Coup de pouce aux jeunes diplômés

Bonne nouvelle : les écoles africaines dispensent un enseignement en gestion et en management de qualité. Reste le problème de la première expérience, trop souvent exigéelors du recrutement. Cinq professionnels témoignent.

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 10 minutes.

Alger, Bamako, Ouagadougou Et d’autres encore. La liste est longue des capitales africaines où les jeunes diplômés enchaînent les stages de longue durée, faute de trouver un premier emploi qui soit à la hauteur de leurs aspirations. Paradoxalement, l’énumération des entreprises recherchant des professionnels locaux pour renforcer leurs équipes, sans trouver le candidat idéal, est tout aussi longue. Il y a 3 000 postes à
saisir, écrivions-nous en mars (voir J.A.I. n° 2307), en additionnant les opportunités de
carrière en Afrique proposées durant la première moitié de l’année par les multinationales lors de salons spécialisés. Pour la plupart, ces campagnes de recrutement ont porté leurs fruits. Mais elles se poursuivent au long cours, puisqu’un nouveau rendez-vous est organisé à Paris, les 21 et 22 octobre prochain (voir www.africtalents.com). Les entreprises seraient-elles trop exigeantes ?
Oui, répond Ibrahim Cissé, consultant en ressources humaines au Burkina. Mais, pour lui,
ce problème serait aisément contourné si les écoles et les universités préparaient mieux leurs diplômés aux exigences et aux méthodes de leurs futurs employeurs. Ce rapprochement entre deux mondes qui ne se fréquentent guère est également prôné par Bruno Ponson, directeur de l’École supérieure des affaires d’Alger (Esaa), une structure binationale créée pour former les cadres algériens aux techniques internationales de gestion et de management d’équipe. Pour ces deux professionnels, la qualité de l’enseignement dispensé en Afrique ne fait plus question. Ils entérinent l’existence de formations de bon niveau dans les domaines de la gestion et du management, de véritables Business Schools à
l’africaine, capables de signer des partenariats à l’international. C’est le cas entre l’Esaa et l’ESCP-EAP parisienne, ou entre le Ghana Institute of Management and Public
Administration (Gimpa), à Accra, et la Maastricht School of Management (MSM), aux Pays-Bas. Dernier exemple en date, la création d’un diplôme en gestion des systèmes d’information et de technologie, conjointement avec l’université américaine du Maryland et la Mediterranean School of Business (MSB), école anglophone privée située dans le quartier des affaires de Tunis, Les Berges du Lac.
Enfin, sans prétendre résoudre nous-mêmes la question des exigences supposées des entreprises, nous donnons également la parole à quatre professionnels représentatifs de secteurs qui recrutent beaucoup en Afrique : l’énergie, la construction, les services téléphoniques et le conseil juridique. L’occasion, pour eux, de dresser le portrait des candidats idéals qui leur font encore défaut. Jeunes diplômés, voici autant d’arguments pour affûter vos curriculum vitae et vos candidatures !

Burkina
Les entreprises sont frileuses !
Pari réussi. En juin dernier, à Ouagadougou, le cabinet IBC Consulting a organisé le premier salon professionnel de recrutement et d’information sur les formations et les métiers du Burkina. Pendant trois jours, les entreprises, les jeunes et les organismes de formation de la sous-région, comme l’Institut des hautes études en management (Ihem) de Bamako, au Mali, l’Institut africain de management (IAM) de Dakar, au Sénégal, ou le Ghana Institute of Management and Public Administration (Gimpa), à Accra, ont pu confronter leurs besoins et leurs aspirations. « Il faut absolument que l’offre de formation colle mieux aux besoins exprimés par les entreprises, explique Ibrahim Cissé, directeur général de IBC Consulting. Ce sont malheureusement souvent deux mondes qui ne se connaissent pas. » Il ajoute que les premières victimes de cet état de fait sont les jeunes diplômés : « Les entreprises réclament des profils de niveau DESS ou MBA. Mais, dans leur grande majorité, les jeunes s’arrêtent à bac+4, car ils n’ont pas les moyens suffisants pour poursuivre un troisième cycle à l’étranger. » Résultat : beaucoup de stages ou de contrats précaires pour des jeunes diplômés qui, faute de premier emploi, cherchent des postes tous azimuts.
Se pose aussi la question de la première expérience. S’il peut se comprendre qu’elle soit indispensable dans des domaines comme le juridique, les ressources humaines ou le conseil, elle semble moins s’imposer dans la gestion et la comptabilité. Hélas, « pour ces postes, qui représentent 60 % de ceux que nous traitons, les formations actuelles sont d’un bon niveau. Mais il est quasiment impossible de faire embaucher des jeunes sans expérience. » Ibrahim Cissé estime que les jeunes devraient pouvoir pleinement tenter leur chance, mais il note que « beaucoup d’entreprises sont frileuses, car elles attendent des résultats à court terme. Pourtant, seuls les jeunes ont l’énergie de faire changer les modes de fonctionnement en maîtrisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication. » Autre domaine très en vogue : le BTP avec les chantiers à Ouagadougou et à travers tout le pays. Mais, là encore, la demande des entreprises est très pointue : « Les maîtres d’oeuvre de ces chantiers réclament des personnes qualifiées et bardées de diplômes, alors que la majorité de nos ouvriers s’est formée sur le tas, regrette Ibrahim Cissé. Il nous faut donc absolument miser sur la formation continue pour leur donner à terme une vraie qualification. »

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Algérie
Former des « managers »
Structure binationale créée en juillet 2004 par un accord intergouvernemental franco-algérien, l’École supérieure des affaires d’Alger (Esaa) s’est donné l’objectif ambitieux de réformer en profondeur l’encadrement des entreprises algériennes : « Après avoir connu le socialisme et les épreuves du terrorisme, elles sont en pleine restructuration, explique Bruno Ponson, son directeur. Qu’elles soient fraîchement privatisées, ou en passe de l’être, elles doivent dans tous les cas faire face à une concurrence mondialisée. » Avec en ligne de mire l’entrée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à la fois redoutée et attendue par les dirigeants d’entreprises et les responsables politiques. Le conseil d’administration de l’Esaa est dirigé par le président de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie, et son comité pédagogique et scientifique est composé d’écoles de management françaises (Euromed Marseille, HEC et ESCP-EAP), d’une université (Lille-II) et de deux Chambres de commerce et d’industrie, celles de Marseille et de Paris.
Pour Bruno Ponson, enseignant détaché par l’ESCP-EAP, le challenge à relever est aussi enthousiasmant que difficile : « Il s’agit à la fois de former les cadres à des techniques éprouvées au plan international, notamment en termes de gestion et de management d’équipe, mais aussi de leur apprendre à adapter ces méthodes à leur environnement. Car si l’on veut que la communication, la démarche commerciale ou encore le mode de distribution soient efficaces, ils doivent être inscrits dans une culture locale. » Il revient ensuite à l’entreprise de réussir à fédérer son équipe autour d’un projet : « Le fonctionnement interne des entreprises reste très traditionnel, souligne Bruno Ponson. À court terme, il est urgent de développer une meilleure gestion de l’information, notamment à travers l’outil informatique. » Après avoir lancé, en janvier 2005, un MBA Executive, destiné aux cadres supérieurs, l’Esaa vient de mettre en place un mastère en gestion à l’intention des jeunes cadres algériens en quête d’une nouvelle évolution de leur carrière.

Avocat d’affaires
Des troisièmes cycles
En matière de droit des affaires, il a suffi d’une décennie pour que les entreprises africaines relèvent le pari de la modernisation. « Sous la pression des bailleurs de fonds, mais aussi parce que la mondialisation conduit les entreprises, quel que soit le lieu où elles opèrent, à homogénéiser leurs méthodes, les pratiques ont profondément évolué, témoigne Lamiae Homman-Ludiye, avocate spécialisée en droit des affaires des pays africains. Autrefois, les entreprises ne nous consultaient que sur des problèmes fiscaux ; aujourd’hui, elles sont en demande d’une véritable expertise juridique, qu’il s’agisse d’une restructuration du groupe ou de la signature de contrats importants. » Élément moteur de cette évolution, l’instauration du nouveau cadre juridique résultant de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) permet aux avocats, aux sociétés de conseils juridiques et fiscaux et aux entreprises de se référer à des textes communs, modernes et plus utilisables. Créée en 1993à Port-Louis, à Maurice, l’Ohada regroupe aujourd’hui les quatorze pays de la zone franc, les Comores et la Guinée-Conakry.
Les sociétés les mieux structurées ont déjà intégré un juriste ou un fiscaliste dans leurs équipes. Mais pour répondre aux besoins de toutes les autres, les cabinets d’avocats et de conseils juridiques et fiscaux continuent de se développer. Désormais, les grands cabinets internationaux s’efforcent de disposer de relais locaux, pour être au plus près de leurs clients : « Le bon profil est celui qui permet au jeune avocat d’être polyvalent, capable de répondre aux différents besoins exprimés par l’entreprise », explique Lamiae Homman-Ludiye. Les profils les plus recherchés sont de jeunes diplômés, notamment des universités françaises (en raison de la similarité des législations), ayant suivi un troisième cycle pointu, comme un diplôme de juriste conseil d’entreprise (DJCE). Mais, à terme, l’avocate prédit une évolution vers une spécialisation des tâches, avec une identification plus forte des professions de fiscaliste et de juriste : « S’il faut des médecins généralistes pour les problèmes quotidiens, il faut aussi des spécialistes quand le mal est plus sophistiqué. »

BTP et construction
Besoin d’ingénieurs généralistes
Raphaël Ngassa a appris le métier d’ingénieur sécurité sur le tas, en 1998, sur l’immense chantier de l’oléoduc Tchad-Cameroun. Sogea-Satom, le groupe qui l’emploie, s’est engagé dans le domaine de la prévention en créant un département sécurité, doté de moyens humains et financiers. Tous les grands chantiers de construction ou d’infrastructures sont désormais supervisés par un ingénieur sécurité, à l’image du projet de la vallée du Ntem, qui prévoit la construction de ponts et de routes entre le Cameroun, le Gabon et la Guinée équatoriale. Ce responsable a pour mission d’élaborer les procédures à partir des normes existantes, d’encadrer les travaux à hauts risques et, surtout, de sensibiliser les équipes sur le terrain aux questions de sécurité. Pour un poste aussi stratégique, les entreprises font souvent appel à un ingénieur généraliste ayant suivi une formation spécialisée : « Il est très important d’être multidisciplinaire, explique Raphaël Ngassa, car les risques peuvent être tout autant liés aux installations en place, à l’environnement de travail, aux facteurs humains qu’au matériel. » D’autres profils sont aujourd’hui très recherchés pour l’encadrement sur les chantiers africains. Les entreprises ont des besoins d’ingénieurs qualité, tout d’abord, dont la mission est centrale : ils doivent tout mettre en oeuvre pour que le produit fini soit conforme au cahier des charges et livré dans les temps. Autres professionnels très demandés, les moniteurs d’environnement, dont la tâche est plus transversale. Ils veillent à ce que les travaux sur une zone donnée n’aient pas d’incidence sur les populations locales ou sur la faune et la flore. Tous les professionnels doivent partager un même objectif : communiquer, pour faire circuler l’information entre le sommet de la hiérarchie jusqu’aux ouvriers et aux techniciens qualifiés.

Eau et électricité
L’informatique est un atout
Le secteur africain de l’énergie est en pleine restructuration. Et le mouvement ne devrait cesser de s’accélérer dans les prochaines années, à la fois dans le domaine de la production et dans celui de l’acheminement. Si l’Afrique australe et du Nord ont dans l’ensemble une longueur d’avance en matière de production, l’Afrique centrale rêve de projets géants, à l’image de l’aménagement du grand barrage d’Inga, en RD Congo, ou encore de la construction d’« autoroutes de l’énergie », reliant la RDC à l’Afrique australe. Des perspectives de développement sont également prévues à un niveau sous-régional, comme l’acheminement d’électricité du Cameroun vers le Tchad. En revanche, dans le domaine de la distribution, les projets de privatisation restent pour l’instant peu réalistes : « Les marchés nationaux sont trop limités pour espérer un partage entre différents acteurs, explique Jean-Pierre Moudourou, directeur des ressources humaines chez AES Sonel, la compagnie camerounaise d’énergie privatisée en juillet 2001. Dans des pays comme le Gabon, la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, la distribution ne peut être assurée que par une seule société. »
À mesure que le marché devient de plus en plus concurrentiel, les exigences en termes de compétitivité s’affichent à tous les niveaux de la chaîne, de la production à la distribution. Dans les centrales électriques, les profils les plus recherchés sont ceux d’ingénieurs électriciens ou mécaniciens ayant une bonne maîtrise des outils informatiques : « Ils travaillent de plus en plus sur des machines automatisées qu’il faut absolument savoir maîtriser, souligne Jean-Pierre Moudourou. Ceux qui possèdent en plus quelques notions de gestion peuvent espérer construire une très belle carrière dans le domaine des études et de la gestion de réseau. » Dans le secteur de la distribution, les électriciens doivent plus que jamais être aussi des commerciaux : « Il est très important de mieux connaître les besoins des clients et d’adapter l’offre à chaque cas », commente Jean-Pierre Moudourou. Depuis sa privatisation, la Sonel s’est ainsi lancée dans un vaste projet de restructuration de ses équipes, avec une enveloppe de 352 milliards de F CFA (500 millions d’euros) sur cinq ans : « Nous recrutons des informaticiens, des responsables marketing, des juristes, des responsables sécurité, à la fois à l’international mais aussi en local, souligne le DRH. Nous avons besoin de jeunes diplômés bien formés pour faire évoluer la culture d’entreprise. »

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