Comptes de fées à Franconville

« Grand gagnant » d’EuroMillions, Mohamed, tunisien de 55 ans, père de sept enfants et ouvrier au chômage, passe du statut de RMIste à celui de multimillionnaire.

Publié le 26 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Adieu chômage, RMI et fins de mois difficiles pour Mohamed Barakat et sa famille. Cet ouvrier tunisien de 55 ans vient d’empocher 75 888 514 euros (122 millions de dinars tunisiens), le gros lot du jeu EuroMillions du vendredi 16 septembre. Installé à Franconville (Val- d’Oise), depuis une trentaine d’années, il peut désormais s’offrir la plus belle suite du George-V à Paris pendant vingt-deux ans…
Malgré ce jackpot qui donne le vertige, l’heureux gagnant garde encore les pieds sur terre : « La première chose que je ferai, c’est acheter une belle maison pour mes enfants. Pour le reste, on verra », déclarait Mohamed le samedi suivant l’heureuse nouvelle, qu’il célébrait autour d’un café en compagnie d’Housep Eskiciyan, patron du Café de l’Arrivée, le bar-tabac où il a validé son ticket. « C’est un grand bonheur de faire plaisir à ses enfants. Ce n’est pas le bonheur de l’argent parce que l’argent, il ne fait pas le bonheur », ajoutait-il, modeste et un brin philosophe malgré la fortune qui lui tombe du ciel.
C’est Naim, un de ses fils, qui a validé pour le ticket coché par son père. Celui-ci n’a rien du joueur impénitent. Certes, il lui arrive de jouer au Rapido, loterie instantanée installée dans le bar qui fait face à la gare. Mais on ne lui connaît pas de véritable passion pour les jeux de hasard. Ce jour-là, Mohamed décide de jouer les dates de naissance des membres de sa famille : 12, 13, 19, 21, 38. « Mon père a regardé le tirage. Tous les numéros sont sortis, raconte Naim. J’ai pleuré, je n’y croyais pas. Je suis supercontent. Je n’ai plus besoin de travailler. » Sur le moment, l’incrédulité est telle qu’il leur faut vérifier à plusieurs reprises sur Internet avant d’y croire réellement. Mohamed pleure de joie. Pour fêter ça, Naim et ses copains sablent le champagne sur les Champs-Élysées jusqu’au petit matin…
Franconville, à une quinzaine de kilomètres au nord de Paris, ressemble à l’une de ces banlieues américaines chic, avec ses pavillons aux pelouses tondues comme un green anglais. Espaces verts et jardins fleuris ne manquent pas.
Mais à la cité Mondetour, on ne voit guère de maisons coquettes. Dans cette cité HLM – une série de barres d’immeubles plutôt laids datant des années 1970 – cohabitent en toute quiétude des communautés d’origines diverses, notamment maghrébines et africaines. C’est là que Mohamed Barakat habite un modeste appartement en rez-de-chaussée, au fond d’un couloir aux murs décrépis.
Les habitants du quartier s’avouent tout simplement « contents » pour cette famille de sept enfants. « Le père et la mère sont des gens discrets. Leurs fils et leurs filles ? Des gens bien. Jamais de problèmes avec eux. Ils méritent les millions qu’ils viennent de gagner », commente Angélique, camerounaise et voisine de longue date des Barakat. « Ils le méritent, dit-elle, parce que la vie n’a pas été toujours rose pour eux. Il y a deux ans, le père a perdu son emploi et, depuis, il touche le RMI. » « Mohamed vient presque tous les jours prendre un café à la table du coin. Il a toujours été courtois et affable », précise Stéphane, serveur dans le bar-tabac qui a porté chance aux Barakat.
Une mère femme au foyer et deux enfants au chômage : c’est le travail de chauffeur-livreur d’un des fils qui permet de boucler le budget familial. Oui, ces dernières années ont été difficiles pour la famille Barakat, qu’un drame est venu endeuiller l’an dernier. L’été 2004, le jeune Djamel, 18 ans, s’est tué dans un accident de voiture tout près de la cité. Effondrés par le deuil, les Barakat se retrouvent en outre dans une situation humiliante. Pour faire face aux frais de rapatriement de la dépouille de son fils dans sa ville natale en Tunisie, le père aurait emprunté auprès d’une banque. « Aujourd’hui, non seulement ils peuvent rembourser, mais ils pourront s’offrir tout ce qu’ils veulent. Acheter des maisons, des grosses bagnoles et faire du commerce », commente Mourad, un ami de la famille. Dans la cité, on prête déjà aux nouveaux riches de nombreuses et coûteuses acquisitions. Le jeune Naim conduirait déjà une grosse moto de couleur rouge. Un de ses frères se serait choisi une Porsche tandis qu’un troisième aurait préféré une Ferrari. Évidemment, tout cela reste invérifiable, tous les membres de la famille ayant quitté leur domicile afin de retrouver un peu de l’anonymat perdu. Certains les croient cachés dans un prestigieux hôtel parisien, propriété d’un richissime prince saoudien. D’autres diront que la famille vient d’acquérir une résidence en Tunisie pour que Mohamed et son épouse y coulent des jours heureux au soleil du pays.
Pendant les deux premiers jours d’euphorie, les Barakat se prêtent volontiers aux questions des journalistes et posent devant les caméras de télévision. Puis arrive Brigitte Roth, membre du service « grand gagnant » à la Française des jeux. Elle se rend à la cité Mondetour, le dimanche soir, pour rencontrer la famille. Avec, à la clé, ce conseil fort utile : « Faites attention à ce que vous dites devant les médias. Vous n’êtes plus tout à fait monsieur Tout-le-Monde. » En fin de soirée, Mohamed et les siens quittent la maison vers une destination inconnue.
Au Café de l’Arrivée, personne ne s’étonne de la « disparition » des Barakat. Depuis samedi matin, l’établissement subit un véritable bombardement d’appels téléphoniques venant de toute la France, de Tunisie et même d’Algérie. Toute une kyrielle de « cousins » réclament déjà à la famille une petite part du gâteau. Les autres déclarent leur détresse et implorent de l’aide, par exemple, pour financer une intervention chirurgicale ou quémandent une petite enveloppe pour payer une dot. Certains proposent villas et résidences pour les nouveaux millionnaires. Housep Eskiciyan fait face à ces sollicitations avec humour : « Il y a beaucoup de rapaces qui tournent autour d’eux maintenant. De nombreuses personnes, se disant conseillers, m’ont appelé dans l’espoir que je les mette en contact avec Mohamed et ses fils. » Bien sûr, à Franconville, aucune trace des gagnants. « Ils ont été exfiltrés », s’amuse Mourad, un jeune banlieusard. Reste alors le bar-tabac, qui ne désemplit plus… Le patron diffuse en boucle le reportage de France 3 consacré à son établissement, désormais célèbre en France et au Maghreb. On dit déjà que l’endroit porte chance. Dans la salle, des affiches rappellent ostensiblement les sommes gagnées par ceux qui ont joué ici : au Banco, 1 000 euros, au loto, 2 066 euros et au Végas, un ticket à 5 000 euros… Mourad tentera désormais sa chance chaque vendredi : « Qui sait, peut-être que moi aussi je gagnerais comme Mohamed. Mais je ne veux pas de 75 millions. Autant d’argent rend fou. »

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