« Mare Nostrum », une exposition puissante en marge de la Conférence du Pacte de Marrakech
Jusqu’en février, le public peut découvrir le regard d’une rare acuité de sept artistes marocains sur la migration dans la mer Méditerranée. Parmi les œuvres exposées, une impressionnante toile d’un jeune nom de la création contemporaine, Mariam Abouzid Souali.
Il se chuchote à la Conférence intergouvernementale chargée d’adopter le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, organisée par les Nations Unies, qu’une partie de la délégation monégasque s’est éclipsée pour se diriger vers le centre ville de Marrakech, à Guéliz. Au Comptoir des mines, plus précisément, une galerie ouverte en 2016 par Hicham Daoudi, le fondateur de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d’art, salle de ventes de la place casablancaise.
Le but de leur escapade, « Mare Nostrum », la première exposition « non commerciale » de la galerie, pour laquelle Hicham Daoudi a proposé à sept artistes marocains de s’emparer du sujet de la migration en Méditerranée. Leurs œuvres, à découvrir jusqu’au 9 février 2019, ont été produites sur place, à l’exception de celles de Mahi Binebine, un nom déjà fameux de l’art contemporain maghrébin.
Douloureuse réalité
La plupart des artistes exposés sont jeunes et résolument ancrés dans une démarche contemporaine. On y découvre le tapis de petites figurines de soldats en plastique peints en bleu et disposés de telle manière qu’ils figurent la mer séparant l’Europe de l’Afrique. Une installation de Simohammed Fettaka, artiste pluridisciplinaire d’un trentaine d’années, qui laisse songeur. Les figurines, massées et en marche dans une direction unique, avec leurs petites armes moyenâgeuses, interrogent le thème d’une prétendue « invasion migratoire », toujours plus récurrent en Occident, et rappelle le macabre recensement de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) : quelque 17 000 personnes sont décédées et disparues en Méditerranée depuis 2014.
Il y a aussi quelque chose de plus directement dérangeant qui émane de l’œuvre à la fois répulsive et esthétique, harmonieuse et terrible, produite par Youness Atbane, une barque formée par les mannequins à taille humaine, renversés, la tête dans le sol, eux aussi peint en bleu.
Au Maroc comme ailleurs, nombreux sont les artistes qui cherchent à donner une forme à la question de la migration. Les travaux du célèbre plasticien chinois Aï Weiwei sur le sujet ont fait le tour du monde. L’étonnante acuité du regard des artistes exposés s’explique aussi par une douloureuse réalité : entre janvier et août 2018, ce sont pas moins de 54 000 tentatives d’émigration « clandestines » avortées qui ont été décomptés au Maroc. « Quand vous êtes un jeune Marocain, il y a de fortes chances que vous connaissiez quelqu’un qui a déjà tenté la traversée… », souffle Hicham Daoudi.
Une artiste à suivre
L’exposition est l’occasion de découvrir le travail de Mariam Abouzid Souali. Une jeune artiste de moins de trente ans, originaire de la région d’Al Hoceïma, ville côtière qui fait face à l’Espagne et connue pour son importante communauté émigrée. L’ancienne élève des Beaux-arts de Tétouan a réalisé une toile, « Mare Nostrum », du même format que le fameux Radeau de la Méduse, du romantique français Théodore Géricault : près de cinq mètres sur sept.
Les téléphones portables y ont remplacé les mouchoirs agités par les naufragés du XIXe siècle, tandis que les bidons en plastique – en béton coloré – remplacent les tonneaux. Malgré ces changements composition générale est très proche, l’œuvre reste reste proche, dans sa composition, de sa prestigieuse ancêtre.
Derrière le drame humain au centre de la toile, la mer se déchaîne sur le même modèle que la vague de Hokusaï. La violence contemporaine dénoncée dans le tout rappelle Guernica de Pablo Picasso et les choix esthétiques originaux de Mariam Abouzid Souali ne sont pas sans rappeler Salvador Dalí.
Œuvre totale, la « Mare Nostrum » de la jeune artiste est le fruit d’un long travail que Daoudi a tenu à présenter : plusieurs salles sont consacrées aux esquisses et aux essais liminaires de l’artiste, dont on comprend qu’elle risque de s’imposer dans le monde de la création contemporaine. La pièce maîtresse, elle, exposée dans l’imposant hangar accolée au superbe bâtiment art déco du Comptoir des mines.
Le travail de la jeune artiste aurait d’ailleurs déjà tapé dans l’œil d’un directeur d’un important musée européen. Tant mieux pour Hicham Daoudi, qui espère pouvoir faire voyager l’exposition dans son ensemble dans différentes structures autour de la Méditerranée.
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