Déby Itno, Sarko et le magistrat

Les présidents tchadien et français ont obtenu la remise en liberté de sept inculpés dans l’affaire des enfants de l’Arche de Zoé. Au grand dam d’un substitut du procureur, qui a refusé de signer l’ordonnance.

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Etait-ce sur un coup de tête ? Quand le premier substitut du procureur de la République, Djimrabaye Bourngar, a claqué la porte du palais de justice de N’Djamena, samedi 3 novembre à 23 heures, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il bouillait. « J’ai senti que j’étais en train d’être trahi par mes propres collègues, j’ai eu un coup de sang et je suis parti », avoue-t-il aujourd’hui. En quittant le palais sur sa moto, il a même lancé aux journalistes : « J’en ai assez, je rentre chez moi. » Mais il n’en reconnaîtra pas moins avoir mis toute une journée à prendre sa décision. Il faut dire que, depuis la veille, depuis l’arrivée dans la capitale des inculpés de l’Arche de Zoé, le magistrat était sous pression. L’un de ses supérieurs, le procureur général Béassoum Ben Ngassoro, lui avait transmis les consignes du garde des Sceaux, Albert Pahimi Padacké : faire libérer les trois journalistes français et les quatre hôtesses de l’air espagnoles avant l’arrivée de Nicolas Sarkozy, le dimanche 4 à midi. Dilemme : obéir ou pas ?

Comme dans un mauvais film
Pour tout dire, Bourngar se serait bien passé de cette responsabilité. Mais, manque de chance – ou d’expérience -, ce magistrat de 38 ans n’avait pas eu la bonne idée de faire comme son supérieur immédiat, le procureur de la République de N’Djamena : prendre une journée de congé pour aller voir de la famille au Cameroun.
Ce fichu samedi, un jour d’habitude non ouvrable, Bourngar s’est donc retrouvé au palais de justice dans un rôle qu’il déteste : figurant dans un mauvais film. Toute la journée, il a nourri le secret espoir que le juge d’instruction Dimnandengarti Ngardjimti, qui interrogeait les sept Européens, déciderait de ne pas les libérer à la va-vite. Mais ce dernier n’a pas eu les mêmes scrupules que lui. L’étau s’est resserré autour de Bourngar. Le soir venu, il a compris qu’il devrait trancher : signer ou non l’ordonnance de mise en liberté. Et s’en est discrètement ouvert à l’un de ses amis juristes : « On me demande de signer, mais moi, tu sais » « Écoute, je comprends ton trouble, mais n’oublie pas que tu es parquetier (NDLR : juge du Parquet) et donc soumis à ta hiérarchie », lui a répondu l’ami. « Bon, je verrai, mais il y a des fois où je préfère aller labourer au champ », a lâché le magistrat.
C’est après cet échange qu’il s’est décidé. « Vous savez, dans cette affaire, il y a eu des pressions politiques vraiment intolérables, et j’ai eu l’impression que, pour rester magistrat, il fallait que je fasse ce choix, dit-il. J’avoue que j’ai envisagé de démissionner. Je suis un fils de cotonculteur du sud du Tchad, et je me suis dit qu’après tout je pourrais très bien reprendre ma houe. Quand j’étais étudiant à l’université de N’Djamena, j’avais affiché au mur de ma chambre une devise de Mandela : Tout homme ou toute institution qui essaie de me dépouiller de ma dignité a perdu d’avance. La dignité, c’est ce qui reste quand on a tout perdu. »
Le magistrat a préservé la sienne. Il n’a pas démissionné. En quittant son bureau, ce fameux samedi soir, il s’est dessaisi du dossier. C’est tout. Le lendemain matin, à l’heure où Sarkozy décollait de la région parisienne pour aller récupérer les sept Européens, le procureur général de N’Djamena s’est mis fébrilement à la recherche d’un autre magistrat du Parquet pour signer l’ordonnance de mise en liberté. Le deuxième et le troisième substitut avaient opportunément éteint leurs téléphones portables. La quatrième n’avait pas pris cette précaution. Elle a été convoquée d’urgence au palais de justice, et a même eu droit à une escorte policière
Pendant ce temps, Bourngar est resté chez lui, dans l’attente d’une sanction. Elle n’est pas encore tombée. Il est vrai qu’entre-temps le président français s’est mis à dos toute l’opinion tchadienne. « Après ses déclarations à l’emporte-pièce, c’est devenu plus facile pour nous. À quelque chose malheur est bon », sourit le magistrat.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires