Que des perdants !

Le 18 septembre, les électeurs ont choisi… de ne pas choisir entre la CDU d’Angela Merkel et le SPD de Gerhard Schröder. Impasse politique, paralysie économique… Un beau fiasco.

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Jusqu’aux élections législatives du 18 septembre, personne, ou presque, n’en doutait : Angela Merkel serait la première Allemande à accéder à la chancellerie. La seule incertitude, croyait-on, concernait la composition de la coalition qu’elle serait amenée à diriger.
Et puis, dimanche soir, mauvaise surprise. Les sondages « sortie des urnes » laissent augurer un résultat décevant pour la CDU, même si Merkel paraît encore la mieux placée pour l’emporter. Ce n’est que quelques heures plus tard que les chrétiens-démocrates prendront la mesure du désastre : alors qu’ils espéraient recueillir sensiblement plus de 40 % des suffrages, ils n’en obtiennent que 35,2 %. Soit l’un des plus mauvais scores de toute l’histoire de leur parti. La course à la chancellerie est totalement relancée.
La plupart des commentateurs expliquent ce flop retentissant par la très mauvaise campagne menée par la CDU, qui, selon eux, a commis deux erreurs impardonnables. La première en annonçant son intention d’augmenter la TVA, la seconde en promettant le ministère des Finances à l’excentrique Paul Kirchhof, un ancien juge de la Cour constitutionnelle qui professe des idées radicales sur la réforme de l’impôt. Cette explication est commode, mais elle n’est qu’à demi vraie. Ô certes, la campagne de la CDU a été indigente : annoncer une augmentation des impôts en pleine campagne électorale est une faute tactique qui se paie généralement cash. Pour ne rien arranger, les chrétiens-démocrates ont perdu sans discussion le débat sur la réforme fiscale. Pourtant, si la nouvelle Dame de fer a échoué, c’est pour une autre raison.
Lorsqu’il leur a fallu choisir entre les réformes en douceur engagées par le chancelier Gerhard Schröder et le programme à l’emporte-pièce de Merkel (remise en cause du code du travail et du système de santé, réforme fiscale, etc.), les électeurs ont joué la prudence. Même si la croissance économique est quasi nulle depuis quatre ans, ils ont dans leur majorité préféré les certitudes du statu quo aux incertitudes du changement. La leçon qu’on pourrait tirer de cette élection, c’est que tout homme politique qui propose un programme de réformes radicales s’apparente à un fou suicidaire.
Le vainqueur – par défaut – de la consultation est donc Gerhard Schröder, même s’il n’est pas assuré de se maintenir au pouvoir, les sociaux-démocrates du SPD comptant quelques députés de moins que leurs adversaires de la CDU. Mais ce n’est plus la logique arithmétique qui compte désormais, c’est la dynamique politique. Le chancelier sortant est parvenu à renverser une situation qui paraissait irrémédiablement compromise. Indiscutablement, il est l’un des plus habiles hommes politiques européens. Contrairement à Merkel, il est en outre le chef incontesté d’un parti qui a certes perdu les élections de justesse, mais a retrouvé la confiance.
Que va-t-il se passer maintenant ? L’usage voudrait que le chancelier soit choisi parmi les membres de la coalition qui a remporté le plus grand nombre de voix. S’il est respecté, Merkel sera nommée chancelier à la tête d’une « grande coalition » entre la CDU et le SPD. Mais Schröder a déjà revendiqué le poste pour lui-même. L’écart entre les deux partis est serré : le SPD dispose de 222 sièges et la CDU de 225. Et il reste un siège à pourvoir, l’élection à Dresde ayant été reportée en raison du décès de l’un des candidats.
Mais Merkel doit également compter avec les divisions au sein de son propre parti. Certains de ses opposants (notamment le redoutable Friedrich Merz, un ancien ministre des Finances) ont, dans le passé, manifesté à son égard une telle animosité qu’on se demande s’ils ne préféreraient pas travailler avec Schröder plutôt qu’avec elle. Pour le moment, les barons de la CDU restent prudents, mais les couteaux devraient sortir d’ici peu.
Bien sûr, d’autres scénarios sont possibles. On peut très bien imaginer, par exemple, que le prochain chancelier ne soit ni Merkel ni Schröder. Il est également concevable, quoique peu probable, que la CDU et les libéraux du FDP s’allient avec les Verts (actuellement membres du gouvernement Schröder). Cet hypothétique renversement d’alliance suscite beaucoup d’agitation à Berlin. Les têtes pensantes de la CDU l’envisagent-elles sérieusement ? Ce n’est pas exclu. Mais Joschka Fischer, le chef de file des Verts – et actuel ministre des Affaires étrangères -, s’y refuse catégoriquement et répète à l’envi qu’il a combattu la droite toute sa vie… On imagine donc difficilement comment un attelage aussi hétéroclite pourrait fonctionner. Il en va de même d’une éventuelle coalition entre le SPD, les Verts et les libéraux, dont ces derniers ne veulent pas entendre parler. Il est vrai qu’en politique, on ne sait jamais.
Les tractations entre les dirigeants des quatre grands partis (l’extrême gauche populiste faisant bande à part) vont donc aller bon train au cours des prochaines semaines. À ce petit jeu-là, les cartes de Merkel ne sont pas forcément les meilleures. Bien plus que Schröder, elle a impérativement besoin de trouver un nouvel allié. Si elle n’y parvient pas, il lui restera la possibilité de constituer un gouvernement minoritaire avec le FDP, à condition que Horst Köhler, le président de la République, y consente. Schröder peut lui aussi s’y risquer, mais, dans les deux cas, ces combinaisons hasardeuses pourraient déboucher à brève échéance sur la tenue de nouvelles élections.
Dans l’hypothèse de la mise en place d’un gouvernement minoritaire, le chancelier sera élu à bulletins secrets par le Parlement. Lors des deux premiers tours de scrutin, la majorité absolue est requise, ce qu’aucun des deux candidats ne semble en mesure d’atteindre. Au troisième tour, en revanche, la majorité simple suffit. Même si la CDU et le FDP totalisent treize voix de plus que le SPD et les Verts, on hésitera à parier sur les chances de Merkel dans un tel scrutin, compte tenu de la forte opposition qu’elle suscite dans son propre camp. D’autant qu’une partie au moins des cinquante-quatre voix de l’extrême gauche pourrait se porter sur Schröder…
À l’heure actuelle, la solution la plus évidente sur le plan politique – mais la plus dommageable d’un point de vue économique – serait la formation d’une coalition entre les deux poids lourds de l’élection. Le problème est que les choix économiques de la CDU et ceux du SPD pourraient difficilement être plus opposés. La première veut simplifier le système fiscal et diminuer la pression sur les revenus les plus élevés – que le second entend accroître. La CDU veut assouplir les lois sur l’embauche et les licenciements, alors que le SPD s’y refuse. Elle veut limiter le pouvoir des syndicats dans les négociations salariales, mais le SPD n’est pas d’accord. La CDU est contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, le SPD est pour. On voit mal comment ce mariage de la carpe et du lapin pourrait déboucher sur autre chose que sur une impasse.
Les résultats du scrutin du 18 septembre paraissent donc négatifs à tous égards – mais surtout sur le plan économique. L’espoir que l’Allemagne réussisse à sortir la zone euro du malaise où elle engluée s’est évanoui. On ignore ce que veulent exactement les électeurs allemands. On sait seulement ce qu’ils ne veulent pas. Ils ne veulent pas du changement.

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