Tunisie : comment retrouver le succès économique ?
Début septembre bailleurs et investisseurs se sont réunis à Tunis pour tracer les perspectives d’avenir du pays. Son présent, las, n’est guère brillant. Presque tous les indicateurs sont au rouge. La recette qui a fait le succès de cette économie est à réinventer.
La Tunisie, premier pays arabe à secouer le joug de la tyrannie, en janvier 2011, touchera-t-elle enfin les dividendes économiques de sa révolution ? L’optimisme qui prévalait au lendemain du sommet du G8 de Deauville, en juin 2011, a laissé place au scepticisme. À l’époque, la communauté des bailleurs, sous l’impulsion du président français Nicolas Sarkozy qui avait beaucoup à se faire pardonner, avait promis une enveloppe de 40 milliards de dollars (27,7 milliards d’euros à l’époque), au profit de la Tunisie et de l’Égypte ainsi que la mise en place d’un « partenariat ». Une promesse restée lettre morte. En ira-t-il autrement cette fois-ci ?
Tunis a accueilli, le 8 septembre, la conférence internationale « Investir en Tunisie : start-up democracy ». Pilotée par la présidence du gouvernement, et organisée par l’ambassadeur et ancien ministre Tahar Sioud, cette rencontre réunit une trentaine de pays : les principaux partenaires européens de la Tunisie (dont la France, représentée par son Premier ministre Manuel Valls, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne), les États-Unis, le Japon, le Canada, la Turquie, les voisins algérien et marocain ainsi que les pays du Golfe.
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Ont également été conviés les institutions multilatérales (FMI, Banque mondial, BAD…) ainsi que des dirigeants de grandes entreprises internationales, déjà présentes en Tunisie ou souhaitant s’y installer.
Grèves
L’événement revêt une importance capitale pour le gouvernement de Mehdi Jomâa, qui s’est employé, depuis sa nomination au poste de
Premier ministre, en janvier 2014, à restaurer l’image de son pays, passablement dégradée après trois années d’errements politiques et de gestion chaotique. Mais arrive-t-il au bon moment ? La rentrée s’annonce difficile, avec des grèves prévues dans le secteur de l’enseignement (le 15 septembre) et de l’énergie (les agents de la Steg, la compagnie d’électricité, prévoient de débrayer les 17 et 18 septembre).
La prévision de croissance vient d’être ramenée à 2,3 %, soit un demi-point de moins qu’initialement prévu. La faiblesse de la demande en Europe a atteint, par ricochet, la Tunisie, qui réalise 80 % de ses échanges avec l’Union européenne. Les investissements industriels ont accusé une baisse de 19,1 % au cours des sept premiers mois de l’année, à 1,8 milliard de dinars (795 millions d’euros), contre 2,2 milliards sur la même période l’an passé. L’inflation demeure à un niveau élevé, aux alentours de 6 %.
Hakim Ben Hammouda : « Le grand défi reste la relance de l’investissement »
Ancien conseiller spécial du président de la Banque africaine de développement (BAD), Hakim Ben Hammouda a été nommé ministre de l’Economie et des finances de la Tunisie en janvier 2014, au sein du gouvernement de technocrates mené par Mehdi Joôma.
Il a répondu à nos questions au sujet des difficultés de reprise de l’économie tunisienne, trois ans après le départ de l’ex-président Ben Ali.
Jeune Afrique : Les prévisions de croissance pour 2014 ont été revues à la baisse. Pourquoi la reprise n’est-elle pas au rendez-vous ?
Hakim Ben Hammouda : En début d’année, la prévision était de 4 %. Nous l’avons ramenée à 2,8 % contre l’avis de certaines institutions internationales. Nous tablons finalement sur 2,3 %. La croissance reste fragile, mais il ne s’agit pas d’une contre-performance. Ce serait le cas si nous réalisions 1,5 %.
D’ailleurs, avec de bons indicateurs dans l’agriculture, la reprise du tourisme et de la consommation, nous pouvons d’ores et déjà annoncer que le troisième trimestre sera meilleur que les deux précédents.
Mais le principal motif de préoccupation réside dans le déficit courant. Durant les sept premiers mois de l’année, il a atteint 4,95 milliards de dinars (6 % du PIB, en hausse de 29,3 % sur un an).
Cette tendance est imputable à un redoutable « effet de ciseaux » créé, d’un côté, par l’atonie des exportations et, de l’autre, par une envolée de la facture énergétique. Le tout sur fond de dépréciation continue du dinar (1 euro s’échangeait à 1,92 dinar en décembre 2010, contre 2,30 dinars aujourd’hui).
Élections
À ces difficultés conjoncturelles s’ajoutent les incertitudes liées au calendrier politique : les élections législatives sont programmées le 26 octobre, la présidentielle suivra le 23 novembre, et les résultats s’annoncent très incertains.
« Justement, c’est une prouesse d’avoir réussi à organiser un tel sommet international dans ces conditions », estime l’économiste et ancien ministre Elyès Jouini, qui a été le conseiller du gouvernement tunisien lors du G8 de Deauville.
« C’est un signal de confiance fort. Cela montre que nos partenaires étrangers s’intéressent au devenir de la Tunisie. Le gouvernement de Mehdi Jomâa a eu l’habileté de ne pas s’appesantir sur la situation présente, connue de tous, et de tracer des perspectives à moyen terme, qui sont plutôt rassurantes. Il montre que les Tunisiens ont une feuille de route, qu’ils savent où ils vont. »
D’autres, comme ce banquier de la place, regrettent la discrétion excessive qui a accompagné la préparation d’ »Investir en Tunisie » et critiquent le flou sur ses objectifs. « À la veille de cette rencontre, on ne sait toujours pas exactement en quoi elle consistera, ni si elle vise à mobiliser les ressources pour le budget de l’État ou des financements privés. »
Beaucoup s’interrogent sur les capacités du gouvernement de technocrates et sur son bilan, jugé en demi-teinte. Une insatisfaction et des impatiences à la mesure de l’espérance, en partie irrationnelle, que sa formation avait suscitées après deux ans de gestion partisane calamiteuse. À son crédit : il est parvenu à juguler l’hémorragie des finances publiques, au prix de mesures d’austérité.
Les recettes fiscales ont augmenté de 16,1 % depuis le début de l’année, ce qui traduit les progrès réalisés dans le recouvrement des taxes et impôts. La loi de finances rectificative, votée après d’âpres débats en août, prévoit un prélèvement exceptionnel de plusieurs journées de salaire pour soutenir le budget de l’État, qui s’applique à tous les salariés du public comme du privé. Des efforts récompensés par le FMI qui vient d’annoncer le décaissement de 217,5 millions de dollars (377,9 millions de dinars). Et par le succès, en juin, de l’emprunt obligataire national qui a permis de lever 900 millions de dinars.
Au passif : un certain immobilisme sur les grands dossiers. « Les urgences et la gestion ont accaparé les ministres, qui prenaient leurs marques, poursuit notre banquier, mais le chef du gouvernement a sans doute manqué d’audace dans les cent jours qui ont suivi sa nomination, à l’inverse, par exemple, de l’Italien Matteo Renzi [nommé président du Conseil en février dernier], qui a donné un coup de pied dans la fourmilière. »
Orange Tunisie : difficile ménage à trois
C’est l’un des dossiers épineux hérités de la révolution. Trois ans après le départ de l’ex-président Ben Ali, la filiale locale du groupe français Orange, à l’image du pays, n’arrive pas à tourner la page.
Au coeur de l’imbroglio qui perturbe toujours son développement : les multiples procédures engagées par l’État et Marouane Mabrouk pour revendiquer le contrôle d’Investec, l’actionnaire majoritaire (51 %) de l’opérateur télécom.
Soupçonné d’enrichissement illicite, l’ancien gendre de Ben Ali a vu ses actifs au sein d’Investec confisqués par décret en mars 2011. Mais dans l’attente d’une décision de justice définitive, il refuse de lâcher les rênes et continue de présider le conseil d’administration d’Orange Tunisie.
Transition
« L’horizon des réformes ne s’arrête pas à l’assainissement des finances publiques, estime pour sa part l’économiste Mohamed-Ali Marouani, maître de conférences à la Sorbonne et secrétaire général du Cercle des économistes arabes. Les systèmes de rentes n’ont pas été démantelés. Dans de nombreux secteurs, certains monopoles ne se justifient pas et sont uniquement l’héritage de situations acquises. Ce sont autant de freins au dynamisme de l’économie et à une réduction des inégalités. »
Longtemps loué par les institutions multilatérales, le « modèle tunisien », fondé sur la sous-traitance, les salaires réduits et la proximité géographique avec l’Europe, est à réinventer. La transition économique s’annonce aussi périlleuse que la transition politique. Elle est à peine ébauchée.
Dans l’intervalle, la Tunisie ne pourra pas se passer d’appuis extérieurs. Elyès Jouini se veut raisonnablement optimiste. « Nos partenaires semblent disposés à nous accompagner. Mais leur soutien ne se concrétisera que si le nouveau gouvernement maintient le cap des réformes. Il faut espérer que celui-ci reposera sur une majorité cohérente et saura résister aux sirènes de la démagogie. » Rendez-vous en 2015 pour un début de réponse…
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