Fosso réinvente Fosso
Du 24 novembre au 23 décembre, les VIIe Rencontres africaines de la photographie de Bamako présentent une rétrospective du Camerounais passé maître du déguisement et de l’autoportrait.
Qu’il se fasse marin, homme d’affaires, golfeur, pirate ou encore « femme américaine libérée », Samuel Fosso réinvente depuis plus de vingt ans son image, toujours avec un humour décalé et quelquefois une certaine touche de cynisme. Véritable maestro du déguisement et de l’autoportrait, il a su construire un univers fantasque et coloré que mettent à l’honneur les Rencontres africaines de la photographie de Bamako, du 24 novembre au 23 décembre. Pour cette septième édition, les Rencontres ont voulu fêter ce Camerounais de 45 ans, installé à Bangui (Centrafrique), dont « le travail, explique Simon Njami, le commissaire général, appartient désormais au patrimoine photographique contemporain » et mondial.
Une sorte d’autocongratulations puisque Samuel Fosso, découvert par le photographe français Bernard Descamps, a été véritablement « lancé » sur la scène internationale par les Rencontres de 1994. Tout comme les Maliens Seydou Keïta et Malick Sidibé. Leur participation à la première édition de la manifestation bamakoise a été déterminante. Aujourd’hui, ces trois artistes font partie, selon le site Artprice, le « leader de l’information sur le marché de l’art », des photographes africains les plus cotés. Pas une exposition internationale d’art contemporain africain qui ne présente l’un de leurs clichés. New York, Paris, Barcelone, Amsterdam les galeries les plus prestigieuses s’intéressent à eux. Les couleurs vives et le jeu de Samuel Fosso séduisent. Deux de ses tableaux ont fait l’affiche d’Africa Remix, la grande exposition internationale itinérante d’art contemporain. Le Chef (celui qui a vendu l’Afrique aux colons), acquis depuis par le musée national d’Art moderne de Paris (Centre Pompidou), sert en 2005 à l’une des affiches françaises. Le Pirate a été choisi à Johannesburg, où l’exposition a fait escale du 24 juin au 30 septembre 2007. Toutes deux font partie de la série « Tati », commandée en 1997 par le célèbre magasin parisien. Des autoportraits atypiques pour un photographe au parcours lui-même atypique.
Travestissement
Né en 1962 à Kumba, dans le sud-ouest du Cameroun, Samuel Fosso est le troisième garçon d’une fratrie de sept enfants. D’origine ibo, il passe son enfance chez sa grand-mère au Nigeria, de 1965 à 1972, avant de rejoindre son frère aîné, Stephen, installé en Centrafrique depuis la guerre du Biafra. Il n’est pas l’un de ces fils de bonne famille qui vont à l’école et mangent à leur faim. Dès l’âge de 10 ans, il travaille chez un cordonnier de Bangui. Un métier éreintant qu’il abandonne en 1975 pour entrer comme apprenti chez un photographe, parce que, se dit-il, ce sera moins dur. Quelques mois de formation plus tard et grâce à de précieuses économies, il parvient à se mettre à son compte. Il crée à 13 ans le « Studio national ». « Vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître », est la devise de sa boutique. Il ouvrira en 1976 le « Studio Confiance », qu’il baptisera successivement « Studio Gentil » en 1977, « Studio Hobereau » en 1979 et « Studio Convenance » en 1982.
Commerçant le jour, il tire les portraits de ses clients dans la plus grande tradition des maîtres des années 1960. Les affaires marchent. Mais la nuit, lorsque tout Bangui dort, il se transforme en artiste. Grâce aux chutes de pellicules récupérées dans sa boutique, il se photographie lui-même vêtu des tenues des « sapeurs » congolais à la mode et envoie ses autoportraits à sa grand-mère restée au Nigeria. Talons compensés, coupe afro, pattes d’eph’ son univers est celui des chanteurs américains de l’époque. Fosso se met en scène et vit la photographie de manière théâtrale. Costumes, décors, maquillage, tout est parfaitement pensé.
Consécration
Plus il maîtrise son sujet, plus il ose l’extravagance. Mais sa fantaisie n’est pas légèreté. Au contraire, il double son travail d’une dimension sociologique et politique, surtout à partir des années 1990. Son uvre se fait critique : il se sert de l’image et du déguisement pour exprimer des thématiques identitaires, esthétiques et culturelles telles que l’africanité et la négritude. Mais aussi des préoccupations sociales, politiques et historiques. Paré d’une peau de léopard et d’une toque sur fond de tissus africains dans Le Chef (celui qui a vendu l’Afrique aux colons), il se joue des représentations occidentales de l’Afrique, s’amuse de l’image de Mobutu et dénonce le rôle des chefs coutumiers dans la traite négrière. Il aime mélanger les genres et déconstruire les stéréotypes en incorporant du contemporain dans le traditionnel, et inversement. Un style qui plaît.
Il reçoit, en 1994, le prix Afrique en créations de l’Afaa (futur CulturesFrance), l’organisme dépendant des ministères français des Affaires étrangères et de la Culture, organisateur, avec le ministère malien de la Culture et la Maison africaine de la photographie, de la manifestation bamakoise. Une récompense qui lui permet d’exposer au Centre national de la photographie de Paris. La consécration. « Venir à Paris était l’un de mes rêves, confiera-t-il. Il s’est réalisé Pour moi, OK, tout est correct, tout est bien. Je suis là à Paris, j’ai triomphé. » Néanmoins, comme Malick Sidibé, l’un des maîtres de la photographie africaine et des portraits en noir et blanc, Samuel Fosso continue à tenir son studio. De 7 h 30 à 22 heures, il prend les photos d’identité de ses clients, développe leurs souvenirs.
Depuis le début des années 2000, une nouvelle phase de son uvre plus intime et plus personnelle se dessine avec la série « Le rêve de mon grand-père », qui recrée les différentes étapes de l’initiation. Son grand-père souhaitait qu’il devienne, comme lui, guérisseur. Le crâne rasé, le corps enduit d’un onguent rouge utilisé dans les cérémonies d’initiation, vêtu d’un seul cache-sexe, Samuel Fosso continue de jouer avec une Afrique traditionnelle. Et, tel Narcisse, de sculpter son image.
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