La réconciliation vue des maquis

Alors que l’on assiste depuis quelques semaines à un regain de violence islamiste, le gouvernement compte sur la Charte pour la paix qui sera soumise à référendum le 29 septembre pour isoler les derniers terroristes.

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 8 minutes.

Des MI 8, hélicoptères de combat de fabrication russe, sillonnent à rythme régulier le ciel de Kabylie. Opération de ratissage de l’armée après un énième massacre commis par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) ? Préparatifs de la visite du président Abdelaziz Bouteflika dans la ville frondeuse de Tizi-Ouzou, prévue le 19 septembre ? Rien de tout cela. Les MI 8 bombardent les maquis avec des… exemplaires de la Charte pour la paix et la réconciliation, soumise à l’approbation du suffrage universel par voie référendaire le 29 septembre 2005 (voir J.A.I. n° 2332).
L’opération séduction a toutefois peu de chances d’aboutir. Il se dit que les émirs du GSPC flagellent tout combattant surpris en train de lire le document envoyé par le tagete (le tyran), synonyme de pouvoir dans la sémantique salafiste. « En d’autres temps, témoigne un repenti, autrement dit un maquisard ayant déposé les armes en janvier 2000 pour bénéficier de la grâce amnistiante dans le cadre de la Concorde civile, les émirs étaient moins tendres. Au lieu de flageller, ils auraient égorgé leurs hommes s’ils affichaient le moindre intérêt pour les suggestions du pouvoir ou s’ils avaient la faiblesse de croire qu’une reddition pourrait aboutir à une amnistie. » Les émirs ont-ils désormais la main légère ? « Pas du tout, précise notre interlocuteur. Mais le recrutement est devenu si modeste que le GSPC n’arrive plus à renouveler ses effectifs ni même à remplacer un élément abattu ou arrêté. »
Outre les tracts diffusés par hélicoptères, le gouvernement dispose d’un autre moyen pour sensibiliser les irrédentistes : leurs familles. Des dispositions prévues par la Charte préconisent d’accorder le statut de victimes de la « tragédie nationale » aux familles de terroristes, avec indemnisation à la clé. Les parents de maquisards, jusque-là plutôt passifs, tentent aujourd’hui de convaincre leur progéniture de revenir au bercail, car, en plus de l’impunité promise, l’État est prêt à utiliser sa formidable cagnotte pétrolière (près de 60 milliards de dollars d’ici à la fin de l’année) pour arriver à bout des réticences.

Combien reste-t-il d’éléments armés ?

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Jusque-là, le chiffre de 600 hommes, dont 500 pour le seul GSPC, faisait consensus. Mais, selon le Premier ministre Ahmed Ouyahia, il y aurait un millier de maquisards encore en activité. Madani Mezrag, ancien chef de l’Armée islamique du salut (AIS, branche militaire du front éponyme, autodissoute en janvier 2000), fait aujourd’hui campagne pour un « oui » massif au référendum. Sachant de quoi il parle, il confirme les propos du chef du gouvernement, tout en les nuançant. « C’est vrai qu’il y a encore un millier d’hommes armés dans les maquis, mais ils ne sont pas tous actifs. Au lendemain de la réélection d’Abdelaziz Bouteflika, le 8 avril 2004, plus de trois cents moudjahidine étaient prêts à se rendre. Les tergiversations au sein de l’entourage du président à propos d’une prolongation exceptionnelle de la grâce amnistiante ont réduit ce chiffre à cinquante redditions. Aujourd’hui, des phalanges, tel el-Ahoual à Relizane [un groupe particulièrement meurtrier, résidu des GIA, responsable de la mort de dizaines de milliers de civils], sont inopérantes. » Selon Madani Mezrag, l’entrée en vigueur de la Charte permettrait la reddition de quatre terroristes sur cinq. « Seule une minorité, sans foi ni loi, restera sourde à l’appel du peuple. Allah et le temps en arriveront à bout », prophétise-t-il.
L’optimisme de l’ancien chef de l’AIS semble excessif. La Charte ne préconise l’extinction des poursuites pénales qu’à l’encontre des personnes non impliquées dans des massacres collectifs, des viols ou des attentats à l’explosif, des chefs d’inculpation qui pèsent sur l’ensemble des maquisards. Autre question non élucidée : les membres du GSPC, officiellement affilié à la mouvance Ben Laden, ne sont pas poursuivis par la seule justice algérienne ; pas question qu’ils soient soustraits aux mandats de recherche des juges américains ou européens.
Un proche collaborateur du président balaie d’un geste ces réserves. « Il n’a jamais été question d’absoudre des individus recherchés pour activité terroriste. La Charte est très claire sur ce point. Un Abderrezak el-Para ne pourra jamais bénéficier des dispositions prévues, car les preuves de son implication dans des massacres sont établies. En janvier 2000, les membres de l’AIS ont été absous, parce qu’aucune culpabilité individuelle n’a été confirmée par les commissions de probation mises en place. Ce qui est proposé aujourd’hui est de démanteler tous les réseaux de soutien logistique aux radicaux. »

Comment réagit-on dans les maquis ?

Depuis le 20 août, date de l’annonce par Bouteflika de la tenue du référendum, on a relevé une recrudescence de la violence islamiste : près d’une cinquantaine de morts en moins d’un mois. Les responsables ? Le GSPC, en Kabylie et dans les monts qui surplombent la ville balnéaire de Skikda (à 400 km à l’est d’Alger), et Houmat daawa salafiya, les « protecteurs de la prédication salafiste » (HDS, de l’émir Souane), une phalange dissidente du GSPC qui hante les hauteurs du Titteri, dans l’Atlas blidéen, à moins de 50 km à l’ouest de la capitale.
Par ailleurs, le GSPC, que dirige aujourd’hui Abdelwahab Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, multiplie les infiltrations nocturnes dans les villages isolés de Kabylie. Au programme : bastonnades contre les clients de bars clandestins, nombreux dans la région, racket et « réquisition » de produits alimentaires et de téléphones cellulaires, convocation de la population pour écouter des prêches incendiaires contre le projet de réconciliation nationale.
Même si le GSPC est considéré comme l’organisation islamiste militaire la mieux structurée, de nombreuses failles dans les structures de commandement éclatent au grand jour. Hassan Hattab, fondateur du Groupe, a été démis par ses lieutenants en novembre 2003. Motif : velléités réconciliatrices et contacts avec des émissaires du président Bouteflika. On disait alors qu’il avait été exécuté par le nouveau dirigeant du GSPC, Nabil Sahraoui, abattu par l’armée en juin 2004. Il y a quelques mois, Hassan Hattab refait parler de lui en signant un communiqué incendiaire contre la nouvelle direction du GSPC. Dénonçant sa dérive meurtrière (« Ils ont fait de notre organisation un vulgaire GIA s’en prenant à l’ensemble de la Oumma islamique », écrit-il), Hattab se dit prêt à la combattre et, pour cela, il compte sur la centaine d’hommes qui composent sa garde prétorienne. Info ou intox ? La seconde éventualité est confortée par le long silence qui a suivi cette sortie pour le moins curieuse.
Cette lézarde dans l’édifice de commandement du GSPC n’est pas la seule. Le 12 mars, un site Internet diffuse un communiqué déniant à Abou Tourab el-Djezaïri, porte-parole de l’organisation, le droit de parler en son nom. Abou Tourab s’était illustré lors de l’affaire du rapt suivi de l’assassinat des deux diplomates algériens à Bagdad, en juillet dernier, en appelant les ravisseurs à exécuter leurs otages. Manifestement, l’encadrement du GSPC dénonce l’alignement systématique de son chef, Abdelwahab Droukdel, sur le Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui. La colère et l’incompréhension de la population après l’exécution d’Ali Belaroussi et d’Azzedine Belkadi a sans doute provoqué la réaction du GSPC, même bien tardive (près de cinquante jours après la mort des deux diplomates), mais elle prouve que l’homogénéité n’est plus le point fort de l’organisation. Madani Mezrag assure que le débat bat son plein dans les maquis, que les moudjahidine sont en train d’évaluer le contenu de la Charte, que des contacts sont établis entre certaines phalanges et les services de sécurité. Bref, que les maquis se dépeupleront dès l’adoption de la Charte.
Près du quart des effectifs du GSPC, soit plus de 150 éléments armés, s’est installé dans le Sahara, entre l’Algérie, le Mali et la Mauritanie. Ces hommes sont sous les ordres de Mokhtar Belmokhtar, alias Laouer (« le Borgne »). En 2004, un diplomate accrédité à Bamako nous avait assuré que des tractations, menées par l’entremise de chefs tribaux de la région de Kidal, étaient en cours avec le groupe MBM (pour Mokhtar Belmokhtar) afin de le convaincre de se rendre pour bénéficier d’une amnistie. Un niet catégorique de MBM a mis fin à ces tentatives sans que l’on sache si Alger avait donné sa bénédiction à la médiation.

Qu’en est-il des anciens dirigeants du FIS ?

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Ali Benhadj est toujours en prison, Abassi Madani toujours en exil médical du côté de Kuala Lumpur. Les trente-trois autres fondateurs du Front islamique du salut (FIS) ont connu des fortunes diverses. Les uns sont morts, les autres restent calfeutrés chez eux. Mais la plupart se trouvent à l’étranger. La Charte est très claire à leur propos : ils sont considérés comme les responsables de la tragédie nationale et, à ce titre, interdits de toute activité politique. Abassi Madani, ex-président du FIS, considère cette Charte comme un acte belliqueux qui réserve un traitement sécuritaire à une crise politique.
Mais plus personne n’écoute ce que le vieil homme croit décréter. Les anciens dirigeants du FIS restés en Algérie font campagne pour Bouteflika. Madani Mezrag explique ainsi son attitude : « Même si la réconciliation nous exclut, je considère qu’elle doit être approuvée par le peuple, car elle découle d’une démarche sincère émanant d’un homme qui a prouvé son engagement pour ce pays. J’ai pris les armes, car on me donnait le choix entre l’exil ou la prison. J’ai choisi le maquis, c’était une erreur. C’est pourquoi j’essaie aujourd’hui de convaincre ceux qui ont fait la même erreur que moi. Revenez et participez à l’édification de votre pays. » Précision : l’ancien seigneur de guerre est aujourd’hui un homme d’affaires prospère.
Reste les exilés célèbres. Ceux qui ont alimenté les maquis en hommes et en armes. Ceux qui ont acheminé les « Afghans arabes » vers les maquis algériens. Ceux qui ont transformé la lame de fond islamiste en mouvement militaire particulièrement barbare. La plupart d’entre eux ont trouvé refuge en Grande-Bretagne d’où ils ont pu poursuivre leur travail macabre de vulgarisation de la pensée salafiste. Londres ou Manchester promettaient impunité et accumulation de richesse.
Tout a changé avec les attentats du 7 juillet. Depuis lors, ils sont sous la menace d’une extradition vers l’Algérie. Les sept Algériens expulsés, le 15 septembre, ne font pas partie de cette catégorie, car il s’agit de simples « lampistes » qui préparaient un attentat à la ricine contre le métro de Londres en 2003. Ceux évoqués ici sont des stars de la mouvance Ben Laden, tel Saïd Arif, alias Abou Yahia, ancien bras droit d’Abou Hafs el-Masri, chef militaire d’al-Qaïda, mort sous les bombes américaines en novembre 2001, Boudjemaa Bounoua, alias Abou Anas, théoricien du djihad en Algérie et gendre d’Abdallah Azzam, père spirituel de Ben Laden, et bien d’autres encore. Toutes ces personnes recherchées par la justice algérienne ne se sont pas manifestées. En revanche, la communauté algérienne de Grande-Bretagne se mobilise pour l’adoption de la Charte. Il y va du retour au pays de la plupart de ses membres.
Le 20 septembre, Rabah Kébir, ancien dirigeant du FIS exilé en Allemagne, a officiellement appelé à voter pour la Charte.

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