ICC-Services : le procès de « l’affaire Madoff béninoise », un grand déballage sur l’ère Boni Yayi
C’est un procès hors norme qui a démarré lundi à Porto-Novo, tant par le nombre et la qualité des accusés et des témoins que par l’écheveau que doit démêler la justice béninoise. Et les premiers jours d’audience laissent augurer d’un déballage dévastateur pour certains barons de la politique au Bénin.
150 000 victimes. Plus de 150 milliards de francs CFA spoliés (près de 230 millions d’euros)… Après huit années d’attente et plusieurs reports, le procès d’ICC-Services – cette « affaire Madoff béninoise » -, tant attendu par les Béninois, s’est enfin ouvert, lundi 17 décembre, devant la nouvelle Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet).
Quels liens avec Thomas Boni Yayi ?
Dix personnes sont poursuivies pour association de malfaiteurs, escroquerie, exercice illégal d’activités bancaires et corruption. Parmi les accusés, Guy Aplogan, président directeur général de ICC-Services (Investment Consultancy and Computering Services), soupçonné d’avoir chapeauté un « système de fonctionnement de la structure » de 2006 à 2010.
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Au centre de l’affaire, un véritable « système de Ponzi » – la rémunération des investissements des clients via les fonds obtenus auprès des nouveaux entrants dans la boucle – dans lequel les épargnants béninois étaient attirés avec la promesse alléchante de taux d’intérêts mirobolants estimés entre 100 et 300%.
Le pays entier ne parle plus que de ce procès. Et les premières audiences ont été riches, déjà, en révélations toutes plus fracassantes les unes que les autres. Surtout, les accusés et témoins qui se succèdent à la barre depuis lundi ne cessent d’évoquer la forte collusion qui aurait existé entre les responsables de ICC-Services et le régime de l’ancien président Thomas Boni Yayi.
La thèse qui se dessine : la distribution régulière des pots-de-vin a permis au « système ICC-Services » de perdurer dans le temps et à ses promoteurs d’exercer en toute illégalité et en toute impunité de 2006 à 2010.
Guy Aplogan pointe les politiques
Mardi, la déposition de Guy Aplogan, directeur général d’ICC-Services, a accrédité cette thèse. C’est un homme assez calme et serein qui a répondu aux questions des juges. « Nous n’avons jamais eu de problème pour payer nos clients avant la crise », a-t-il assuré. Et lorsqu’il a été interrogé sur les raisons de la cessation de paiement de ses clients, Guy Aplogan a lancé que la question devait être posée « à l’ancien président », Thomas Boni Yayi, car lui-même n’était pas en mesure de répondre.
Le patron d’ICC-Services a poursuivi en affirmant qu’« au moment de la crise », des hommes sont venus « en hélicoptère » au domicile d’Emile Tégbénou, l’un des responsables de la société, pour récupérer « des coffres contenants pas moins de 27 milliards de francs CFA [41 millions d’euros] ».
Interrogé sur des dons de véhicules à plusieurs autorités administratives et politiques, Guy Aplogan a botté en touche, affirmant n’avoir jamais offert de véhicule et que, si don il y a eu, cela ne pouvait provenir que de l’un de ses collaborateurs.
Emile Tégbénou, le cerveau présumé
Emile Tégbénou, considéré par l’accusation comme l’un des « cerveaux » du système mis en place par ICC-Services, s’est ensuite présenté à la barre pour livrer sa version de l’origine des 27 milliards de francs CFA.
Il a notamment affirmé qu’il conservait ces cinq coffres chez lui car il avait « une sainte horreur des tracasseries bancaires » et que ces 27 milliards provenaient d’investissements personnels dans le BTP, les forages et la location de véhicules. Au détour de son audition, Emile Tégbénou a même affirmé que le ministère de l’Économie et des Finances lui devait encore 27 millions de F CFA pour un contrat de location de véhicules.
Lorsqu’il a abordé sa relation avec Thomas Boni Yayi, Emile Tégbénou a affirmé que ce dernier lui aurait demandé de trouver du travail à l’un de ses frères, Abou Salomon Yayi. Des propos qui « reflètent l’effectivité des faits », a assuré son avocat, Me Hervé Gbaguidi. « Le pouvoir en place est une puissance qui permet d’accorder des facilités aux hommes d’affaires et, en retour, les hommes d’affaires aussi accordent des facilités financières au pouvoir, ce qui fait que la balance est équilibrée », a détaillé l’avocat.
L’ancien procureur général auprès de la cour d’appel de Cotonou, Georges Constant Amoussou, a lui aussi été appelé à la barre, d’où il a affirmé que Thomas Boni Yayi et son Premier ministre d’alors, Pascal Irénée Koupaki, étaient « les véritables têtes pensantes de la nébuleuse ICC-Services », évoquant même l’existence d’un « pacte » entre les deux hommes pour se maintenir au pouvoir.
Dans les jours qui viennent, d’anciens ministres, des hauts fonctionnaires et des responsables de la sécurité et des renseignements à l’époque des faits doivent témoigner devant la Criet. De quoi sustenter l’appétit pour les révélations et les rebondissements d’audience que les huit années de procédures avant le procès ont suscité.
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