Vaines murailles…

Le mur érigé par les Israéliens en Cisjordanie n’est ni le premier ni le seul exemple de barrière construite entre les hommes. Et de l’obstination qu’ils mettent à franchir les frontières.

Publié le 26 juillet 2004 Lecture : 6 minutes.

Quand on ne sait plus quoi faire pour interdire le passage ou marquer son territoire, on construit un mur. Même si l’on n’atteint pas son objectif, on aura toujours laissé une trace sur le sol et dans les esprits.
Le précédent le plus illustre dans l’Histoire est celui de la Grande Muraille de Chine, dont la construction s’est étendue sur quelque deux mille années. Prenant le relais des fortifications locales des États féodaux, elle a commencé aux Ve-IIIe avant J.-C., quand les royaumes Yan, Zhao et Qin cherchèrent à se protéger des incursions des Turco-Mongols du Nord.
En 221 avant J.-C., le premier unificateur de la Chine, l’empereur Qin Huangdi, relia entre elles les parties existantes pour former un rempart ininterrompu. Sous les Han (de 206 avant J.-C. à 200 après J.-C.), la Grande Muraille fut prolongée vers l’ouest sur pas moins de 1 000 km. Certains segments étaient équipés de feux d’alarme pour que les garnisons puissent envoyer des messages par signaux de fumée. La menace des Mongols incita les Ming (1368-1644) à réparer la Muraille et à poursuivre son édification, cette fois en « dur » – briques et moellons -, avec des murs, garnis de créneaux, dont la hauteur moyenne avoisinait les huit mètres.
La Grande Muraille a été classée sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco en 1987. Contrairement aux propos qui ont été prêtés à l’astronaute américain Neil Armstrong, elle n’est pas le seul monument terrestre qui se voit de la Lune, mais elle reste un site touristique prestigieux. Elle n’a pas non plus totalement protégé l’immense territoire qu’elle enserre contre les incursions mongoles, mais a contribué à la sécurité de la route de la soie et facilité les échanges commerciaux entre la Chine et l’Occident. Et elle a surtout renforcé le sentiment qu’avaient les ressortissants de l’empire du Milieu d’appartenir à « la seule civilisation sous le ciel ». Protégé par elle, on était chinois. À l’extérieur, on était barbare.
La ligne Maginot devait constituer, elle aussi, une « barrière de sécurité » entre la France et l’Allemagne. On lui porta une confiance tout aussi illusoire que celle faisant alors croire que la guerre de 1914-1918 serait la « Der des ders », c’est à dire le dernier conflit qui surviendrait entre les deux pays. Dès 1919, « le Père la Victoire », Georges Clemenceau, avait néanmoins évoqué la nécessité de fortifier les frontières de la France. Paul Painlevé, ministre de la Guerre de 1925 à 1929, nomma à cet effet une commission de défense des frontières. Son successeur, André Maginot, prit le relais et, en 1930, le Sénat vota la loi qui porte son nom.
Elle prévoit la construction de fortifications tout le long de la frontière avec l’Allemagne et l’Italie. Les projets arrêtés en 1929, à la fin d’une période économiquement faste pour la France, sont très ambitieux. Les fortifications établies sur une profondeur de 0,5 km à 1,5 km doivent créer une ligne de feu ininterrompue, depuis Montmédy, dans la Meuse, jusqu’à la frontière suisse, et de cette dernière à la Méditerranée : on s’apprête à multiplier sur le tracé de puissants ouvrages d’artillerie, des réseaux de tranchées, des casemates en béton, des postes de commandement et des soutes à munitions souterrains… Mais, sitôt les plans adoptés, la crise importée d’Amérique s’abat sur le pays et le modèle de défense prévu ne sera, en définitive, correctement exécuté qu’autour de Metz, près de la Lauter et en Haute-Alsace.
Mais surtout, la ligne Maginot s’arrête à Montmédy. Sur toute sa longueur, la frontière restante est ouverte jusqu’à la mer. La France doit compter pour sa défense sur les fortifications établies par la Belgique le long du canal Albert, et elle prévoit, en cas de conflit avec l’Allemagne, d’y envoyer ses meilleures forces mécanisées. Ce qu’elle ne manque pas de faire lorsque les Allemands envahissent les Pays-Bas et la Belgique, le 10 mai 1940. Mais, le 13 mai, les panzers frappent à la charnière des deux ensembles défensifs, dans les Ardennes, et font le trou. La ligne Maginot doit être évacuée un mois plus tard, le 15 juin…
Bien qu’elle ait été baptisée « opération Muraille de Chine » par le président de la République démocratique allemande (RDA), Walter Ulbricht, la construction du mur de Berlin répondait à des objectifs inverses. Du 12 août 1961 au 9 novembre 1989, ce mur a été le point le plus chaud de la guerre froide entre les Occidentaux et les Soviétiques, crise des missiles de Cuba mise à part.
En novembre 1958, le premier secrétaire du Parti communiste soviétique, Nikita Khrouchtchev, lance un ultimatum aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et à la France. Si, dans les six mois, les alliés occidentaux n’ont pas transformé Berlin-Ouest en « ville libre démilitarisée », il menace de rompre l’équilibre ménagé entre les deux Blocs en signant un traité de paix séparé avec la RDA. Le 5 août 1961, à une réunion des chefs des partis communistes à Moscou, Walter Ulbricht obtient de ses pairs l’autorisation de fermer la frontière intraberlinoise. Le surlendemain, Khrouchtchev déclare qu’il faut supprimer « l’échappée commode » de Berlin-Ouest. D’où, chez les candidats au départ, une soudaine « peur de la porte qui se ferme ». Quatre mille personnes se réfugient à l’Ouest dans la seule journée du 12 août. Suit, le lendemain, la demande faite à la RDA par les pays du pacte de Varsovie d’assurer un « contrôle efficace ». Ce sera un mur de béton de 155 km, dont 43 dans la seule ville de Berlin, construit de toute urgence, avec des grillages, des fossés antichars, des clôtures électriques, des miradors, que parcourent nuit et jour des milliers de gardes-frontières et de vopos dotés de centaines de chiens…
Au total, selon l’historien Cyril Buffet, 5 043 personnes auraient néanmoins réussi à franchir le mur ; 3 221 auraient été arrêtées et 239 fugitifs auraient été tués (les associations de défense des droits de l’homme estiment que les chiffres exacts sont nettement plus élevés). À partir de décembre 1963, mais surtout après 1969 et l’ouverture à l’Est du chancelier Willy Brandt, des facilités de passage ont été, malgré tout, accordées aux Berlinois de l’Est, notamment via le célèbre Checkpoint Charlie. Mais il faudra attendre l’été 1989 pour qu’une faille irréversible s’ouvre dans le « rideau de fer », en Hongrie.
On pourrait multiplier à l’envi les exemples de frontières fortifiées, depuis le simple grillage jusqu’aux remparts les plus infranchissables : Chypre, l’Irlande, le Sahara marocain, la Corée voient ainsi leurs limites renforcées et le passage des armes, des marchandises et des hommes barré par des dispositifs souvent très sophistiqués.
Les États-Unis, apôtres de la libre-circulation, ne sont eux-mêmes pas en reste. Ils ont eux aussi érigé leur « barrière de sécurité », dans des proportions bien plus modestes, il est vrai. Le conflit déclenché à son sujet oppose seulement le département de la Sécurité intérieure aux environnementalistes du comté de San Diego, au sud de la Californie, au sujet de l’immigration clandestine mexicaine.
La querelle porte sur une clôture en métal qui devrait totaliser une vingtaine de kilomètres de long. Il n’en reste que cinq à installer. Selon les écologistes locaux, ce « chaînon manquant », si on devait l’achever, risquerait de ruiner le paysage dans le site touristique très fréquenté de l’estuaire de la Tijuana. Les agents de la sécurité font remarquer que sur les quelque 4 000 km de frontière commune entre les États-Unis et le Mexique, ce court segment constitue le principal point de passage des clandestins et que, depuis trois ans qu’on a installé des barrières, le nombre des arrestations est tombé de 25 000 à 3 000 par an. Même si, ironisent les écologistes, les clandestins se donnent simplement la peine de passer plus à l’est, par les déserts de la Californie et de l’Arizona…

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