Exporter ou disparaître

Pour assurer sa survie, l’usine marocaine doit produire 30 000 Dacia Logan par an, dont la moitié pour le marché national. Mais où vendra-t-elle les autres ?

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Promesse tenue : les premières Dacia Logan montées sur les chaînes de la Somaca ont commencé à être commercialisées au Maroc le 7 juillet dernier, au prix de 72 000 dirhams (environ 6 500 euros) pour la version de base. Sur les mois de juillet et août, Renault a vendu 681 Logan au Maroc. Il est encore trop tôt pour tirer un enseignement de ces chiffres, mais à ce rythme il n’écoulera pas en 2005 les 5 000 Logan qui sortiront de l’usine de Casablanca d’ici à la fin de l’année. Pour 2006, le plan de production annuelle de la Somaca est encore plus ambitieux : 16 000 unités, avant de franchir le cap des 30 000 en 2008. Gilbert Lechevalier, directeur général de la Somaca, a déclaré que les effectifs actuels n’y suffiront pas, et que le nombre d’employés devrait passer sous peu de 700 à 1 100 personnes. Car aux Logan s’ajoutent les Renault Kangoo, Peugeot Partner et Citroën Berlingo également assemblés à Casablanca. La Somaca, en activité depuis 1962, battra donc en 2006 son record de production, qui remonte à l’année 1975 avec 25 216 exemplaires.
Autre élément positif, après le rachat, courant octobre, des dernières parts détenues par le gouvernement marocain, Renault dispose de 66 % du capital de l’entreprise et a donc les mains libres pour orienter son destin. Enfin, Larbi Belarbi, PDG de la Somaca, a ratifié, en avril, une nouvelle convention collective avec les représentants syndicaux. Un projet clair, un actionnariat resserré, une production et des effectifs en hausse, un climat social apaisé : la Somaca est en ordre de marche. Sauf que les plans prévisionnels ne peuvent rien changer à cette vérité élémentaire : l’avenir de la Somaca dépend du succès que rencontrera la Logan, au Maroc comme à l’exportation. À ce sujet, de nombreuses questions restent en suspens. Et l’heure n’est pas encore aux réponses, puisque Renault vient de vivre un changement de pouvoir. Louis Schweitzer, porteur du projet Logan, est parti en début d’année. Son successeur à la tête de Renault, Carlos Ghosn, n’a pas encore indiqué la ligne qu’il comptait suivre sur le dossier Logan, et la Somaca n’est pas son premier souci. Tant que Carlos Ghosn n’aura pas parlé, ses subordonnés ne le feront pas non plus. Bref, impossible de savoir précisément vers quels horizons précis Renault compte réexpédier la moitié des Logan assemblées à Casablanca.
Cette question est pourtant vitale pour la Somaca. Car il était bien entendu, dès le départ, que le marché intérieur marocain ne pourrait absorber la totalité des Logan produites à Casablanca. L’objectif assigné à ce modèle au Maroc est déjà élevé : 15 000 ventes par an. Renault, marque la plus diffusée au Maroc, n’en fait pas autant, tous modèles confondus… Il n’est toutefois pas irréaliste. La Logan permet à de nombreux foyers marocains d’accéder à l’automobile. Par son prix comme par sa taille (4,25 m), elle n’a pas de concurrente. Ensuite, elle arrive en concession au moment même où le marché connaît une embellie : pour la première fois de son histoire, il devrait cette année dépasser la barre des 60 000 voitures neuves, soit une progression de 20 % par rapport à 2004. Enfin, il n’est pas interdit de penser que la voiture, puisqu’elle est assemblée sur place et non importée, bénéficiera d’un réflexe nationaliste. Les Marocains savent que la survie de la seule usine de production automobile installée au Maghreb est en partie entre leurs mains.
Mais ce n’est qu’un aspect du problème. Renault prévoit d’exporter la moitié des Logan assemblées à Casablanca, soit 15 000 voitures par an. Or, pour des raisons à la fois géographiques et politiques, le Maroc n’est pas idéalement placé pour devenir un centre de réexportation : il est situé aux confins du continent africain, et son puissant voisin algérien ne veut pas des Logan produites par la Somaca. L’Algérie est le deuxième marché du continent, avec 120 000 voitures neuves vendues par an. Elle aurait aimé que la Logan soit assemblée sur son sol. Renault n’a pas fait ce choix, pour des raisons objectives : à la différence de l’Algérie, le Maroc dispose avec la Somaca d’un outil de première qualité, qui vient de recevoir la certification ISO 9002. Et mieux encore, d’une véritable tradition industrielle automobile. Le taux d’intégration de la Logan au Maroc (part de son prix de revient produite dans le pays) est aujourd’hui de 18 %. Les vitres des Logan montées à Casablanca sont ainsi fabriquées au Maroc. Idem pour le câblage et les sièges. Ce taux d’intégration, selon Gilbert Lechevalier, passera à 30 % d’ici à 2006, quand les boucliers, planches de bord et panneaux de portes seront aussi produits au Maroc. Un tel réseau d’équipementiers ne se bâtit pas en un jour. L’Algérie ne peut sur ce point rivaliser avec le Maroc, malgré la taille supérieure de son marché automobile. N’empêche que les Logan vendues en Algérie depuis le printemps viennent de Roumanie, et non de Casablanca. C’est paradoxal, mais c’est ainsi…
Alors, vers quel pays la Somaca peut-elle se tourner pour exporter 15 000 Logan par an ? Renault cite la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie. Certes, mais à quoi bon fabriquer les pièces de la Logan en Roumanie, les expédier ensuite au Maroc où elles seront assemblées, puis envoyer les Logan montées en Jordanie ou en Égypte ? Le trajet le plus court, le plus logique, le moins coûteux, consiste en une droite ligne depuis la Roumanie… Il existe heureusement une autre piste d’exportation pour les Logan assemblées à Casablanca, même si Renault refuse d’en parler officiellement. En effet, la Logan n’est pas produite en Europe occidentale. Et l’usine mère, installée en Roumanie, ne suffit pas à la demande, malgré une production de 200 000 Logan par an. De sorte que l’Europe de l’Ouest manque de Logan. Les modèles montés à Casablanca traverseront-ils bientôt le détroit de Gibraltar pour être commercialisés en Europe du Sud ? Il n’est guère d’autre voie qui permette à la Somaca d’exporter 15 000 Logan par an.
Ce point est d’autant plus crucial que la Somaca risque de perdre ses contrats d’assemblage de Peugeot Partner et Citroën Berlingo, qui représentent environ 8 000 voitures par an. La nouvelle a commencé à filtrer : le groupe PSA n’envisage pas de faire monter à Casablanca la nouvelle génération de Partner et de Berlingo, conçue en collaboration avec Fiat, et qui naîtra en 2007. L’explication donnée par PSA tient la route : les usines étant de plus en plus mécanisées, le coût de la main-d’oeuvre ne cesse de décroître et représente aujourd’hui environ 8 % du prix de revient d’une voiture. Ce qui amoindrit, pour un constructeur, l’intérêt d’une délocalisation de sa production dans un pays où les tarifs horaires sont bas. Avec l’allègement des barrières douanières, il devient plus rentable pour lui d’exporter des voitures que de les faire monter localement.
L’industrie automobile est une industrie de volume. Plus une usine construit de voitures, plus le coût de revient unitaire est bas. Dès lors, le seuil de rentabilité d’une usine automobile tourne autour de 45 000 voitures produites par an, en fonction de données locales : barrières douanières, frais d’acheminement des pièces, coût de la main-d’oeuvre. En plus de quarante ans d’existence, la Somaca n’a jamais atteint ce seuil. Et au moment où elle semble enfin en mesure d’y parvenir, grâce à la Logan, Peugeot et Citroën se retirent du jeu…
Le coup serait rude pour la Somaca, qui a déjà perdu, fin 2003, le montage des Fiat Palio et Siena. Environ 8 000 Renault Kangoo sont actuellement assemblées chaque année à Casablanca. Il faudrait donc ajouter plus de 30 000 Logan dans les comptes annuels pour garantir l’équilibre économique. Dès lors, à moins d’une forte croissance du marché intérieur marocain, Renault n’a que deux solutions. Soit ouvrir les chaînes de la Somaca à un autre constructeur-partenaire pour pallier les départs successifs de Fiat, Peugeot et Citroën. Soit trouver d’autres débouchés à l’exportation pour les Logan assemblées à Casablanca.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires