Un visa pour les États-Unis

Après presque soixante ans d’interdiction, le géant du diamant De Beers est autorisé à opérer directement sur le territoire américain.

Publié le 26 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

Interdite de territoire américain depuis 1945, De Beers pourra désormais vendre directement ses pierres précieuses aux États-Unis. Le 13 juillet, la compagnie a mis fin aux poursuites lancées contre elle en 1994 par le département américain de la Justice devant un tribunal de l’Ohio. En plaidant coupable d’entente illégale avec un autre acteur majeur du secteur (General Electric, qui a été acquitté faute de preuves) pour avoir fixé les prix mondiaux des diamants industriels entre 1991 et 1992, De Beers vient de tourner une page de son histoire et s’achète une nouvelle image.
Le numéro un mondial du diamant accepte donc de payer une amende de 10 millions de dollars. Une punition qui ne devrait pas trop grever les comptes de l’entreprise, d’autant que De Beers est autorisée à revenir sur un marché américain qui représente, à lui seul, un peu plus de la moitié de la consommation mondiale.
Les déboires de l’entreprise aux États-Unis remontent à l’entrée en guerre du pays en 1941. À l’époque, De Beers, en situation de quasi-monopole, rationne les États-Unis, ralentissant l’effort de guerre. Cette attitude a été dénoncée par un ancien patron de la CIA en 1988 dans un article du Washington Post, et fortement relayée par la suite, altérant l’image de l’entreprise. Dès 1945, le département de la Justice américain prend des sanctions et poursuit De Beers pour violation des lois antitrust. Mais l’entreprise, sud-africaine, n’a pas d’implantation directe aux États-Unis, et estime qu’elle n’a pas à y être jugée. La justice lui retire donc le droit d’exercer sur le territoire américain, et ses dirigeants y sont interdits de séjour. À deux reprises (en 1957 et en 1974), Washington réitère ses plaintes contre l’entreprise. Sans suite.
Ce déficit d’image n’a pas semblé gêner le groupe pendant de longues années. Mais en plaidant coupable le 13 juillet, elle a amorcé un tournant dans sa politique. La décision de prendre les devants pour clore le dossier judiciaire « correspond à notre engagement de créer une De Beers nouvelle et moderne, entièrement prête à assumer son rôle d’entreprise responsable », a déclaré à la presse son porte-parole Nicola Wilson. Un revirement stratégique jugé essentiel, au vu de la prise de conscience des consommateurs. La lutte contre les « diamants de la guerre » – le trafic de pierres précieuses utilisées pour financer les conflits armés en Afrique notamment – s’est concrétisée par la signature, en novembre 2002, du processus de certification de Kimberley, sous l’auspice des Nations unies. Une initiative à laquelle De Beers devait participer pour réparer une image ternie depuis de longues années.
Mais cette évolution ne répond pas seulement à des impératifs médiatiques ou publicitaires. Il y a vingt-cinq ans, cinq des plus gros acheteurs d’Anvers (Belgique), la capitale de la taille du diamant, se considéraient comme dépendants de la seule De Beers, et jusqu’à la fin des années 1980 la compagnie assurait 80 % de la vente de pierres brutes. Aujourd’hui, la situation a changé : le gemme est de moins en moins rare, d’autres entreprises – angolaise, russe, australienne – se sont lancées dans une concurrence directe avec le leader historique, et la taille ne se fait plus uniquement sur les rives de l’Escaut, mais également en Israël et en Inde. Du coup, De Beers ne se contente plus d’extraire et de produire le diamant brut, même si elle vend encore deux tiers de la production mondiale. Depuis trois ans, elle s’est alliée avec le géant français du luxe LVMH pour créer sa marque de bijoux. Trois boutiques « Beers LV » ont été ouvertes à Tokyo, et une à Londres. Un autre projet traîne dans les cartons : la création d’un magasin sur l’avenue la plus chic de New York.
Après le règlement du contentieux américain, De Beers est prête à se lancer dans l’aventure. Et son PDG Nicky Oppenheimer, qui possède encore 45 % de l’entreprise (le reste étant réparti entre Anglo American – 45 % – , et la société diamantifère botswanaise Debswana – 10 %), pourra – grande première pour la famille -, venir couper le cordon rouge lors de l’inauguration sur la 5th Avenue.

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