Désaccords parfaits

Kigali a décidé il y a un an de rompre ses relations diplomatiques avec Paris. Et reste jusqu’ici insensible ou presque à tout appel du pied.

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Voilà un an, le 27 novembre 2006, à l’initiative du président rwandais Paul Kagamé, les relations diplomatiques entre Paris et Kigali étaient rompues. Une décision prise pour dénoncer l’action judiciaire menée par le juge français Jean-Louis Bruguière. Ce dernier venait de délivrer neuf mandats d’arrêt internationaux contre neuf hauts responsables rwandais proches du chef de l’État, pour leur rôle présumé dans l’attaque contre l’avion de l’ancien président Juvénal Habyarimana, le soir du 6 avril 2004. Jean-Louis Bruguière, pour qui cet attentat fut le déclencheur du génocide, a même demandé au secrétaire général de l’ONU de saisir le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) afin que des poursuites soient engagées contre Kagamé.
S’ensuit alors une période de tensions, marquée notamment par la création à Kigali d’une commission d’enquête chargée d’examiner le rôle de la France dans le génocide de 1994. Le 7 avril 2007, Paul Kagamé, dans un discours à Murambi, attaque : « Ils veulent jouer l’officier de police judiciaire, le procureur, le juge, dans le même procès. Ils s’arrogent le droit de juger alors qu’ils ont leur responsabilité dans ce qui s’est passé. Ils disent vouloir juger des Rwandais parce qu’un avion a été abattu. Mais qu’est-ce qu’il y avait dans cet avion pour qu’on accepte la mort d’un million de Rwandais ? Ils veulent juger ceux qui ont combattu leur mauvaise politique ici ? Je regrette qu’on n’ait pas eu le temps de les corriger ! » Le 18 avril, Tharcisse Karugarama, ministre rwandais de la Justice, saisit la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye, d’une requête concernant les neuf mandats délivrés par Bruguière. Peu de temps après, deux des officiers supérieurs visés, Charles Kayonga et Jack Nziza, portent plainte à leur tour contre le magistrat français devant la justice belge et réclament chacun 62,5 millions d’euros de dommages et intérêts.
Pendant ce temps, l’élection présidentielle française bat son plein. Les Rwandais guettent le moindre signe de changement d’attitude dans les propos du candidat Nicolas Sarkozy. Or celui-ci, d’une façon générale, se refuse à toute forme de repentance. Une fois élu, sa décision de nommer Bernard Kouchner aux Affaires étrangères rassure Kigali. « Il est le seul homme politique français à ne pas nier le génocide et à ne pas parler de double génocide », confie une source rwandaise. Kouchner entre en contact avec Kagamé pour lui annoncer son intention de se rendre à Kigali. Trois de ses collaborateurs y sont même envoyés en éclaireurs. Dernière initiative en date : la rencontre, en septembre, entre Kouchner et son homologue rwandais Charles Murigande lors de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York.
N’empêche. Selon un officiel rwandais qui a requis l’anonymat, « les relations franco-rwandaises sont inexistantes aujourd’hui, même s’il y a eu quelques gestes positifs de la part du gouvernement français, preuve de sa volonté de changer d’attitude ». Le signe le plus significatif reste « l’arrestation de suspects de génocide vivant en France, mais nous attendons plus : que ces gens soient jugés, extradés au Rwanda ou expulsés ». Ce qui continue à fâcher, c’est le « rôle de la France au Rwanda avant, pendant et après le génocide. Le refus de ne pas reconnaître le nouveau gouvernement envers lequel elle s’est montrée hostile dans toutes les instances internationales. Et, surtout, son refus d’admettre qu’elle a commis ne serait-ce qu’une erreur de jugement. »
Selon Kigali, la reprise des relations diplomatiques est conditionnée à l’annulation des mandats d’arrêt lancés par le juge Bruguière, « parce qu’ils sont plus politiques que judiciaires ». La France doit-elle demander pardon aux Rwandais comme l’ont fait, entre autres, les gouvernements belge et américain ? « Il lui appartient de déterminer la meilleure façon d’assumer ses responsabilités par rapport à la tragédie, répond un ministre de Kigali. Le minimum que nous attendons, c’est qu’elle reconnaisse que les choses ne se sont pas passées comme elle le prétend. »
Tout en louant les efforts et la bonne volonté de Kouchner, les officiels rwandais rappellent la présence, dans les milieux politico-militaires français, de « gens qui n’ont jamais apprécié la chute du régime qu’ils avaient soutenu ». En clair, Kouchner ne peut pas régler, à lui seul, la crise. À Kigali, on reste conscient que certains esprits ne sont pas prêts à voir la situation évoluer. Actuellement, quelque 200 à 300 ressortissants français vivent au Rwanda, sous la protection de l’ambassade de Belgique.
Avant la rupture, la coopération entre les deux pays était plutôt modeste. Les échanges commerciaux avaient même diminué entre 2004 et 2005, passant de 17,4 millions à 8,1 millions d’euros. Paris importait surtout du thé et du café. Pour les Rwandais, c’est une preuve supplémentaire de la « mauvaise foi » de la France, accusée de ne jamais avoir voulu les aider à reconstruire le pays. Au Quai d’Orsay, on observe un silence prudent.

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