L’avenir de la Camair en question

Le trafic aérien entre Paris et Douala a repris, mais les avions de la compagnie nationale restent interdits de vol en France, et les interrogations demeurent.

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

On est passé à deux doigts d’une crise majeure entre la France et le Cameroun. La Direction générale de l’aviation civile (DGAC) vient à peine d’annoncer à Paris, le 16 septembre, la suspension en France des vols de la Cameroon Airlines « pour des raisons de sécurité » que le tarmac de l’aéroport de Douala est en partie occupé. Le personnel de la Camair crie au « complot », dénonce « une cabale orchestrée par l’ancienne puissance coloniale » et accuse la DGAC d’être de mèche avec Air France qui suspend ses rotations tandis que l’Airbus A-340, qui avait décollé quatre heures plus tôt de Roissy-Charles-de-Gaulle, fait demi-tour. Les plus hautes autorités camerounaises convoquent une réunion de crise. Les ministres en charge du dossier, le directeur de l’Autorité aéronautique, Ignatius Sama Juma, ainsi que l’administrateur provisoire de la Camair, Paul Ngamo Hamani, s’isolent avec des représentants du personnel dans une pièce du huitième étage de l’hôtel Sawa de Douala. Un accord est trouvé. Après quarante-huit heures d’attente, le vol UY 070 de Cameroon Airlines décolle le 18 septembre mais avec un Boeing 757 appartenant la société italienne de charter Air Italy. « Il n’y a pas de souci, cette compagnie dispose d’une licence européenne, et Air Italy propose du clé-en-main en fournissant l’appareil, l’équipage et en assurant l’entretien », précise la DGAC. Le lendemain, Air France reprend ses vols quotidiens. La tension est retombée d’un cran, mais cette nouvelle « affaire » relance un certain nombre d’interrogations.

Les avions de la Camair sont-ils sûrs ?
« Cette question est désobligeante, tranche l’administrateur provisoire de la Camair joint au téléphone. Pensez-vous que nous prendrions le moindre risque pour nos clients et notre personnel ? Comment expliquez-vous que le Boeing 767, le Dja, ait pu atterrir à New York, le 12 septembre, avec à son bord le président Paul Biya, qui se rendait à l’Assemblée générale de l’ONU, si nos appareils présentaient le moindre risque ? Surtout quand on connaît les exigences américaines en la matière… Nous avons de bonnes statistiques, et cette suspension ne se justifie pas. » De fait, le dernier incident relevé par le Bureau d’archives des accidents aéronautiques basé à Genève remonte au 5 novembre 2000 : le Boeing 747 de la Camair était alors sorti de la piste à Roissy, sans faire de victime. Depuis, d’autres compagnies ont connu des défaillances techniques, sans pour autant se voir sanctionnées par la DGAC.
« Les statistiques ne veulent rien dire », estime Jérôme Bansard, un commandant de bord français, vice-président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). « Il suffit de cacher la réalité pour s’en tirer à bon compte. Seul un audit sérieux effectué par cinq personnes indépendantes pendant cinq jours permet de se faire une idée. Mais il faut tout contrôler : la formation et l’expérience des pilotes, ainsi que le suivi des appareils et les conditions d’exploitation. » Selon ce professionnel, mieux vaut confier ces vérifications à des agences internationales qu’aux États afin d’échapper aux questions de souveraineté et de susceptibilité nationales.

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La Camair est-elle victime d’une cabale ?
Pour justifier sa décision d’interdire en France les vols de la Camair, la DGAC invoque « les nombreux écarts par rapport aux normes internationales » relevés depuis le mois de mai à Paris sur les appareils de la compagnie, lors de quatre contrôles successifs. Le dernier en date, le 23 août, a notamment relevé sur le Boeing 767 un défaut de maintenance au niveau des pneumatiques et des freins, ainsi qu’un problème relatif au stockage des marchandises en conteneurs. Depuis, la compagnie a subi, à la fin du mois d’août, un audit au Cameroun, « mais il a été partiellement réalisé par des experts de la Camair », souligne la DGAC. « Un nouvel audit sur les conditions d’exploitation sera effectué dans un délai de douze jours par un cabinet indépendant », annonce le ministre de la Communication, Pierre Moukoko Mbonjo, qui se porte garant de la bonne volonté du personnel et des autorités compétentes à suivre les recommandations qui en découleront. Avant d’ajouter : « Nous aurions pourtant aimé bénéficier d’un délai supplémentaire. » L’audit doit être rendu par la société française Sofravia, dont les inspecteurs sont déjà à pied d’oeuvre.
« La DGAC a cherché la petite bête. Elle a progressivement préparé l’opinion, car la décision était déjà prise. Elle a par ailleurs organisé un grand tapage en invitant la presse lors du contrôle, le 23 août. Tout cela n’est pas sérieux », tempête Pierre Mary Essimi, le président du Syndicat national des techniciens des avions au sol (Syntas). « Si les écarts par rapport aux normes de sécurité étaient si dangereux, pourquoi nous ont-ils autorisés à redécoller ? » s’interroge-t-il.
L’autre point litigieux porte sur la maintenance des deux Boeing B-767 et B-757 loués à la société Ansett et chargés d’assurer la liaison avec la France. « Le loueur est responsable de l’entretien, et nous avons par ailleurs un contrat avec Air France », assure-t-on à Douala. Cet accord ne porte que sur des « réparations ponctuelles demandées par la Camair, et notre dernière intervention remonte à février 2004. Nous n’assurons pas le suivi régulier », répond un porte-parole de la compagnie française, qui se défend de toute ingérence dans ce dossier.

Air France en embuscade ?
« Ils veulent la disparition de la Camair, se persuade au contraire le leader syndicaliste. Nous ne sommes pas dupes de la complicité qui lie Air France à la DGAC. » Une version catégoriquement rejetée à Paris, mais l’essentiel n’est pas là. Cette « affaire » illustre, une nouvelle fois, le déficit d’image d’Air France sur le continent. En situation de quasi-monopole dans de nombreux pays francophones, refusant de communiquer la répartition géographique de ses bénéfices et pratiquant des tarifs élevés sur les destinations africaines… la compagnie française exaspère. Les files d’attente aux guichets, la politesse toute relative de certains agents à l’égard de la clientèle : autant de vexations accumulées qui parasitent le débat, surtout depuis la disparition d’Air Afrique.
Cette perception est fausse, cherche-t-on à se rassurer du côté d’Air France. « Les relations avec le continent sont fondées sur la fidélité. Nous assistons par ailleurs au retour d’une concurrence vive et dynamique avec, notamment, la Royal Air Maroc ou encore Air Sénégal International. Nos parts de marché sont en baisse, l’Afrique/Moyen-Orient ne représente que 13 % de notre chiffre d’affaires passagers, et nous avons modifié notre gamme de prix. »
Il n’est pas certain que ces arguments suffisent à apaiser les suspicions au Cameroun, tandis que la Camair, placée en « liquidation » depuis février, se démène pour ne pas disparaître. Avec une dette totale évaluée à 72 milliards de F CFA et des avions cloués au sol, la colère exprimée sur le tarmac de Douala a surtout masqué une inquiétude légitime quant à la survie de la compagnie.

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