphabétisation), Rivas (scolarité) Entre les administrations nationales et locales, la direction des grands projets et les autorités traditionnelles, l’enchevêtrement des pouvoirs est tel que de vrais problèmes décisionnels se posent désormais. Il est vrai que c’est peut-être le moyen d’assurer la prééminence du « Centre ». Mais, plus que tout, le président vénézuélien devra s’efforcer de lutter contre la corruption, à tous les niveaux, s’il ne veut pas que ses idéaux révolutionnaires soient pervertis par des apparatchiks dévoyés.

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