Tourner la page Conté

Après un constat accablant de la gestion du pays depuis vingt ans, l’opposition préconise l’instauration d’une période de transition et la mise en place d’un gouvernement d’union nationale.

Publié le 26 juillet 2004 Lecture : 5 minutes.

« Les partis politiques signataires du présent mémorandum affirment que, pour l’avènement de l’État de droit et la construction d’une société véritablement démocratique en Guinée, une rupture radicale et impérative est nécessaire avec la conception autocratique et patrimoniale du pouvoir héritée du passé et caractérisée par la pratique des réseaux entretenus par des lobbies au pouvoir et actifs dans tous les centres de décision. Cette gestion clanique des affaires de l’État et ses corollaires que sont l’incivisme, la corruption, le népotisme et l’impunité ont été autant de facteurs favorisant les détournements de deniers publics et la régression irrémédiable de la société guinéenne. »
Possédée par le démon de la désunion et, surtout, minée par d’incessantes querelles de leadership, l’opposition guinéenne serait-elle en train de se ressaisir et de répondre – enfin – aux attentes placées en elle ? On est tenté de le croire au vu du document intitulé « Proposition de plan de sortie de crise » signé le 14 juillet 2004 par la quasi-totalité des adversaires politiques du régime. Seule manque à l’appel l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR, le parti de Siradiou Diallo), qui continue de se chercher depuis la disparition brutale de son président-fondateur, le 14 mars 2004.
Même si ce n’est pas la première fois que l’opposition guinéenne essaie de s’entendre, au moins théoriquement, sur des positions communes, comme par exemple lors de la révision constitutionnelle de 2002 ou à l’occasion de la vraie-fausse élection présidentielle de 2003, l’accord qu’elle vient de sceller tranche avec les initiatives antérieures. À l’évidence, les principaux adversaires du général-président Lansana Conté, tels Alpha Condé, Sidya Touré, Mamadou Ba et Jean-Marie Doré, pour ne citer qu’eux, ont pris la mesure de la gravité de la situation économique et sociale dans leur pays en décidant d’indiquer – ensemble – les chemins du « renouveau ». Favorables à une « Guinée nouvelle, économiquement forte et sécurisante pour la sous-région ouest-africaine », les partis signataires de l’accord-cadre du 14 juillet 2004 manifestent clairement leur intention de tourner la page Conté, au pouvoir depuis 1984.
Après avoir dressé un constat accablant de la gestion du régime, l’opposition préconise l’instauration d’une période de transition au cours de laquelle serait mis en place un gouvernement d’union nationale. Ce dernier se verrait assigner, pendant un délai ne pouvant excéder « dix-huit mois », la tâche de conduire les affaires du pays sur la base d’un programme arrêté d’un commun accord par l’ensemble des forces politiques et sociales. Il est incontestable que le contenu du document s’inspire de la philosophie générale et du cadre juridique et politique fixés, au début des années 1990, par les fameuses conférences nationales « souveraines ». En effet, les conditions d’organisation de la période de transition et les modalités de fonctionnement du gouvernement d’union nationale empruntent largement au modèle que le Mali et le Niger ont expérimenté pendant un temps. C’est vrai aussi bien de la structure dyarchique chargée de conduire la transition (un président et un Premier ministre, chef du gouvernement), que de l’engagement des personnalités désignées pour occuper ces fonctions à ne pas briguer la magistrature suprême. Ou encore de la création d’une Commission nationale indépendante en charge de gérer le processus électoral qui viendrait clore la transition.
Les propositions figurant dans le document font clairement ressortir le double souci des signataires d’une part, d’associer toutes les forces vives du pays (y compris l’armée nationale) à leur démarche et, d’autre part, de marquer d’une empreinte consensuelle tant la désignation des responsables de la transition que le mandat confié au gouvernement d’union nationale. La rupture avec le régime actuel est consacrée par la dissolution des institutions prévues par la Loi fondamentale de 1990 (présidence de la République, gouvernement, Assemblée nationale, Cour suprême, Conseil économique et social), lesquelles seront remplacées par des organes de régulation provisoire. Un Conseil national de la République, composé de représentants des partis politiques, des cultes religieux et de la société civile, fera office de Parlement, un Conseil judiciaire se substituera à la Cour suprême. Il y a donc là tout un dispositif censé encadrer la transition au terme de laquelle seront mises en place de nouvelles institutions.
Outre son caractère pragmatique, ce « plan de sortie de crise » présente des similitudes avec les scénarios qui circulent depuis plusieurs mois dans diverses chancelleries occidentales, au siège des Nations unies, à New York, et au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). En rompant avec la langue de bois propre à certaines de leurs déclarations antérieures, les partis de l’opposition se mettent au diapason de la population guinéenne et des préoccupations de la communauté internationale. Il est indéniable que la crise dans ce pays est en passe de prendre une tournure dramatique que préfigurent déjà les soulèvements ponctuels et limités constatés, ces dernières semaines, dans la capitale, Conakry. Il ne se passe pas de jour sans que les camions chargés de denrées de première nécessité soient pris d’assaut par la foule et que les forces de sécurité soient obligées d’intervenir avec brutalité. L’aggravation des conditions de vie, conjuguée à une vacance totale du pouvoir, pour cause de maladie du chef de l’État, laisse prévoir le pire. Que les voisins de la Guinée, membres comme elle de la Cedeao, envisagent de plus en plus de conjurer en recourant éventuellement à la méthode qui a prévalu et si bien réussi en Guinée-Bissau : la destitution forcée, en septembre 2003, de l’inénarrable président de cette ancienne colonie portugaise, Kumba Yala.
Reste que les signataires du mémorandum du 14 juillet n’indiquent aucun agenda et font mystère de la « personnalité de consensus » censée mener la transition à son terme, même si les noms d’un haut fonctionnaire international et de l’ancien président de l’Assemblée nationale, le vieux Biro Diallo, reviennent avec insistance dans certains états-majors politiques. « Il faut éviter de mettre la charrue avant les boeufs, explique le leader du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), Alpha Condé. On nous a suffisamment reproché d’être l’opposition la plus divisée d’Afrique pour bouder notre plaisir devant un texte unitaire. Il est temps que Lansana Conté s’en aille ! »

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