Pour qui votent les Français issus de l’immigration ?

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Quel est le rapport au politique des Français issus des immigrations maghrébine, subsaharienne et turque (près de 4 millions de personnes au total), et qu’est-ce qui les distingue, par leurs attitudes et leurs votes, du reste de la population ? Une étude – la première du genre – dirigée par Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, deux jeunes chercheurs du Cevipof (Centre d’études de la vie politique française, CNRS/Sciences-Po Paris), apporte d’utiles éléments de réponse. Et tord le cou, au passage, à pas mal d’idée reçues. Car ces Français, même s’ils présentent comme particularité une religiosité accrue, ne se situent ni en marge ni en rupture avec la société française dans son ensemble. Et adhèrent, très majoritairement, au principe de laïcité, connoté positivement pour 81 % des Français musulmans interrogés.

La loi républicaine interdisant aux sondeurs d’interroger sur l’origine et la confession, les politologues ont longtemps éprouvé de grandes difficultés à appréhender les votes « beur » et « black ». Pour contourner cet obstacle, les auteurs de l’enquête ont donc construit, selon la méthode des quotas, un échantillon d’un millier de personnes, des Français nés en France d’au moins un parent ou grand-parent immigré d’Afrique ou de Turquie, à partir d’un listing de 28 000 numéros de téléphones fournis par la Sofres, qui, de son côté, a constitué un « échantillon miroir », de taille identique, afin de comparer les réponses.

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Si 60 % des interviewés se déclarent musulmans, et 14,3 % chrétiens, les deux tiers des sondés ne pratiquent qu’occasionnellement. Seulement 21 % des musulmans se disent pratiquants réguliers. Mais 90 % jeûnent un ou plusieurs jours pendant le ramadan. La plupart indiquent qu’ils accordent « une plus grande importance qu’avant à la religion », mais pensent « pratiquer moins bien que leurs parents ». Et seuls 5 % des Français musulmans interrogés souhaitent pouvoir scolariser leurs enfants dans une école coranique, bien qu’ils soient favorables, à 70 %, à la création de telles écoles. « Le rapport au religieux est plus positif, mais cela n’implique pas un rejet de la laïcité », concluent les auteurs, qui insistent aussi sur le sentiment « d’absence de conflit entre l’islam et la République » qui habite 84 % des personnes interrogées.
En revanche, un clivage assez net se dessine en termes de moeurs et de valeurs, entre une morale globalement plus conservatrice que la moyenne et des préférences socio-économiques plus progressistes ; 39 % des sondés se déclarent hostiles à l’homosexualité, mais 77 % souhaitent une réduction de l’écart entre riches et pauvres, et 66 % veulent que l’État réglemente davantage les entreprises pour lutter contre le chômage.

Politiquement – c’est l’autre enseignement important de cette enquête -, les Français originaires des immigrations du Sud restent, très majoritairement, ancrés à gauche : ils se sentent proches, à 76 %, des partis de gauche (contre 54 % dans le panel témoin). Mais cette fidélité est toute relative et s’assimile davantage, selon les auteurs, à un rejet de la droite classique qu’à une adhésion inconditionnelle aux socialistes et aux Verts. Car c’est en effet le président Jacques Chirac, avec plus de 55 % d’opinions favorables, qui arrive en tête des personnalités préférées des Français issus de l’immigration, devant François Hollande, Dominique Strauss-Kahn (tous deux légèrement au-dessus de la barre des 50 %), Dominique de Villepin (environ 47 %) et… Nicolas Sarkozy (moins de 45 %). Sans doute trop marqué à droite, trop libéral et trop sécuritaire, le ministre de l’Intérieur ne fait donc pas recette, malgré ses appels répétés en faveur de la discrimination positive.

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