Nécessaire solidarité

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Le monde a vécu, en 1973-1974 puis en 1979-1980, deux chocs pétroliers successifs qui ont fait à l’époque beaucoup de bruit parce qu’ils ont frappé et désorganisé les économies des pays riches et développés.
Nous vivons un troisième choc puisque le prix du baril qui, en 2005, a augmenté de 50 % par rapport à 2004, a doublé depuis 2003 et triplé depuis 2002.
De ce troisième choc, on ne parle guère parce qu’il s’est étalé sur plus de deux ans et que les économies des pays riches sont parvenues à l’absorber sans trop de dommages. N’en souffrent vraiment que ceux des pays pauvres qui importent tout ou partie du pétrole qu’ils consomment, et plus particulièrement les couches défavorisées de leur population, qui sont la majorité.

Il semble assuré qu’on ne reviendra plus à un pétrole vendu à son « juste prix », que les spécialistes situent entre 20 et 30 dollars le baril. Cette matière première, source d’énergie indispensable à tout le monde*, coûtera désormais, jusqu’à ce que les conditions géopolitiques changent (ou que la technique mette à notre disposition à un prix raisonnable d’autres sources d’énergie), deux, trois ou quatre fois plus cher qu’en 2002.
Indispensable à la vie des hommes, le pétrole est en train de devenir trop cher pour la moitié de l’humanité.
Les budgets des pays – et ceux des ménages -, les balances des paiements, des secteurs entiers des économies de la plupart des pays (dont les transports terrestre, maritime et aérien, l’éclairage et le chauffage, l’agriculture, l’industrie et le tourisme) vont être affectés plus ou moins gravement. Les monnaies vont être fragilisées et l’inflation sera favorisée, peut-être même relancée.
Pour les pays exportateurs de pétrole, dont beaucoup sont très peu peuplés, pour les grandes compagnies et leurs sous-traitants, c’est l’inverse : leurs revenus ont doublé, et ils continuent d’augmenter. Le problème qui se pose à eux est celui du « recyclage » de ce trop-plein.

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Les Nations unies, qui viennent, à l’occasion de leur 60e anniversaire, de rassembler, au siège de l’Organisation à New York, la plupart des chefs d’État ou de gouvernement des États membres ; le Fonds monétaire international (FMI), qui a publié hier ses « perspectives pour l’économie mondiale en 2006 » et les autres organisations mondiales ou régionales en charge de notre destin n’ont pas encore sonné l’alarme.
Ils auraient dû le faire, car, selon le mot célèbre de l’un des grands spécialistes de la question, Daniel Yergin, « le pétrole, c’est 10 % d’économie et 90 % de politique ; aucune autre matière n’a de liens aussi étroits avec la géopolitique… ».
L’Union africaine (UA), qui regroupe les 53 pays africains, devrait, elle, commencer à se préoccuper du déséquilibre créé par ce choc entre :
. la douzaine de pays de l’ouest, du nord et du centre du continent, qui sont d’importants exportateurs de pétrole (et grands bénéficiaires de la flambée des cours) ;
. et les autres, une quarantaine, qui ont le plus grand mal à payer la facture de cette indispensable source d’énergie, devenue pour eux hors de prix, presque inaccessible.

Que peuvent faire les pays africains pour remédier à cette situation explosive ?
Il paraît nécessaire de concevoir un mécanisme de rééquilibrage entre exportateurs et importateurs et de mettre en place – très vite – un fonds de solidarité.
Nous soumettons à l’attention des responsables africains le schéma suivant, à mettre en place d’ici au début de 2006 : sur la base d’une résolution de l’UA (prise au cours d’un Sommet extraordinaire convoqué à cet effet), les pays exportateurs verseraient, disons, 3 dollars par baril exporté (ou bien 6 dollars sur la partie du prix qui dépasse 30 dollars, « le juste prix »). D’après nos évaluations, cette contribution s’élèverait à 10 milliards de dollars par an (sur 150 milliards encaissés par les pays exportateurs en 2005 et au moins autant en 2006).
Le fonds, dont je propose qu’il soit ouvert auprès de la Banque africaine de développement (BAD), et géré avec la plus grande transparence par elle, pourrait recevoir, en outre, les contributions volontaires des grands exportateurs de pétrole non africains. Il disposerait en tout de près de 1 milliard de dollars à répartir chaque mois entre les pays africains importateurs de pétrole, selon des critères à définir, pour leur permettre de faire face au surcoût occasionné par le pétrole cher.

L’Union européenne a donné au monde l’exemple – réussi – d’une aide structurelle fournie par les plus riches de ses membres aux plus pauvres. Si l’UA se révélait capable à son tour d’une solidarité réelle entre ses « have » et ses « have not », elle s’épargnerait les explosions de violence que la fracture sociale engendrée par le prix excessif du pétrole ne manquera pas de susciter.
Il est urgent d’agir.

* Selon ses besoins, ses moyens, son mode de vie et ses habitudes, chaque être humain consomme entre 0,5 et 3 tonnes par an.

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