Beyala-Drucker : amour, haine et argent

La romancière franco-camerounaise réclame 200 000 euros à l’animateur télé pour un livre qu’elle aurait écrit à sa place. À l’époque où ils filaient le parfait amour.

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Ses yeux sont de feu lorsqu’elle s’exprime. Sa voix est tranchante, son ton véhément. C’est une femme blessée qui parle en ponctuant ses phrases d’un tapotement discret mais ferme sur la table. On a du mal à arrêter la romancière Calixthe Beyala lorsqu’elle évoque sa relation passée avec « cet homme », comme elle l’appelle parfois. Celui qui, pendant deux ans, l’a aimée d’un amour fou avant de rompre avec une brutalité pour le moins cavalière. « Cet homme qui, le matin encore me disait je t’aime, m’a fait appeler par son assistante pour me signifier que notre relation était terminée », confirme-t-elle en tirant sur sa cigarette, assise dans le vaste salon de sa maison de la banlieue parisienne. « Cet homme » est pourtant loin d’être commun. Il est l’un des animateurs télé les plus célèbres et les plus aimés de France. Il se nomme Michel Drucker.
La véritable identité du personnage François Ackerman dans le roman de Calixthe Beyala, L’homme qui m’offrait le ciel (sorti au début de 2007), n’est plus un secret pour personne depuis que la belle histoire d’amour s’est transformée en bataille judiciaire. Oubliés, les jours idylliques passés à roucouler ensemble : « En deux ans, nous ne sommes restés que dix jours sans nous voir. Il vivait avec moi dans ma maison. Le poissonnier et le boucher du quartier le connaissaient car il allait lui-même faire les courses. D’ailleurs, la penderie est encore pleine de ses vêtements qu’il n’a jamais récupérés », explique-t-elle d’une voix amère.
Calixthe Beyala en veut à Michel Drucker. Le temps n’a pas adouci ses blessures. Plus d’un an après leur rupture, elle est toujours à vif et ses propos sont teintés d’acrimonie. Elle se refuse néanmoins à parler de haine. Pourtant, ne serait-ce pas là la légitime colère d’une femme éconduite ? Elle s’irrite à cette remarque, qu’elle qualifie de « gamineries ». Elle se fend d’un vibrant « Là n’est pas la question ! » en même temps qu’elle foudroie du regard son interlocutrice si peu apte à comprendre les raisons profondes de son ressentiment. « Ce sont les circonstances de la séparation que je trouve inadmissibles. » Elle n’aurait pas fait tout un foin de la fin d’une histoire d’amour comme tant d’autres en ont connu si celle-ci ne s’était pas conclue sur un point final dégradant.

Le « gendre idéal »
« Il m’a dit : que dirait la France profonde si je divorçais pour épouser une femme noire ? » Des éclairs sortent de ses yeux alors qu’elle précise : « Je ne lui pardonnerai jamais de m’avoir réduite à ma négritude. Même sur mon lit de mort. » Elle ne mâche pas ses mots et va jusqu’à utiliser les termes de colonialisme et de racisme. Mais alors pourquoi Drucker se serait-il exhibé deux ans durant avec elle ? « Parce que c’est un individu qui, pendant des mois, a dissimulé son vrai visage. Il se fait passer pour un modèle de vertu aux yeux de la France entière alors qu’il est comme les autres hommes ! » laisse-t-elle tomber avec conviction. Ne craint-elle pas, en parlant en ces termes d’un homme que la plupart des Français considèrent comme le « gendre idéal », de se faire qualifier d’illuminée ? « Non, parce qu’il renvoie une fausse image de lui-même à ceux qui ne le connaissent qu’à travers la petite lucarne. La preuve, on le voit cette semaine à la une d’un magazine people où il proclame qu’il ne quittera jamais son épouse. Et pourtant il m’avait promis le mariage en m’offrant une alliance pour sceller notre amour. On a même essayé de faire un enfant. »
Elle se lève, disparaît dans une pièce puis revient avec un porte-documents. Dans celui-ci, toutes les lettres d’amour et les photos dédicacées de l’animateur ainsi que le certificat d’authenticité de la bague. Elle les étale sur la table comme pour mieux confirmer une histoire que Drucker l’accuserait d’avoir « rêvée ». Indignée, elle confirme : « Il s’est mis dans la négation. Il raconte partout autour de lui qu’on a juste eu une aventure et qu’il est victime d’une tentative d’extorsion de fonds de ma part. Tout ça parce qu’il ne veut pas débourser 200 000 euros par pure avarice. » C’est là qu’on touche au point le plus sensible de l’histoire ; car la rupture comporte un chapitre litigieux qui a transformé une séparation, qui aurait dû rester privée, en bataille judiciaire. Outre la façon dont elle a été congédiée, l’écrivaine en veut à l’animateur pour la commande qu’il lui aurait faite d’un livre d’entretiens avec le philosophe Régis Debray. Montant de la transaction, forcément verbale puisque Beyala opérait en tant que nègre ? Deux cent mille euros selon elle, dont elle n’aurait jamais touché un centime. « J’ai passé huit mois à travailler sur ce livre et, une fois celui-ci achevé, il n’a rien trouvé de mieux à me dire que, depuis la nuit des temps, les hommes faisaient aux femmes des promesses qu’ils ne tenaient jamais ! L’argent a une puissance telle qu’ils sont prêts à vendre leur âme au diable. Que de machisme, que de misogynie ! Pensait-il que j’allais rester sans rien dire, moi une militante ? Il ne savait pas à qui il avait affaire ! » s’indigne-t-elle en plissant sévèrement les yeux. « Il m’a par la suite envoyé une lettre d’excuses, mais c’est trop tard », conclut-elle. Alors Calixthe ne s’est pas laissé faire.

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« Inattaquable »
Après avoir cherché en vain à régler cette affaire à l’amiable, et devant les refus répétés de Drucker qui n’aurait daigné lui proposer qu’une « misérable obole de 20 000 euros », elle, l’ex-lauréate du Grand Prix de l’Académie française, a porté l’affaire devant la justice. Pour espérer avoir une chance de toucher le magot qui lui revient de droit ? Elle balaie cette supposition d’un geste de mépris. « Ce n’est pas une question d’argent. C’est une question de principe et de respect. Je tiens à ce que les principes moraux soient respectés. Je lui en veux aussi de m’avoir obligée à porter plainte. » À propos de plainte, comment un homme public comme Michel Drucker (dont on n’a pu joindre l’attaché de presse), n’a-t-il pu régler cette affaire à l’amiable au risque de fêler son image d’animateur lisse et sans histoire ? L’intéressée a son idée : « Il se croit inattaquable. » Curieusement, aucun des grands médias n’a relaté l’incident. Ce qui est surprenant lorsqu’on connaît leur goût pour les affaires scabreuses
Calixthe Beyala ne pardonnera pas : « Il n’a pas suivi les conseils de mon éditeur, qui lui suggérait de m’envoyer un chèque avec le maximum de ce qu’il pouvait donner. Je laisse donc à la justice le soin de trancher. » Il lui faudra attendre jusqu’au 6 février 2008, date de la prochaine audience, pour savoir si elle aura gain de cause. Qui sortira victorieux de ce duel à la plume et au micro ? La fin houleuse de leur histoire a, en tout cas, tout d’une trame romanesque qui pourrait inspirer plus d’un écrivain

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