[Tribune] Non, les Congolais ne votent pas qu’en fonction de leur langue
À la veille de la présidentielle en République démocratique du Congo, des analystes insistent sur le poids de l’appartenance linguistique dans le vote des Congolais. Une thèse à manier avec beaucoup de prudence, préviennent Josaphat Musamba Bussy, ancien employé congolais du Groupe d’experts des Nations unies pour la RDC et Joël Baraka Akilimali, doctorant en Sciences politiques et sociales.
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Josaphat Musamba Bussy
Inscrit en spécialisation en Etudes de Développement à l’Université catholique de Louvain, il est un ancien employé congolais du Groupe d’experts des Nations Unies pour la RDC (2016-2017).
Publié le 19 décembre 2018 Lecture : 3 minutes.
Présidentielle en RDC : l’alternance, et après ?
Après deux années d’une crise politique ouverte en décembre 2016, la RDC a renoué avec les urnes. Félix Tshisekedi a été proclamé vainqueur par la Ceni, devant Martin Fayulu et Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila. Une victoire accueillie entre joie et contestations.
Le professeur Bob Kabamba a proposé une analyse réductrice de la sociologie électorale congolaise. Dans une interview à TV5 Monde, le 5 décembre, il a divisé le pays en trois grandes aires politico-linguistiques : l’Ouest où l’on parle lingala et kikongo, le Centre où l’on parle tshiluba et l’Est où domine le swahili.
Il en ressort que le candidat Martin Fayulu, originaire de l’Ouest et soutenu par Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi – deux leaders politiques respectivement très bien implantés dans l’Ouest et l’Est -, serait, à ses yeux, le favori.
Mépris des périphéries
Cette analyse, basée sur la dynamique des centres et au mépris des périphéries, ne montre pourtant pas la profondeur véritable des enjeux électoraux. Elle semble sous-estimer la capacité des autres candidats, Félix Tshisekedi et Emmanuel Ramazani Shadary, à amener d’éventuelles surprises.
Attribuer l’est du pays aux leaders politiques Mbusa Nyamwisi (soutien de Martin Fayulu) et Vital Kamerhe (allié de Félix Tshisekedi), nous semble ainsi hâtif et non fondé sur des arguments de sociologie électorale profonde.
En réalité, les déterminants du vote sont hétéroclites et multifactoriels. C’est ce qui explique que chacun des trois principaux candidats, Martin Fayulu, Félix Tshisekedi et Emmanuel Ramazani Shadary, aient pu, tous trois, drainer d’importantes foules pendant leur campagne dans la même partie swahiliphone du pays.
De plus, les aires linguistiques congolaises ne sont pas clairement délimitées. À Kisangani, troisième ville du pays, on peut par exemple aussi bien parler le lingala que le swahili.
À cela, il faut ajouter une mosaïque de langues locales, équivalant à autant des sous-dynamiques politiques et communautaires. Dès lors, le seul critère macro-linguistique n’est pas à mesure d’expliquer les dynamiques politiques.
La rupture villes-campagnes
Pour comprendre ces dynamiques sur le terrain, il faut faire appel à une sociologie électorale complexe, comprendre les dynamiques de contestations identitaires et de multiples sous-variables telles que la religion, l’ethnie ou l’histoire. Après les deux expériences électorales de 2006 et 2011, les décisions personnelles des électeurs jouent aussi un rôle croissant.
Un déterminant négligé demeure la faible attention accordée aux milieux ruraux lors des campagnes électorales. Bon nombre de candidats se contentent des chefs-lieux des provinces et des villes moyennes, alors que plus de la moitié des électeurs congolais sont des paysans et n’ont pas toujours l’accès à l’information ni à la diversité des choix.
Dans ce contexte, tout pronostic sur la victoire de tel ou tel camps nous semble hâtif
À cela, il faut ajouter le rôle controversé des chefs coutumiers dans la dynamique du vote rural par leur mobilisation généralement en faveur du pouvoir en place ainsi que le rôle politique des chefs religieux, de plus en plus influents et imprévisibles.
Pronostic risqué
Une prospective du vote présidentiel, limité en surface sur l’appréciation des grands ensembles linguistiques régionaux et partant des seuls critères géopolitiques ou de l’afflux populaire lors des meetings, ne traduit pas fidèlement les réalités locales.
Les incidents enregistrés à Lubumbashi, Beni, Mbuji-Mayi, Kalemie, Tshikapa et Kindu, avec des entraves à la campagne de candidats aussi bien de l’opposition que de la majorité, des violences, et des protestations, laissent imaginer que la contestation pourrait peser sur l’issue finale du processus et amener des surprises.
Dans ce contexte, tout pronostic sur la victoire de tel ou tel camps nous semble hâtif. Le scrutin qui doit se tenir le 23 décembre, avec l’utilisation inédite d’une machine à voter décriée puis finalement acceptée en dernière minute par candidats de l’opposition, impose prudence et clairvoyance.
Par Josaphat Musamba, inscrit en spécialisation en Etudes de Développement à l’Université Catholique de Louvain et ancien employé congolais du Groupe d’experts des Nations unies pour la RDC (2016-2017), et Joël Baraka Akilimali, doctorant en Sciences politiques et sociales à l’Université catholique de Louvain au sein du Centre d’études du développement (DVLP).
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Présidentielle en RDC : l’alternance, et après ?
Après deux années d’une crise politique ouverte en décembre 2016, la RDC a renoué avec les urnes. Félix Tshisekedi a été proclamé vainqueur par la Ceni, devant Martin Fayulu et Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila. Une victoire accueillie entre joie et contestations.
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