Au gré des eaux

Victime de l’aridité des sols, le secteur primaire occupe 25 % des actifs. Mais sa contribution au produit intérieur brut est inférieure à 4 %. Encore s’agit-il essentiellement d’élevage.

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Une terre rocailleuse sur laquelle rien ne pousse. Les clichés sur l’aridité de Djibouti ont la vie dure. Au grand dam des autorités. « Cela nous a fait du mal. Beaucoup de mal. Oui, nous souffrons de sécheresses à répétition. Oui, les populations nomades sont fragilisées. Mais non, il n’y a pas de raison de baisser les bras. Il existe des solutions, il existe une voie étroite mais possible pour le développement de l’agriculture. Au risque de passer pour un fou, je l’affirme : avec de l’imagination et du travail, il est possible d’arriver à l’autosuffisance alimentaire ! » On peut soupçonner Abdoulkader Mohamed Kamil de prêcher pour sa paroisse, car, après tout, il est ministre de l’Agriculture. Difficile, cependant, de ne pas lui faire crédit d’une solide volonté politique. C’est qu’après des décennies et des décennies de fatalisme les autorités du pays semblent enfin décidées à prendre le taureau par les cornes. Moins de 10 % des besoins nationaux en fruits et légumes sont couverts par la production locale. Autant dire une misère. Quant aux rendements, ils sont pour le moment insuffisants : le secteur primaire occupe 25 % des actifs mais sa contribution au produit intérieur brut (PIB) est inférieure à 4 %. Et encore s’agit-il essentiellement d’élevage.
Le problème est autant économique que culturel. « L’agriculture sédentaire reste assez mal vue, car les Djiboutiens sont encore habités par l’imaginaire nomade et assimilent le travail de la terre à du servage, incompatible avec leur dignité d’hommes libres », explique un enseignant d’Obock. Les mentalités commencent toutefois à changer. Et le président Ismaïl Omar Guelleh, qui se targue de cultiver ses propres parcelles dans sa résidence secondaire située sur les hauteurs de la forêt du Day, veut faire de la révolution verte l’un des chantiers emblématiques de son second mandat. Il a notamment initié l’ambitieux projet palmier-dattier, piloté par le Centre d’études et de recherches de Djibouti (Cerd). Des dizaines de milliers de plants sélectionnés, adaptés aux conditions climatiques et cultivés in vitro pendant trois ans seront commercialisés dès l’an prochain. Les arbres, une fois arrivés à maturité, c’est-à-dire trois ans après transplantation, pourront produire entre 60 et 80 kg de dattes par an. De quoi rentabiliser rapidement l’investissement : le kilo de fruit est en effet vendu aux alentours de 1 000 francs djiboutiens (FDJ ; 4 euros). Le but étant de développer, dans le sillage des palmeraies, l’agriculture oasienne et les cultures maraîchères. Signe des temps, l’homme d’affaires arabe Ibrahim Lootah, spécialisé dans la promotion immobilière, vient d’annoncer son intention de se lancer dans la production de fruits et légumes en serre.
Djibouti ne sera jamais la Beauce et on ne transformera pas d’un coup de baguette magique ses vastes steppes semi-désertiques en plaines céréalières. Cependant, le problème réside moins dans la nature des sols que dans la difficulté d’accéder à l’eau. Car le précieux liquide existe en sous-sol. Si Djibouti-ville, qui concentre les deux tiers de la population, connaît des problèmes récurrents d’approvisionnement et voit le taux de salinisation de son eau augmenter dangereusement à cause d’un pompage excessif, ailleurs dans le pays, d’importantes nappes fossiles ont été identifiées. Elles sont peu – ou pas exploitées. La cinquantaine de stations de pompage et les 227 puits communautaires forment un réseau insuffisant. Surtout que nombre de pompes et de moteurs sont désormais obsolètes. Avec l’aide du Fonds international pour le développement de l’agriculture (Fida), de l’Unicef et d’autres bailleurs de fonds, le gouvernement a donc lancé un programme d’investissement triennal comportant notamment l’exécution de 95 nouveaux forages. Tous seront alimentés par énergie solaire. « L’enjeu est vital pour les pasteurs, car ils sont en première ligne, explique Baragoïta Mohamed Saïd, ingénieur agronome et conseiller technique au ministère. Le cheptel, estimé à plus d’un million de têtes, est fragilisé par les sécheresses qui frappent régulièrement le pays depuis dix ans. Les forages situés le long des aires de parcours constituent le seul moyen de fixer les éleveurs en zone rurale. Sinon, ils viendront grossir la masse des déshérités s’entassant à la périphérie de la capitale »

Réduire l’exode rural
Les points d’eau doivent permettre, à terme, la multiplication des périmètres fourragers. Pour l’heure, reconnaît le ministre, seulement une trentaine d’hectares ont été réalisés, ce qui est assez loin de la centaine par an initialement envisagée. La faute à un manque chronique de moyens et à la lenteur de réaction des bailleurs. « Les promesses de financement ne sont pas toujours suivies d’effet, et l’on constate qu’il est beaucoup plus facile de débloquer des aides d’urgences en criant à la famine que des fonds destinés à de l’investissement pérenne, s’insurge Abdoulkader Mohamed Kamil. Alors nous faisons avec nos moyens, limités, qui représentent 4 % à 5 % du budget de l’État, et avec l’aide qui nous arrive au compte-gouttes. Car certaines institutions posent des conditions surréalistes. Pourtant, nous avons démontré que nous pouvions réaliser des choses. La superficie des terres à potentialité agricole est de 120 000 hectares, sur lesquels 10 500 seraient facilement irrigables. »
La mobilisation et la récupération des eaux de surface constituent l’autre axe de la politique agricole. Le volume des précipitations s’élève à 150 mm par an, mais peut monter à 500 mm ou 600 mm. « Faute d’aménagements, cette eau s’évapore ou provoque des crues dévastatrices, remarque Baragoïta. C’est du gâchis. Nous avons donc mis en place ce programme pour récupérer les eaux de pluie, qui prévoit l’aménagement d’une centaine d’ouvrages, de retenues et de citernes enterrées. » Ces microprojets devraient changer concrètement la vie des villageois, mais sont susceptibles aussi d’engendrer des effets pervers. Bissidrou est une bourgade perdue au milieu d’une plaine battue par les vents, à proximité immédiate de la frontière avec l’Érythrée. C’est ici, à l’embouchure de l’oued Weima, un des rares à ne pas se jeter dans la mer, que Baragoïta supervise l’installation d’un campement destiné à une vingtaine de familles semi-nomades. Quelque 2 millions de FDJ ont été investis. « Il y a désormais un forage qui va chercher l’eau à 80 m de profondeur, et cette localité déserte va se transformer en oasis. Nous avons apporté le bonheur à ces gens, mais cela va induire des changements dans leurs modes de vie. Si le matériel tombe en panne, ils se retrouveront plus démunis qu’ils ne l’étaient avant l’arrivée de l’eau. Il faut être prudent. »

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