Les voleurs de Bagdad

L’audit mis en place, en avril 2005, par le gouvernement Djaafari sur la gestion de son prédécesseur dévoile les premiers scandales de corruption.

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Un parfum de scandale financier se mélange désormais à l’odeur de soufre qui plane sur la capitale irakienne. Les confidences d’Ali Allaoui, ministre irakien des Finances, au quotidien britannique The Independent, ont mis au jour le détournement de plus de 1,8 milliard de dollars, entre juin 2004 et avril 2005, c’est-à-dire pendant la période d’Iyad Allaoui. Une somme comparable à celle de l’affaire Pétrole contre nourriture, à l’époque de Saddam Hussein. La plus grande part de ce montant concerne le seul ministère de la Défense : 1 milliard de dollars, soit la totalité du budget équipement et formation de la nouvelle armée irakienne. Comment cet argent a-t-il pu disparaître ? Au centre de cette grande arnaque, deux figures de l’équipe gouvernementale Allaoui, installée le 28 juin 2004, au lendemain du transfert de souveraineté aux Irakiens. Le premier, un certain Zyad Kettan, Irakien exilé depuis un quart de siècle en Pologne, dont il est ressortissant. L’homme est revenu dans son pays natal tout juste quarante-huit heures avant l’entrée victorieuse des blindés américains à Bagdad. Paul Bremer, ex-proconsul d’Irak, en fera d’abord un conseiller de district avant de l’intégrer au ministère de la Défense. Le second personnage de cette affaire, Hazem Chaalan, devenu célèbre depuis qu’il a donné, en novembre 2004, en sa qualité de ministre de la Défense, l’ordre d’assaut contre la ville de Fallouja.
Quant à l’arnaque elle-même, elle concerne l’équipement de la nouvelle armée irakienne chargée de combattre l’insurrection, priorité du gouvernement d’Iyad Allaoui dès son arrivée aux affaires. Le ministère de la Défense se voit octroyer une enveloppe budgétaire conséquente pour acheter du matériel et former les forces de sécurité. Dans la confusion et l’urgence, les transactions ne sont soumises à aucun contrôle. Les acquisitions se font sans appel d’offres et le plus souvent de gré à gré. Un simple manuscrit sur papier à en-tête sert d’ordre de virement, qui suffit à la Banque centrale pour payer. Hazem Chaalan et son collaborateur Zyad Kettan sont les deux ordonnateurs des dépenses, selon les documents archivés à la Banque centrale. Les deux hommes dépensent, ou plutôt transfèrent, des dizaines de millions de dollars, sans restriction ni entrave administrative aucune. Au final, des hélicoptères vieux de vingt-huit ans – dont vingt-cinq de bons et loyaux services au sein de l’aviation polonaise – sont acquis au prix d’aéronefs récents équipés des technologies les plus modernes. Autre exemple : les pistolets-mitrailleurs équipant la police irakienne sont achetés au prix des MP5 de fabrication américaine (3 500 dollars pièce) alors qu’il ne s’agit que d’AK-47 de fabrication égyptienne. Pour les munitions, c’est la même chose. Le marché passé avec un fournisseur européen – du moins basé en Europe – concerne la fourniture de cartouches de 7,62 au prix de 26 cents l’unité. En fait, la police se retrouve avec des munitions d’origine pakistanaise, qui valent de 4 et 6 cents pièce.
Zyad Kettan s’est évanoui dans la nature, et son parrain, Paul Bremer, jure sur tous les saints qu’il ignorait jusque-là son existence. Quant à Hazem Chaalan, il nie toute implication dans ce trafic… depuis Amman où il vit depuis son départ du gouvernement irakien, le 28 avril 2005. Le gouvernement Djaafari, embarrassé par cette affaire, assure qu’un mandat d’arrêt international est en cours d’élaboration pour traduire l’ex-numéro deux de l’équipe Allaoui devant la justice.
Depuis les révélations du quotidien The Independent, du 19 septembre, les langues se délient, y compris les officielles. Ainsi, on apprend de la bouche de Hadi Lamiri, président de la commission de la lutte contre la corruption auprès de l’Assemblée nationale irakienne, que le montant des malversations autour des contrats d’armement et de reconstruction s’élèverait à près de 2,3 milliards de dollars. Soit 500 millions de dollars de plus que les sommes détournées dans l’affaire Pétrole contre nourriture. Celle-ci impliquant l’administration de Saddam Hussein ainsi que de nombreux hauts fonctionnaires des Nations unies. Ce qui confirme les propos d’Ali Allaoui qui a qualifié les détournements effectués durant le « règne » de son oncle du plus grand scandale financier de l’histoire irakienne. En effet, il est le fils du frère d’Iyad, et sa mère serait la soeur d’Ahmed Chalabi : personne n’est parfait…
Les malversations toucheraient les secteurs les plus vitaux pour la vie quotidienne des Irakiens : l’électricité, le transport et les infrastructures. Hadi Lamiri conteste non seulement l’intégrité des membres de l’ancienne équipe, mais souligne aussi leur incompétence manifeste à gérer les intérêts supérieurs de l’Irak. En mettant l’accent sur leurs aptitudes plutôt que sur leur probité, il s’en prend à ceux qui les ont nommés, adoubés ou cooptés, notamment Bremer. C’est lui qui a placé Kettan au sein du ministère de la Défense. Il a donné sa bénédiction au choix des membres des gouvernements successifs de l’Irak occupé et a contribué à écarter toutes les gens compétents dont disposait l’Irak pour leur appartenance au parti Baas. L’apparition des nouveaux voleurs de Bagdad constitue bien un dommage collatéral de la gestion de Paul Bremer.

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