Justice transitionnelle en Tunisie : l’Instance vérité et dignité à l’heure du bilan
Sans grand apparat mais en présence d’experts internationaux, l’Instance vérité et dignité (IVD) a tenu à marquer la fin de sa mission en présentant son bilan, vendredi 14 et samedi 15 décembre à Tunis.
Opérationnel depuis 2014, l’organisme avait pour tâche de recenser les exactions et les violations des droits commises par l’État de 1955 à 2013, notamment sous les régimes de Habib Bourguiba et de Zine el Abidine Ben Ali. Un état des lieux comme première étape dans le processus de justice transitionnelle choisi par la Tunisie et inscrit dans sa Constitution.
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La rencontre s’est déroulée en l’absence de représentants du gouvernement, de la présidence et de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), mais en présence aux portes de la salle d’une manifestation menée par Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), qui protestait contre d’éventuels dédommagements.
57 599 demandes retenues sur 62 716
En quatre ans et dans un contexte assez hostile en raison de la personnalité de la présidente Sihem Ben Sedrine et de l’apparent rejet du processus par les organes de l’État, cible de cette démarche, l’IVD a tenté d’établir la véracité des faits, d’enclencher un processus d’identification des coupables, de proposer des arbitrages et d’évaluer des dédommagements.
472 dossiers ont été soumis aux chambres spécialisées de la justice transitionnelle, qui vont désormais statuer sur chaque affaire
Malgré le manque de coopération, l’instance a reçu 62 716 demandes et en a retenu 57 599, concernant 48 000 victimes et référençant 32 types de violations. 472 dossiers ont ainsi été soumis aux chambres spécialisées de la justice transitionnelle, qui vont désormais statuer sur chaque affaire.
Réhabilitation, pardon et indépendance de la justice
La réconciliation nationale à laquelle devait aboutir tout le mécanisme mis en place est loin de se faire. En livrant son rapport, notamment aux députés, l’IVD donne des recommandations, dont celle de créer une commission pour suivre l’évolution du processus, prévoyant une réhabilitation avant la réconciliation générale. Le point d’orgue de cette dernière est le pardon aux victimes demandé publiquement, en tant que premier représentant de l’État, par le président de la République.
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Les consignes de l’IVD visent à éviter que pareilles exactions se reproduisent, ainsi qu’à travailler au devoir de mémoire. L’instance préconise de purger différentes administrations, dont la police et la justice, et de consolider le principe de reddition des comptes face à la justice. « Il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités pour protéger les juges. C’est une mesure qui doit être initiée obligatoirement dans les plus brefs délais afin de garantir l’indépendance de la justice », a déclaré Sihem Ben Sedrine.
« Rétablir la confiance »
« C’est à la société civile de terminer le processus », a ajouté la président de l’IVD, sans donner plus d’indications. Elle a également souligné que les dédommagements seraient moraux – il est également question d’indemnisation financière, avec la création d’un fonds doté de 10 millions de dinars versés par l’État.
Beaucoup de bruit pour rien, estime un participant, qui aurait voulu que l’IVD, comme elle s’y était engagée, donne la parole à des tortionnaires
Ce point en particulier a suscité un tollé dans une frange de la société qui refuse que les islamistes, qui composent le plus gros du contingent des victimes, soient encore une fois indemnisés après les décaissements de 2012 qui accompagnaient l’amnistie générale des prisonniers politiques. « L’objectif est de rétablir la confiance entre les citoyens et l’État », analyse pour Jeune Afrique Salwa El Gantri, directrice du bureau tunisien du Centre international pour la justice transitionnelle (ICJT).
En évoquant ensuite l’affaire de la Banque franco-tunisienne (BFT), scandale financier en cours d’arbitrage international, l’IVD semble être sortie de sa mission. De même, les auditions publiques portant sur la corruption des médias n’ont rien révélé aux Tunisiens qu’ils ne savaient déjà, depuis la publication fin 2012 du rapport Belhaj Amor, qui listait toutes les faveurs dont ont bénéficié les médias sous Ben Ali, via l’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE). « Beaucoup de bruit pour rien », estime un participant, qui aurait voulu que l’IVD, comme elle s’y était engagée, donne également la parole à des tortionnaires.
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