Le mystère Mbeki

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Le problème, avec Thabo Mbeki, c’est que l’on n’arrive pas à savoir si le président de l’Afrique du Sud est en train de réussir ou bien d’échouer…
Il est à la tête du pays le plus puissant d’Afrique, un pays métis, produit d’une histoire raciale violente. C’est un homme politique au destin certainement frustrant, celui d’être l’héritier forcément un peu mal aimé d’une icône, du sauveur de l’Afrique du Sud, d’un géant de l’Histoire. C’est un chef d’État particulier, secret, qui tient une chronique occasionnelle sur Internet, mais qui déteste les journalistes et dont les interviews sont plus que rares. C’est un homme à la réputation de probité affirmée, qui a su renforcer le potentiel économique de son pays. Mais qui a laissé croître, y compris autour de lui, une black nomenklatura d’affaires en rupture complète avec le petit peuple, encore confiné dans le ghetto. Personnalité de culture et d’éducation, il a tenu des propos et des discours pour le moins surprenants sur le sida. Produit de l’aile libérale de l’ANC, il a su préserver et enrichir les acquis constitutionnels de l’Afrique du Sud, ce qui ne l’a pas empêché assez régulièrement d’avoir des accès d’autorité ou de « complotite » aiguë…

Le président n’est pas un enfant du struggle, de la lutte interne. Exfiltré très jeune, il a fait ses études à l’étranger, à Londres en particulier. Il n’a pas le charisme révolutionnaire et historique d’un Cyril Ramaphosa. Il n’était pas non plus, d’après la rumeur, le favori de Nelson Mandela. Il a une relation difficile avec ce père spirituel et fondateur, mais aussi avec ce peuple meurtri par l’apartheid. Physiquement, mentalement, il paraît être à des années-lumière de l’âme de l’Afrique du Sud. On ne le verrait pas danser le toyi toyi dans les rues de Soweto…
Pourtant, Thabo revendique haut et fort sa négritude, son africanité. Son rapport au monde blanc est difficile, mélange de pragmatisme et d’une colère profonde, presque structurelle. Par éducation, Mbeki est un moderne, mais son coeur, son âme, ses « tripes » ont été profondément marqués par le colonialisme et la tragédie de l’apartheid. Mbeki croit en la grandeur noire, en la rédemption de l’Afrique. Et renaître, c’est s’affranchir du discours moralisateur, hypocrite, autoritaire de l’Occident. Renaître, c’est combattre le racisme et le mépris des Blancs.

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Le prisme est fort, mais il peut être déformant. Quels que soient les problèmes, Thabo Mbeki a tendance à favoriser une lecture raciale et militante de la situation. En Côte d’Ivoire, il se sent proche d’un Laurent Gbagbo, personnage ambigu, mais légitimé à ses yeux par le combat historique. Certains ont réussi à lui faire avaler que l’affaire ivoirienne était de nature exclusivement postcoloniale. Mbeki a été choqué de voir, de ses propres yeux, des troupes françaises, donc blanches, circuler au coeur d’Abidjan, capitale économique d’un État noir et indépendant… Le comportement de Mbeki vis-à-vis de la crise au Zimbabwe est identique. La prime est à la « légitimité militante » (Mugabe) et à la lecture raciale du conflit (les Anglais blancs, ex-colons, contre des nationalistes noirs…).
Tout cela n’est pas faux. Mais la Côte d’Ivoire et le Zimbabwe sont deux immenses échecs que l’on peut difficilement et uniquement attribuer à l’hypocrisie blanche. La renaissance de l’Afrique commence aussi par un regard sans complexe et sans a priori sur les causes internes de notre malheur.

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